De son côté, Bérurier marque sa propre délivrance. Chez lui, le panard est invariable. Il lance un vibrant :
— Crrré bon gu !
Pour donner quitus à son Créateur. Le remercier de cette nouvelle et époustouflante charité qu’Il vient de lui accorder une fois de plus.
Lentement, il se dégage, au grand éberluement de la vieille pédoche.
— Elle avait tout ça dans le c… ? s’extasie-t-elle.
— Comme vous pouvez le constater, chère madame. Si le cœur de la femme est un violon, son corps est un fourreau, l’un comme l’autre parviennent à s’accommoder des plus longs archets.
Ayant biché son foot de douloureuse mais superbe façon, la Solange, guillerette, délivrée, agrandie, nous propose un café. Je l’accepte, ayant des recommandations à lui faire à propos de sa fille.
— Vous croyez que ces sales types peuvent revenir lui faire du mal ? s’inquiète-t-elle en branchant son percolateur.
Du moment qu’elle m’ouvre une brèche, je fonce !
— Je suis venu afin de vous en parler. Il faut d’urgence placer Martine dans une clinique pour la soustraire à tout danger. De plus, ça lui fera grand bien, au plan physique et moral.
— Oui, je le pense aussi.
Ce qui te prouve qu’une mère fraîchement empétardée reste attentive aux tourments de sa fille.
Elle ajoute :
— Mais c’est mon époux qui ne veut pas ; il dit que ce ne sera pas pris entièrement par la sécu.
— Vot’ mari est un sale con, ma chérie, décrète formellement Alexandre-Benoît. Avec son radis rose en guise d’membre, c’est fatal. Les pas-chibrés, j’ai r’marqué l’combien qu’y sont mesquins. A croire qu’y z’en veuillent à la terre entière d’d’voir baiser av’c un’ noix d’ cajou ! Quand il voudra vous monter, y va s’apercevoir qu’l’appart’ment s’est agrandi, non ?
— Pff ! c’était déjà trop grand pour lui, fait la dame Vénérien.
On sent que, désormais, l’obscur mépris qu’elle témoignait à son époux s’est pour toujours changé en haine ; c’est pas un coup de canif que Béru vient de donner dans leur union, mais il a opéré un déblaiement de bulldozer.
— Quand ma fille sera mariée, je divorcerai ! décide brusquement la chère femme.
Comme quoi la vie est capricieuse. Cette femme, avant notre arrivée, s’accommodait de son triste sort, somme toute. Elle se contentait du minuscule cornichon de Vénérien. Et puis Béru l’engouffre avec son braque de déménageur de pianos et le voile de résignation se déchire ! L’insurrection éclate avec les restes de son hymen ! Ah ! vie, comme tu es imprévisible, longue et précaire, infâme et superbe !
La vieille pédicure a installé son attirail podologique, ouvert son banc pliant, placé une crasseuse serviette-éponge, originellement blanche, sur ses genoux cagneux.
— Ce sera quand c’est que vous voudrez, mame Vénérien, annonce-t-elle. Je voudrais pas vous bousculer en pleine émission de télé, mais j’ai encore deux clientes à faire dans le quartier.
La Solange pose ses pantoufles et s’assied face à celle qui la délivre de ses « ongles en carnet ». Ce faisant, elle exhale une plainte.
— Ça me brûle ! explique-t-elle.
— Faudrait que vous faisez quéques blablutions, conseille le Mastar. D’autant qu’si vous seriez opérationnelle, vous risquez la r’montée d’un d’mes al’vins dans vot’ aquarium à babies. Ça lu f’rait combien d’écart av’c la grande ?
— Ça ne me déplairait pas, avoue Solange, songeuse.
Moment enchanteur.
— C’est comment, votre petit nom, commissaire ? s’inquiète-t-elle. Si par hasard la chose se produisait, je l’appellerais comme vous, à condition que ce soit un garçon, évidemment.
— Ce serait un garçon ! déclare avec une grande péremptoirité Sa Majesté, on n’a jamais fait aut’chose, chez les Bérurier, aussi loin qu’on putasse remonter. Slave dit, mon blaze c’est Alexandre-Benoît.
Elle baisse ses paupières avec ferveur et répète, comme en prière :
— Alexandre-Benoît. C’est très beau !
— Ça fait de l’usage ! répond de façon énigmatique le Casanova au formidable appendice.
A cet instant, le téléphone craquette.
— Ça vous ennuierait de répondre ? me prie Solange dont le pinceau droit est déjà en cours de restructuration.
Le biniou est à portée de ma dextre. Je décroche.
— Vénérien ! annoncé-je.
— On voudrait parler à Martine, fait une voix morne.
— De la part de qui ?
— Appelez-la, on le lui dira.
— Martine vient d’entrer dans une maison de repos.
— Qu’elle y crève !
On raccroche.
Ça m’époustoufle toujours, moi, les ironies du hasard. Voilà que les gaziers tortureurs sonnent chez la pauvre gosse au moment où je m’y trouve et que c’est moi qui leur réponds ! Mais dis voir, ils ont de la suite dans les idées, ces misérables. Alors elle n’en a pas terminé avec eux, la pauvre môme ? Une rage glacée me dévale dans les extrémités.
— Qui était-ce ? s’inquiète la pédicurée.
— Je crains qu’il s’agisse des assassins d’Al Esbrouf. Il faut évacuer la petite de toute urgence, madame Vénérien. Je m’en occupe.
— Je ne sais pas ce qu’en pensera Siméon, répond-elle.
— Siméon ?
— Mon mari.
— Faites-vous pas d’souci, ma blanche hermine, glousse Bérurier. S’il en penserait du mal, ton minable, j’y craquerais la gueule avant de l’embastiller pour voie de fête su’ la personne d’un officier de police !
Il a toujours su régler les litiges délicats de façon plaisante, Alexandre-Benoît.
CHAT CLOWN 4
Ils sont venus, ils sont tous là : le Gros, Blanc, Pinaud, Mathias, Violette, les autres. Pressés anchois, debout dans le bureau du Vieux (puisque tel est le bon plaisir du monarque tondu).
Il me verrait, serait moins content, Chilou. Debout sur son sous-main, l’Antonio joli, afin de bien dominer l’auditoire.
Je leur dis :
— Mes amis, ces meurtres racistes scandalisent les quatre cinquièmes du pays. Ils sont barbares, ils sont honteux, ils doivent cesser très vite et leurs auteurs châtiés. Les plus hautes instances nous ont fait comprendre que, dans certains cas, la justice expéditive serait la meilleure. Nous allons consacrer tous nos efforts à retrouver l’un des types ayant perpétré la première « action » et donné à la fille mission de diffuser le message notifiant cette déclaration de guerre du F.P. aux immigrés maghrébins ou noirs. Voici ce que je peux vous apprendre sur lui : il est costaud, trapu, avec une épaule plus haute que l’autre. Il porte une chaîne d’argent au cou et il aurait sur une main un tatouage représentant une araignée. Cette dernière précision sous réserves car elle m’a été fournie par la fille au message, laquelle est en pleine dépression. Toutefois, tenons-la pour valable et recherchons un tatoué de ce style. Je vous interdis de bouffer, de dormir, voire de déféquer avant d’avoir trouvé ce gazier ! En chasse !
Bref et péremptoire ! Efficace, donc !
Je congédie ces éminents collaborateurs, à l’exception de mon quatuor de choc : Béru, Blanc, Pinuche et Mathias.
— Quelque chose à proposer ? leur demandé-je.
Jérémie qui me semble tout rêveur, ce morning, murmure :
— Oui : moi !
— C’est-à-dire ? insisté-je.
— Ce « mouvement F.P. » a déclaré la guerre à qui ? Aux Africains qui frayent avec des Blanches, nous sommes bien d’accord ? Je vais momentanément quitter la police pour retrouver mon ancien boulot de balayeur et je me montrerai ostensiblement en compagnie d’une Blanche. On se retrouvera dans des bistrots, elle et moi. On ira dans des hôtels de passes. Bref, je ferai tout pour devenir la « victime idéale ». J’aurai sur moi un micro-émetteur afin de rester en liaison permanente avec le collègue qui me couvrira. Valable, non ?