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Pinuche se tait et rallume son mégot, comme chaque fois qu’il a quelque raison de « s’estimer ». Mizinsky me le désigne et demande :

— L’inspecteur Pinaud a le droit de fumer au bénéfice de l’âge ?

— Il ne fume pas, réponds-je. C’est sa façon de se tailler la moustache. Regarde, son clope est déjà éteint.

Là-dessus je quitte le fauteuil directorial et lui imprime irrévérencieusement un mouvement giratoire. Il exécute un tour complet en grinçant et s’arrête dans sa position initiale. Je pense au Boss. Est-il mort ? Est-il vivant ? Et nous reverrons-nous, ô mon Chilou que j’aime ?

* * *

Le chef s’était débarrassé de son loup de velours et avait retrouvé son univers habituel, empreint d’un luxe sûr.

Sa ligne privée fit entendre un grésillement pudique. Il décrocha sans hâte.

— Je peux parler ? s’enquit une voix qu’il identifia sur-le-champ.

— Vous pouvez.

— Que pensez-vous du type que je vous ai adressé ?

— Rien.

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire « rien » ; je n’ai pas de mot plus précis pour cerner ma pensée.

— Vous n’avez pas confiance en lui ?

— Ce n’est pas un critère : je n’ai confiance en personne. La confiance ligote les hommes d’action. Ce que je perçois mal, c’est son utilisation.

— Moi, je la vois clairement.

— Je vous écoute…

— En cas de problèmes, il peut servir de monnaie d’échange, surtout s’il est mouillé jusqu’aux os.

La justesse du raisonnement, autant que sa simplicité, convainquirent le chef. Ce n’était pas un homme à amour-propre et il acceptait volontiers qu’un subalterne lui démontre ses torts.

— Exact, admit-il ; voilà qui est bien pensé. Je l’enrôle donc, mais il va falloir le tenir à l’œil.

— Ça, c’est votre problème, riposta l’interlocuteur. Dans ma position cette tâche est irréalisable.

Le chef ne se formalisa pas.

— En effet, dit-il, c’est mon travail. Merci.

Il raccrocha et alla se servir un verre de crème de cassis : il aimait les douceurs.

* * *

— Ménaupe ! lança le directeur, il y a ici deux messieurs qui ont besoin de vous parler d’urgence.

Arlette fit signe de s’asseoir à Hubert Landrivon qui lui récitait (mal) les affluents de la Loire. Ainsi sauvé par le gong, le cancre eut le sentiment obscur qu’une puissance divine veillait à nous secourir dans les cas désespérés. Il n’éleva pas son âme parce qu’il n’avait pas encore conscience d’en posséder une, mais il se fit néanmoins en lui un travail philosophique assez intéressant.

Arlette Ménaupe sortit dans le couloir où s’enchevêtraient des canalisations de chauffage et des câbles électriques.

Les cloisons séparant les classes étaient vitrées dans leur partie supérieure pour permettre une meilleure circulation de la lumière, mais la vieille école baignait malgré tout dans de maussades pénombres.

Le directeur se tourna vers nous.

— Je vous laisse, dit-il, à moins que vous n’ayez besoin de moi ?

Mais nous n’avions pas besoin de lui.

L’instite reconnut Pinaud et eut pour lui un affable sourire de connivence. Visiblement, ce vieillard distingué l’impressionnait favorablement. Elle avait toujours eu une terreur maladive des hommes et, si elle n’était pas rigoureusement vierge, cela tenait à l’usage de son godemiché de jeune fille dont elle n’avait jamais cessé d’user. L’appareil lui avait été offert, à l’Ecole Normale, par l’une de ses amies de pension qui l’avait subtilisé à sa grande sœur et ne pouvait le conserver par-devers elle (non plus qu’en elle) de retour à la maison. Cette pratique « onaniste » lui était devenue indispensable, au point qu’elle succombait deux fois par jour à la tentation : le matin, sur le coup de dix heures, et le soir en se mettant au lit. « L’objet » ne quittait pas son sac, aussi ses élèves s’étaient-ils longuement demandé pourquoi la maîtresse allait toujours aux gogues avec son réticule sous le bras. Au début, les filles les plus initiées estimaient qu’elle allait souscrire à l’opération « recharge de la cartouche », mais comme elle s’éclipsait tous les jours de la classe, ils avaient flairé autre chose. Le sac à main d’Arlette ne quittait pas son bureau.

Un jour que le grand Duniais se trouvait au tableau pour une sordide histoire de conjugaison. (Verbe aller ! A la tienne. Des allures fastoches de Ier groupe, ce salaud, mais bel et bien du 3e, mon con. « Que nous allassions ! » Et bonne année, grand-mère !) Pendant que la malheureuse victime interrogeait ses potes du menton, la mère Ménaupe s’était élancée sur Mauricet Ben l’Arbi (un noble) qui montrait sa zézette à Mado Fringuant. Pendant l’échauffourée qui avait consécuté de cet attentat à la pudeur, Duniais, avec une présence d’esprit incroyable, avait ouvert le sac d’Arlette et aperçu un objet cylindrique, renflé d’un bout, en plastique rose et qui sentait la chatte à deux mètres. L’élève interrogé ignorait tout du verbe aller, mais savait ce qu’est un godemiché. Il referma prestement le sac et adressa un geste de triomphe à ses condisciples.

La récré qui suivit fut tempétueuse. On dut révéler aux ignorants en quoi consistait le gode de la Ménaupe et à quoi il servait. Les plus crapules ourdirent un plan machiavélique et attendirent l’occasion de le mettre en application. Cette occasion, je la leur fournis, ce matin, en venant interroger leur institutrice qui, troublée par notre venue, a oublié son sac à main sur son bureau.

— Mademoiselle, je suis navré de venir vous troubler au milieu d’un cours mais il s’agit d’une affaire très grave.

Effectivement, pour ce qui est de la troubler, je la trouble, binette, sans me vanter ! Mon sourire enjôleur et mon regard fripon lui font rougir les oreilles jusqu’au tympan. Elle cherche à fuir mes yeux, mais impossible ! La fascination du mec s’exerce à plein régime et tout ce qu’elle peut faire, c’est détremper sa chaste culotte de coton.

Elle coasse qu’elle est à notre disposition.

Ce vieux daim de Pinuche ne manque pas de décocher un compliment de son cru :

— Puissiez-vous dire vrai, charmante demoiselle ! Du coup ! la maîtresse décolle et nous en remet quelques millilitres supplémentaires. Du sans plomb !

— Vous l’avez déjà compris, mademoiselle Ménaupe, il s’agit de votre témoignage concernant trois personnes sorties de l’Hôtel du Roi Jules. Elles sont montées dans une Estafette et c’est de ce véhicule que je voudrais vous faire parler. Il existe deux sortes de mémoires : la mémoire sensorielle et la mémoire subconsciente. Vous avez décrit à l’inspecteur principal Pinaud, ici présent, le résultat de votre première moisson, ce que j’espère de vous, c’est que vous stimuliez votre subconscient afin de nous livrer des détails supplémentaires qui nous seraient précieux.

* * *

Pendant ce temps, dans la classe, ça carbure, espère ! Sabrina, la brunette, fait le 22 devant la lourde. Pendant ce temps, Duniais fauche le gode dans le sac et le brandit comme un sceptre dérisoire en criant « Chuuuut ». Mauricet Ben l’Arbi le rejoint fissa avec son petit pot de harissa qui ne le quitte plus depuis le jour du « plan ». C’est chouette que le godemiché soit rose. Il trempe son doigt dans la sauce pimentée et en badigeonne le bout renflé du sexe de misère. Il souffle sur son ouvrage pour hâter le séchage. On remet le paf bidon dans le sac. Ça se marre vilain dans le classe. Duniais se fâche. Il décrète d’une voix de chef :