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— Il disparaît souvent comme ça ? »

Le ton de la policière avait changé. Ida était capable de faire la différence, entre une conversation polie et une question qui exigeait une réponse précise.

« Toujours. » Elle versa un nuage de lait dans la tasse et la posa devant Flanagan. « Depuis les débuts de notre mariage et la naissance de Rea. J’étais enceinte avant de me marier, vous savez. »

Flanagan hocha la tête et sourit. « Ce n’est pas rare aujourd’hui.

— À l’époque, si. » Ida prit place en face d’elle. « Surtout dans ce pays. Je ne l’ai jamais dit à mes parents. Ils l’ont su, bien sûr, en voyant que les dates ne correspondaient pas. Mais nous n’en avons jamais parlé.

— Et où va Mr Carlisle quand il disparaît ?

— À des réunions du parti, à des entretiens avec des membres de la circonscription ou des collecteurs de fonds. C’est ce qu’il m’a toujours raconté.

— Vous le croyez ?

— Autrefois, oui.

— Autrefois ? »

Ida soutint le regard de Flanagan qui l’encourageait à poursuivre. « Maintenant, je m’aperçois que je ne le connais pas du tout. Je partage le lit d’un étranger depuis plus de trente ans. J’ai toujours culpabilisé à cause de la manière dont il me traitait. Je pensais que je le méritais. Quelle imbécile je suis.

— Il vous obligeait à culpabiliser. À vous sentir fautive. J’ai beaucoup rencontré cette forme de maltraitance, c’est toujours une affaire de contrôle. Je peux vous donner des noms. Il y a des gens à qui vous pouvez parler. Des gens qui sont là pour vous aider. »

Ida faillit lui répondre qu’elle n’avait pas besoin d’aide, que son chemin était clairement tracé. Mais elle se contenta de demander : « Vous avez annoncé à votre mari que vous avez un cancer ? »

La compassion s’effrita dans les yeux de Flanagan, révélant la tristesse au-dessous. Elle secoua la tête. « Non, je n’ai pas eu le temps. Je ne suis pas beaucoup chez moi depuis quelques jours.

— Vous avez peur de le lui dire. » Ce n’était pas une question dans la bouche d’Ida.

Flanagan fixa son thé, les mains refermées autour de la chaleur de la tasse. « Oui.

— Alors, vous venez ici à onze heures du soir pour ne pas vous retrouver en face de lui. Comme Graham qui sort pour m’éviter.

— Ce n’est pas pareil, lâcha Flanagan d’une voix soudain cassante. Ça n’a rien à voir… Et je ne suis pas ici pour parler de moi.

— Non, vous voulez parler de Graham.

— Absolument. » La colère qui avait obscurci le visage de Flanagan retomba. « Comment va-t-il ?

— Il est ivre, la plupart du temps. Il n’avait plus touché à une goutte d’alcool depuis notre mariage, mais il a acheté une bouteille de whisky le lendemain matin après la mort de Rea. Et d’autres ensuite. Il y en a une dans le placard, si vous en voulez.

— Non, merci. » Flanagan posa les mains à plat sur la table. « Ida, nous avons trouvé le registre. Nous savons qui… »

Un vacarme soudain. La porte d’entrée qui s’ouvrait en grand et heurtait le mur avec fracas, une bouffée d’air froid. Tournant la tête vers le vestibule, elles virent Graham, appuyé contre le chambranle.

Il cligna des paupières, les yeux rouges dans un visage plus rouge encore. « Qu’est-ce qui se passe ? »

49

Flanagan ne termina pas sa phrase. Elle avait espéré arracher une vérité à Ida avant le retour de son mari, mais à présent, c’était trop tard. Et il était ivre.

Elle se leva. « Monsieur Carlisle, je dois vous poser quelques questions. »

Il claqua la porte derrière lui. « Bon sang, je vous l’ai déjà dit. Je ne répondrai qu’en présence de mon avocat. Foutez-moi le camp. »

Carlisle s’avança d’un pas lourd dans le vestibule, les poings serrés. Il transpirait la violence.

Rester ou partir ?

Non, elle ne laisserait pas Ida seule avec lui.

« Faites donc, répliqua Flanagan, appelez votre avocat. Nous parlerons en l’attendant. »

La silhouette massive de Carlisle s’encadra sur le seuil. « J’ai dit, dehors !

— Monsieur Carlisle, je peux aussi appeler une voiture qui vous emmènera au… »

Il attrapa le bord de la table, la souleva, envoya à terre la tasse de thé brûlant et l’assiette contenant le reste du toast. Comme la table refusait de basculer, il redoubla d’efforts. Un sanglot de colère s’étrangla dans sa gorge.

Flanagan recula, le dos contre le réfrigérateur.

« Ramasse », aboya Carlisle à l’adresse de sa femme.

Ida obéit. Impassible, elle rassembla les morceaux de porcelaine brisés et les déposa dans l’évier.

« Monsieur Carlisle, nous avons récupéré le registre. »

Il se tourna vers Flanagan. Elle s’attendait à lire la surprise et la peur sur son visage, mais ne vit que la haine.

« Et alors ?

— Vous m’avez menti. Vous avez obligé votre femme à mentir aussi. »

Il trébucha en avant, glissa sur le thé renversé, retrouva son équilibre. « Ça n’a rien à voir avec moi ! s’indigna-t-il.

— Et la photo. » Flanagan ne faiblit pas sous le feu de ses yeux rougis. « Vous avez empêché votre fille de montrer ce registre. Vous lui avez demandé de le garder secret afin de protéger votre carrière, et maintenant, elle est morte. »

Il pointa un doigt vers la porte. « Dehors.

— Je sais qui a tué Rea.

— Fichez le camp.

— Howard Monaghan. Il était sur la photo avec vous et Raymond Drew. C’est lui qui a tué votre fille. »

Les traits de Carlisle n’exprimèrent aucune stupeur, pas la moindre surprise. Seulement une fureur ivre.

Il savait, pensa Flanagan. L’idée s’imposa à son esprit, avec une évidence et une clarté absolues. Carlisle connaissait depuis le début l’identité du meurtrier de sa fille, et il n’avait rien dit.

Et maintenant, il savait qu’elle aussi le savait.

Carlisle fit un pas vers elle et voulut l’empoigner par le col de son manteau. Elle écarta fermement sa main.

« Monsieur Carlisle, avez-vous parlé avec Howard Monaghan aujourd’hui ?

— Graham. » La voix d’Ida, plus loin, derrière son mari.

« Sortez d’ici ! »

Flanagan sentit son haleine chaude sur sa peau. « Répondez à ma question, monsieur Carlisle. Avez-vous été en contact avec Howard Monaghan ? »

Ida s’approchait. « Graham. »

Il posa la main sur le sternum de Flanagan et la poussa brutalement. Elle se cogna la tête contre la porte du réfrigérateur.

« Foutez le camp de chez moi, je n’ai pas à…

— Graham. »

Il pivota vers la voix d’Ida, la main levée, prêt à frapper. « Qu’est-ce que tu v… ?

Puis le silence. Il sembla à Flanagan qu’elle était soudain devenue sourde, les oreilles emplies par le seul bruit du sang qui cognait et bourdonnait dans sa tête.

Carlisle se figea, bouche ouverte. Ida, à nouveau, brandit un objet brillant.

Flanagan comprit, trop tard, tandis que le ventre de Carlisle se teintait de rouge. La main d’Ida retira la lame, la planta encore, encore, et encore.

Un gémissement plaintif sortant de la bouche de Carlisle libéra Flanagan de ce qui la paralysait. Elle se jeta en avant, attrapa le poignet d’Ida, la repoussa.

Le couteau tomba sur le carrelage avec une force telle que la lame se sépara de la poignée. Ida partit à la renverse. Arrêtée dans sa chute par les placards qui tapissaient le mur opposé, elle se laissa glisser à terre, les genoux relevés contre sa poitrine, les yeux sur Flanagan.