Mais des mecs aussi dangereux, aussi déterminés, aussi illuminés au néon que Mizinsky, alors là, jamais !
Il avait décidé de chambouler notre société, le gueux. Abattre les institutions. Anéantir le pouvoir en place. Sa vie de pourri, il l’a consacrée à cette entreprise.
En apprenant la mort de son chef de file, il est devenu dingue et a voulu réaliser un coup ex-tra-or-di-naire.
Il s’est présenté chez le Vieux, qui venait de regagner son domicile, après l’équipée que tu sais, l’a kidnappé, drogué, et l’a obligé d’écrire une confession dans laquelle il reconnaissait avoir fomenté, organisé et dirigé cette tuerie des émigrés. Lettre circonstanciée dans laquelle il annonçait son intention de mourir en se dynamitant !
Mizinsky a fait tenir cette bafouille « explosive » au ministre de l’Intérieur, lequel a bondi à l’Élysée. Décision urgentissime : la révocation ! Et on nommait messire moi-même, enfant unique et préféré de Félicie, à l’auguste place !
Chié, non ?
T’es content ? C’est passionnant, hein ?
Le Dabe, il lui a fallu deux jours de soins intensifs pour l’arracher de cette béchamel. Mais ensuite il restait prostré, balbutiant avec ferveur le prénom de July. Y a que ma pomme qui ait réussi à le faire parler. J’avais tellement soif de savoir la vérité, côté Chevalier Noir, que je suis parvenu à toucher son entendement, à Chilou, au plus profond de la semoule.
Ça a été coton. Il ne lâchait que des miettes parcimonieuses. Mais à force de patience, d’obstination, de douceur, je suis parvenu à constituer une hypothèse qui vaut ce qu’elle vaut, mais que je crois proche de la vérité.
Il y a quelques mois, il a rencontré July Larsen lors d’un voyage aux U.S.A. et il est devenu dingue de cette femme. Amour du soir, espoir ! Elle a été son soleil de minuit. Elle dirigeait un réseau de renseignements d’obédience arabe (je n’ai pu savoir pour quel pays elle travaillait) qui regroupait des durs issus d’autres services, des chômeurs de l’espionnage en somme, des mercenaires de tous bords : Anglais, Russes, Français. Leur siège était L’Hostellerie du Chevalier Noir.
La C.I.A. qui trouvait July trop encombrante avait décidé sa mort et elle le savait. Elle a vu en Chilou un élément de salut inespéré.
Alors, de concert, ils ont concocté cette affaire de substitution d’héroïne. July venait à moi, officiellement, pimpante, avide de plaisirs. Je l’emmenais chez le meilleur restaurateur de France puis, une fois rentrés à Paris, dans l’un des plus prestigieux hôtels de la capitale. Amours, délices et… grandes orgues ! En cours de route, une fausse July, en tout point conforme à la précédente et dûment chapitrée, la malheureuse (on lui avait fait croire qu’elle participait à une manœuvre de diversion — ce qui était vrai, en somme), prenait sa place. Encourait ses dangers, subissait son destin.
Pépère, qui chiquait au grand malade bouffé par les virus, démissionnait et refaisait sa vie (passe encore de semer, mais planter à cet âge !) avec July Larsen. Son rêve de vieux gosse. Son joujou de retour en enfance.
O Chilou, vieux fou, vaincu parce qu’il aura le plus vénéré au cours de son existence : la femme !
ET PUIS CONNECLUSION,
BIEN ENTENDEUR
Moi, je vais te dire, p’tit gars. Ne l’oublie jamais : la meilleure des coupes, pour boire le champagne, c’est la chagatte d’une polka ! Seulement, quand un vin d’honneur est organisé pour fêter ta nomination en qualité de chef de la police, tu es bien obligé d’écluser ton roteux dans du baccarat.
Tout le monde sur le pont !
Le ministre, le sous-ministre, l’aide-sous-ministre, le préfet. Et paraît que le président, qui m’a à la chouette (ce serait lui qui aurait exigé ma nomination), passera me serrer la main un peu plus tard.
Outre les huiles, y a mes inséparables : Pinaud et sa dame dans un décolleté rose praline ; Mathias et sa bourrique pondeuse, crevante de jalousie ; Jérémie et Ramadé ; Béru, sa Grosse en tailleur de soie parsemée de pâquerettes, ainsi qu’Alfred (Béru l’a amené sans m’en parler) et une petite dame boulotte que je ne reconnais pas tout de suite, mais c’est la maman de Martine, la première victime, pour qui le Mammouth a un énorme coup de cœur (et plus énorme encore coup de queue).
Il y a aussi Rosette, le bras en écharpe, rosissante et exquise, en compagnie de Violette vêtue de violet. Elles se tiennent toutes deux à l’écart. Elles me regardent avec infiniment d’amour et parlent de moi, unies par une même passion qui, tant elle est forte, ne les rend pas jalouses l’une de l’autre.
Bien sûr, y a maman, sur son trente et un, avec Toinet qui grandit, le salaud, à en devenir aussi long que moi ! Et il y a encore Maria, avec l’inspecteur Latouche, lequel vit sa passion comme s’il était dans une châsse.
Je grignote un amuse-gueule quand l’inspecteur Mordefin s’approche de moi et me glisse un papier. Je lis :
« L’ex-commissaire Mizinsky a été interpellé au moment où il tentait de franchir la frontière helvétique. Il avait une grenade sur lui qu’il a fait exploser. Il est mort et l’un des policiers qui procédaient à son arrestation a eu la main droite arrachée. »
Une musiquette pour jour de pluie me taquine l’âme.
« Si ç’avait été moi qui le saute, je me serais gaffé du coup ! songé-je. Au lieu de faire le con dans ce bureau ! »
C’est con de devenir un chef !