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Une clarté extraordinaire rayonnait en lui depuis qu’il s’était enfui quelques heures plus tôt, et, de retour à son domicile, s’était lavé et changé. Comme si sa vie, ainsi que le monde tout autour, lui apparaissait à présent avec une prodigieuse netteté. Comme si on l’avait opéré de la cataracte. Jamais il ne s’était senti plus rationnel, plus déterminé.

Peut-être n’était-ce pas la fin. Il avait conçu un plan, d’une simplicité élémentaire, pour survivre. Tenir bon, voilà tout ce qu’il avait à faire. Laisser les autres s’écrouler, à commencer par Graham.

Et si c’était la fin, l’implosion fatale de son univers, alors il ne pouvait s’en plaindre.

« Tu n’avais pas à t’en prendre à elle, dit Graham, la voix tremblante de rage et de chagrin. Je voulais juste la photo et le registre. C’est tout. Je ne te demandais rien d’autre. »

Quand Graham était venu lui remettre la clé, l’Étincelle s’était réjoui de l’aubaine. Il surveillait la maison de Raymond depuis qu’il avait loué celle d’en face. Attendant une occasion d’entrer et de récupérer ce qui lui appartenait. Et puis Graham l’avait retrouvé et lui avait donné la clé en exigeant qu’il emporte sa saleté de registre et ne se montre plus jamais dans les environs. Un cadeau du ciel.

Mais Graham avait raison, il n’aurait pas dû toucher à Rea. Il n’en serait pas là s’il s’était abstenu.

« Peut-être que non, répondit l’Étincelle. De toute façon, c’est trop tard maintenant. »

Graham sentait l’alcool. Son costume flottait autour de sa silhouette, comme trop grand pour lui, et sa chemise était mal repassée. Une forme noire distendait la ceinture de son pantalon.

« Tu vas me tirer dessus ? » demanda l’Étincelle.

Les yeux rouges de Graham papillotèrent. Il passa sa langue sur ses lèvres pour les humecter. « Je devrais. Tu mérites que je t’explose la cervelle. Et je le ferai peut-être. Si je suis obligé de me défendre.

— Ici ? Devant tous ces gens ? »

Graham bomba le torse pour paraître plus impressionnant. « Peut-être. »

L’Étincelle secoua la tête. « Je ne crois pas. Si tu tires, tout le monde te verra, on te reconnaîtra. Et tu seras fini. Au fond, tu es bien trop égoïste pour te sacrifier. N’est-ce pas ?

— T… t… ta gueule. » La grossièreté semblait inhabituelle dans la bouche de Graham, réduit à bégayer. « Pourquoi veux-tu me voir ?

— J’ai besoin de ton aide. »

Graham resta interdit. « De mon aide ? Après ce que tu as fait ? Pourquoi lèverais-je le petit doigt pour toi ?

— Pour me repayer du service que je t’ai rendu. »

L’incompréhension succéda à la colère sur le visage de Graham.

L’Étincelle soupira. « Tu m’as demandé de récupérer le registre, et ensuite la photo. Je t’ai obéi. En tout cas, j’ai essayé. »

Graham s’approcha de lui, la rage prenant à nouveau le dessus. « Je ne t’ai pas demandé de tuer ma fille. »

L’Étincelle sentit les fins postillons sur ses joues. Il regarda par-dessus la rambarde. À l’étage inférieur, deux policiers en uniforme déambulaient parmi la foule en mangeant des glaces au yaourt dans des gobelets en carton.

« Bon. Alors, allons trouver ces deux policiers, là en bas. Tu diras que tu voulais cette photo pour sauver ta peau, et moi, que je n’avais pas l’intention de la tuer, je le jure devant Dieu, monsieur l’agent. On y va ? »

Graham l’empoigna par ses vêtements et le repoussa contre la rambarde. « Ferme-la !

— Et après, on pourrait leur raconter ce qu’on a fait à ce chauffeur de taxi quand on était jeunes. Tu te sens tellement coupable, ça t’enlèverait un poids de la poitrine, non ? Allez, viens, allons leur parler. »

Graham le bouscula à nouveau. « Ferme-la, putain !

— Graham, Graham, Graham. » L’Étincelle lui posa les mains sur les épaules. « On nous regarde.

— Je m’en fous.

— Les gens ont des téléphones. Ils prendront peut-être des photos. »

Graham le malmena encore une fois, moins brutalement, puis il recula. « D’accord. Qu’est-ce que tu veux ? »

L’Étincelle lança un coup d’œil par-dessus son épaule. Les policiers s’éloignaient, jetant au passage leurs cartons et leurs cuillères en plastique dans une poubelle.

« Je dois m’enfuir, dit-il. Ils m’ont repéré. Ils ont la photo. Et le registre.

— Oh ! Seigneur. » Graham pâlit, les épaules soulevées par un soupir d’angoisse.

« Je n’ai plus de passeport. Je ne peux pas aller à l’étranger. Il faut que je passe la frontière au sud.

— Ils ont la photo ? Sur laquelle nous sommes, toi et moi ?

— Oui. Et le registre.

— Oh ! mon Dieu, qu’est-ce que je vais devenir ? Je suis fini. Bon sang, je suis fini. Qu’est-ce que je peux faire ? » Graham s’appuya à la rambarde.

« Arrêter de paniquer, d’abord. Les flics n’ont que ça pour établir un lien entre nous. D’après leurs infos, on ne s’est pas revus depuis l’époque de la photo. Le registre ne concerne que moi. Toi, tu n’as commis aucun crime. Sauf si je leur dis le contraire.

— Mais ma carrière. Quand les journaux auront publié ça, je serai fichu.

— En tout cas, tu n’iras pas en prison. Si je m’enfuis, le pire que tu devras affronter, c’est un scandale et une retraite anticipée. Si je m’enfuis. »

Graham se couvrit les yeux de ses mains, les épaules secouées de tremblements. « Ma petite fille est morte pour ça », dit-il, d’une voix étranglée par des sanglots d’autoapitoiement.

L’Étincelle eut envie de lui cracher à la figure. Quel homme pathétique. Si faible. S’il avait eu les moindres couilles, il aurait immédiatement prévenu la police, et sa fille serait toujours en vie.

« Tu pleureras tant que tu voudras une fois que je serai parti, dit-il. Ressaisis-toi, et écoute-moi. »

Graham tourna vers lui son visage mouillé de larmes. « Tu n’es vraiment pas humain… »

Aussi rapide que l’eau qui glisse sur le verre, l’Étincelle lui arracha le pistolet qu’il portait à la ceinture. De son autre bras, il le prit par les épaules, tout en pressant l’arme contre son ventre mou à l’insu des regards.

« Arrête de pleurnicher et écoute-moi, sinon je te troue la panse devant tout le monde. Tu n’as peut-être pas le cran de tirer, mais moi, si. C’est la seule différence entre toi et moi. J’ai la force. Toi, non. »

Graham s’essuya les yeux avec sa manche.

« Tu m’écoutes ? » dit l’Étincelle.

Graham acquiesça.

« Parfait. J’ai besoin d’argent. Assez pour vivre un an ou deux. Je me suis constitué une petite réserve, en livres et en euros, mais ce n’est pas suffisant. Je veux cinquante mille euros en espèces.

— Je ne peux pas, dit Graham, dont les bajoues tremblèrent quand il fit non de la tête. C’est trop.

— Ne me mens pas. » L’Étincelle lui enfonça le canon de l’arme dans le ventre. « Tu as dix fois ça, probablement plus. Si tu veux que je dégage, donne-les-moi.

— Il me faudra quelques jours…

— Sûrement pas. Apporte-les ici, demain, à midi. Si tu as une minute de retard, je commence à tirer, avec ton pistolet, jusqu’à ce que la police arrive. Femmes, enfants, je m’en moque. Je n’ai rien à perdre. Et quand les flics se pointeront, je baisserai mon arme, comme un gentil garçon, et je leur raconterai tout. »

Il se pencha, frôlant de ses lèvres l’oreille de Graham. « Tout, murmura-t-il. Tous les sales petits secrets. »

Graham gémit. « Je ne peux pas. C’est impossible.