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Lennon agrippa le rebord de la table, comme soulevé par une rage qui menaçait de l’emporter. Une colère si brûlante qu’elle semblait ouvrir en deux son crâne chauffé à blanc. Devant les signes qu’il manifestait, Susan recula. Il s’assit, planta ses dents dans le dos de sa main, et sentit la douleur le cisailler au milieu du tumulte.

Un juron lui échappa.

Les larmes n’étaient pas loin, honte et fureur à goût de sel. Il déglutit avec force et appuya les paumes de ses mains sur ses yeux jusqu’à voir des volutes rouge vif tourbillonner contre le noir.

Quand l’intensité de l’émotion retomba et que sa vision fut revenue, il chercha Susan. Elle était appuyée contre le mur du fond, le visage durci contre la peur et la pitié.

« S’il te plaît, va-t’en. »

Il renifla et s’essuya le visage.

« Je ne te pardonnerai jamais ça, dit-il. Jamais. »

Elle eut un rire bref, triste. « Pourquoi voudrais-je de ton pardon ? Va-t’en maintenant. »

Lennon se leva. « J’ai besoin de prendre quelques affaires.

— D’accord, mais dépêche-toi. Et rends-moi la clé. Si tu n’es pas parti dans trois minutes, j’appelle la police. »

Il sortit son trousseau de sa poche, détacha la clé de l’appartement et la jeta sur la table. Puis il emprunta le couloir et gagna la chambre. La colère bouillonnait toujours en lui. Ce qu’il voulait se trouvait au fond du placard. Les documents concernant Dan Hewitt, enfermés dans le coffre-fort.

Alors qu’il traversait la pièce, il aperçut un mouvement par la fenêtre. Un petit convoi de voitures approchait.

Deux véhicules sérigraphiés, un banalisé, et un fourgon.

Pas de gyrophares, pas de sirènes. Ils venaient pour lui, aucun doute. Ses empreintes avaient été relevées et Flanagan voulait maintenant le placer en garde à vue. Il s’écarta de la fenêtre.

Et s’il les attendait ici, s’il laissait Flanagan l’emmener ? Elle finirait par reconnaître son innocence. Mais dans combien de temps ? Le meurtrier de Rea aurait alors disparu, dissimulé ses traces. Et les griffes de Bernie se seraient refermées sur Ellen.

Non, il devait s’enfuir.

Il vit Flanagan descendre de la voiture banalisée, Calvin sortir par la portière du conducteur. Ils marchèrent droit sur l’entrée de l’immeuble et disparurent de sa vue.

Il se tourna vers le placard. Pouvait-il s’autoriser les secondes nécessaires pour ouvrir le coffre-fort et attraper les dossiers ? Non.

Fonce.

Il partit en trombe. La chambre, le couloir, Susan dans le salon.

« Ne reviens plus ici », lança-t-elle, mais il l’entendit à peine en franchissant le seuil.

L’ascenseur était déjà en route. Il courut tant bien que mal jusqu’à l’escalier au bout du couloir, s’arrêta à la porte, tendit l’oreille, jeta un coup d’œil par le petit hublot en verre armé. Personne. Descendre lui était plus douloureux que monter, et ses vieilles blessures à la hanche et sur le côté se rappelèrent à son souvenir.

En approchant du palier du deuxième étage, il entendit une porte s’ouvrir et se refermer plus bas, puis des pas qui gravissaient les marches. Il se glissa dans le couloir, s’aplatit contre le mur, sans qu’on pût le voir par le hublot, et écouta la progression des policiers.

Quand ils eurent atteint l’étage de Susan, il se rua à nouveau dans l’escalier. Il avait le souffle court en arrivant au rez-de-chaussée et sortit par une issue de secours, côté rivière, à l’opposé du parking.

Pas moyen de récupérer sa Seat Ibiza. Il ne lui restait plus qu’à marcher, aussi vite que le permettait son corps meurtri. Il partit vers le sud sur le chemin qui longeait le bord de l’eau, puis tourna au coin de l’immeuble. Après s’être assuré que personne ne le suivait, il traversa la chaussée et remonta par le réseau des rues qui s’écartaient du quai.

30

Flanagan marchait de long en large dans la cuisine, la fureur en elle comme un brasier. Elle ferma les yeux, respira profondément, étouffa sa colère. Garde ta rage pour les moments où elle peut t’être utile, pensa-t-elle, ne la gaspille pas.

Susan McKee la regardait, assise sur le canapé du salon. Les yeux rouges et humides, sa fille blottie contre elle.

Calvin était resté avec Flanagan. Deux agents en uniforme attendaient à la porte de l’appartement, deux autres fouillaient les chambres.

« Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Calvin.

— Une minute… »

Flanagan alla s’asseoir en face de Susan.

« Vous êtes au courant des ennuis de Jack, n’est-ce pas ? »

Susan embrassa sa fille. « Prends du papier et des crayons, et va dessiner à la table. Je n’en ai pas pour longtemps. »

La fillette s’exécuta sans protester. Elle ressemblait à Susan. Même finesse des traits, mêmes cheveux noirs.

« Qu’est-ce que vous espérez découvrir ? demanda Susan.

— Je ne le saurai pas avant de l’avoir trouvé. Il me faut ses vêtements, ses chaussures, tout ce qui pourrait conserver des traces. »

Susan serrait les mains. « Est-ce que Jack a tué cette femme ?

— L’enquête commence à peine. Mais pour l’instant, c’est notre suspect principal. Notre seul suspect. »

Les larmes de Susan débordèrent. Elle se pencha en avant, enfouit son visage dans les mains, les épaules agitées de tremblements.

« Écoutez-moi, dit Flanagan. Vous ne l’aiderez pas en retenant des informations. Le seul moyen de dénouer tout ça, c’est de dire la vérité. Vous comprenez ? »

Susan acquiesça. Un geste infime du menton, à peine un mouvement.

« Bien. Susan, où est-il ? »

Susan ôta les mains de son visage, secoua la tête. « Je ne sais pas. Il ne m’a pas dit. Je lui ai demandé de partir hier soir, il a juste pris un sac avec des affaires. Ce matin, il est passé, il voulait voir Ellen.

— Et où est-elle ?

— Sa tante est venue la chercher hier soir. Bernie McKenna. Jack et elle ne s’entendent pas du tout. Il était furieux contre moi parce que je l’ai laissée emmener Ellen.

— Y a-t-il quelqu’un d’autre chez qui il pourrait aller ? De la famille ? Des amis ? »

À nouveau, Susan secoua la tête. « Non. Ses sœurs ne lui parlent plus depuis des années. Sa mère est placée dans une maison. Alzheimer, ou démence sénile, je ne sais pas trop. Il ne m’a jamais présenté aucun ami. »

Flanagan l’observait attentivement, cherchant à lire le mensonge sur son visage. Au cours de sa carrière, elle avait passé beaucoup de temps à écouter des femmes qui mentaient pour couvrir un homme, même si, visiblement, l’amour ne leur avait rapporté que bleus et entailles.

« Quelle relation Jack avait-il avec Rea Carlisle ? »

Susan ne répondit pas.

« Miss McKee, répondez-moi, je vous prie. »

Susan prit une grande inspiration, expira, ses épaules s’affaissèrent.

« Pour autant que je sache, ils étaient ensemble autrefois. C’était il y a des années, avant que je ne le rencontre. D’après lui, leur histoire a duré six mois. Il m’a raconté qu’elle lui demandait de l’aide au sujet d’une sorte de registre, elle voulait le lui montrer, mais le registre avait disparu quand il est arrivé chez elle.

— Vous l’avez cru ?

— Non. »

Susan leva les yeux pour soutenir le regard de Flanagan.

« Il m’a menti à propos d’elle. Quand il est allé la retrouver, il a dit qu’il déjeunait avec un vieil ami de la police. »