Flanagan se pencha en avant. « Pourquoi aurait-il menti ?
— Je n’arrête pas de me le demander. Et je ne trouve aucune raison. »
Susan savait parfaitement que ses paroles resserraient la corde autour du cou de Lennon, Flanagan le devinait à sa voix. Avant qu’elle n’eût le temps de poser une autre question, l’un des agents en uniforme lança depuis le couloir :
« Il y a un coffre-fort ici, dans le placard. »
Flanagan revint à Susan. « Vous savez ce qu’il contient ?
— Il est à Jack. Il collecte des informations sur un de ses collègues. Enfin, collègue n’est pas le terme exact.
— Quel genre d’informations ?
— Des pièces à conviction, selon lui.
— Pour accuser qui ?
— Il s’appelle Hewitt. Ils étaient amis autrefois. Je ne veux pas en dire plus. »
Flanagan rejoignit l’agent dans la chambre. La porte du placard était ouverte.
« Vous avez pris une photo du coffre-fort ?
— Oui. »
Flanagan s’accroupit devant le placard, puis se tourna vers Susan, debout à la porte, les bras serrés autour du corps.
« Quelle est la date d’anniversaire de Jack ? »
Elle essaya la combinaison. Aucun résultat.
« Et celui de sa fille ? »
Cette fois, le mécanisme se débloqua.
Flanagan attrapa le dossier cartonné à l’intérieur, se releva, le posa sur le lit et l’ouvrit. Documents originaux et photocopies. Déclarations. Comptes rendus d’arrestations. Mémos internes.
Elle revit l’élégant costume de Hewitt, ses poignets mousquetaire, sa montre de luxe.
« Bon sang… »
Son portable vibra. « Oui ? »
Une voix de femme. « Allô… Inspecteur ? Madame l’inspecteur ? Comment dois-je vous appeler ? »
Abandonnant les documents sur le lit, Flanagan se détourna. « Qui est-ce ?
— Ida Carlisle. Vous m’avez laissé votre carte. J’espère que vous ne m’en voudrez pas de vous appeler.
— Pas du tout. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? »
Un souffle hésitant, plusieurs secondes d’indécision. Puis : « Pourrions-nous parler ? Mais pas au téléphone…
— Absolument, dit Flanagan. Je serai là dans vingt minutes.
— Non, pas à la maison. En ville. Cet après-midi, quand Graham sera parti.
— Très bien. Vous voyez le nouveau théâtre… le Metropolitan Arts Centre, dans le quartier de la cathédrale ? Il y a un café. Retrouvez-moi à l’étage. À seize heures ?
— À seize heures », dit Ida.
31
Lennon paya le chauffeur et descendit du taxi à l’extrémité de Fallswater Parade. Il avait trouvé un distributeur automatique dans Stranmillis Road et vidé son compte courant. Cent quatre-vingts livres. Il lui restait encore quelques centaines de livres sur un compte d’épargne, mais cet argent-là ne pouvait être débloqué rapidement.
Tête baissée, il s’approcha de la maison de Bernie McKenna et frappa du poing contre la porte.
Des voix à l’intérieur. Un voilage qui s’agitait.
Il cogna encore. « Je sais que vous êtes là ! »
Des visages apparaissaient aux fenêtres alentour. La porte de la maison d’en face s’ouvrit, un homme à la forte carrure s’appuya au chambranle.
Kevin McKenna, entre trente-cinq et quarante ans. Neveu de Bernie McKenna, cousin de la mère d’Ellen. Connu de tous les flics de la ville. Une liste d’arrestations aussi longue que le bras. Armes à feu, explosifs, extorsion, intimidation. Mais jamais aucune condamnation. Il fixa Lennon d’un regard mauvais.
Lennon martela à nouveau la porte de Bernie McKenna avec son poing. Et lança des coups de pied.
« Ouvrez cette putain de porte immédiatement.
— Ça va pas, non ? »
Lennon se retourna vers la voix. Une jeune femme, vingt ans tout au plus, se trouvait dans le jardin voisin. L’une des nièces de Bernie McKenna, sans doute.
« Où est Bernie ? demanda Lennon.
— Elle est sortie. Foutez le camp avant que je vous envoie Kevin. »
Lennon décocha un autre coup de pied. Plus fort. La porte trembla. Et encore un, en y mettant tout son poids, malgré une douleur fulgurante dans le flanc et le bas du dos.
Il entendit que l’on glissait la chaîne de sûreté, et la porte s’ouvrit de quelques centimètres. Le visage de Bernie McKenna, maigre et pointu, surgit dans l’entrebâillement.
« Qu’est-ce que vous voulez ?
— Vous savez très bien ce que je veux. Rendez-moi Ellen.
— Sûrement pas. Elle est avec sa famille maintenant, et vous ne pourrez plus la récupérer.
— Sa famille, c’est moi. »
Bernie rit. « Oh, aye ? Depuis quand ?
— C’est ma fille, bordel, et vous n’avez pas le droit de…
— Votre fille, vous dites. » Un sourire grimaçant s’étala sur le visage de Bernie McKenna.
Lennon cligna des yeux. « Qu’est-ce que vous insinuez ?
— Cette femme avec qui vous vivez à la colle, elle a mis toutes les affaires d’Ellen dans une valise. Y compris son certificat de naissance.
— Et alors ? Amenez-la-moi tout de suite avant que j’enfonce cette porte.
— Et alors ? Je vais vous le dire, moi. Votre nom ne figure pas sur le certificat. Officiellement, vous n’êtes rien pour cette enfant. Vous n’avez aucun droit sur elle. »
Pris d’un brusque étourdissement, Lennon vacilla.
« Faites un test d’ADN, dit Bernie, sans cesser de sourire. Prouvez que vous êtes le père de la petite, et ensuite, vous pourrez peut-être obtenir un droit de visite auprès du juge. Ce n’est pas à un homme d’élever une enfant, un homme seul, et surtout pas un homme comme vous. Maintenant, allez-vous-en, et ne revenez plus traîner par ici. »
Elle claqua la porte.
Lennon entendit des rires et de joyeuses exclamations à l’intérieur.
« Vous avez entendu, dit la jeune femme dans le jardin voisin. Foutez le camp. »
Il se jeta sur la porte à coups d’épaule. Son corps souffrait le martyre. Malgré la nausée qui l’envahissait, il balança encore son pied contre le battant.
Une main ferme s’abattit sur lui et l’obligea à se retourner.
Lennon se rendit compte qu’il hurlait lorsque Kevin McKenna le fit taire d’une violente gifle. Il partit à la renverse contre la porte, mais McKenna l’empoigna à deux mains par sa veste, le tira jusqu’au trottoir et l’envoya à terre.
Il essaya de se relever. Le pied de McKenna qui le frappait sous le sternum chassa tout l’air de ses poumons et lui scia les jambes. Toussant et crachant, il roula à quatre pattes.
« Si tu reviens, je te défonce la tête », dit McKenna.
Lennon réussit à se mettre debout en agrippant le muret d’un jardin. Il regarda vers la maison.
Une voix étouffée lui parvint. « Papa ! »
À une fenêtre de l’étage, Ellen, mains à plat sur la vitre, yeux écarquillés et bouche grande ouverte.
Lennon donna l’assaut.
Juste avant que le poing de McKenna percute sa mâchoire, il vit Bernie McKenna arracher sa fille de la fenêtre. Il atterrit brutalement sur le dos, sa tête heurta l’asphalte. Taches noires, douleur tonitruante derrière les yeux. McKenna qui le relevait sans ménagement et le traînait dans la rue.
Lennon tenta de se débattre, d’échapper à McKenna, mais il n’en avait pas la force. Chaque fois qu’il tirait, poussait, criait, donnait un coup de pied, des phalanges épaisses s’abattaient sur sa tempe ou sur sa joue.
McKenna le remorqua jusqu’au coin de Falls Road et le lâcha sur le trottoir devant les boutiques, les salons de coiffure, les enseignes de plats à emporter. Les passants gardaient leur distance, détournaient les yeux, pressaient le pas. Personne ne défia le colosse. Personne ne vint en aide à Lennon.