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« C’est largement suffisant, dit Lennon. Arrêtons-nous là.

— D’accord… Mais juste un dernier. »

C’était l’heure de laisser sortir l’éclair. D’araser le monde, de tout niveler. L’heure des flammes.

L’Étincelle appuya le canon contre sa tempe.

58

« Non ! » Lennon se jeta instinctivement en avant.

Au moment où son épaule heurtait l’Étincelle, il entendit le coup de feu, perçut la brûlure de l’explosion sur sa joue. Le corps de l’Étincelle s’abattit contre la rambarde, et s’il n’y avait eu le vrombissement strident que lui laissait la détonation dans l’oreille, Lennon aurait entendu le soupir de l’homme plus petit et plus frêle qu’il écrasait sous son poids.

Le pistolet glissa sur le sol en tournoyant. Des mains cherchèrent à agripper sa gorge. Il colla fermement son menton à sa poitrine, enveloppa dans ses bras le torse de l’Étincelle, et serra. C’était comme se débattre avec un chien effrayé qui tentait de mordre et de griffer.

« Écartez-vous, Jack ! »

La voix de Flanagan, à des kilomètres de là, qui parvenait faiblement à son oreille dévastée, assaillie par des coups de dent. Aucune force, aucune stabilité, il n’avait que sa masse. Il s’en servit pour maintenir l’Étincelle contre la rambarde. Mais cela ne suffisait pas.

L’Étincelle retrouva ses appuis et le repoussa. Lennon ne résista pas longtemps. Déstabilisé, il recula vers l’escalier, les pieds de l’Étincelle pris dans les siens. Ses doigts essayèrent d’accrocher un vêtement lorsque le sol se déroba sous lui. Le monde virevolta, rien que l’air autour d’eux, avant l’impact du rebord des marches contre son dos. Il raidit le cou et les épaules, mais ne put s’éviter le choc derrière le crâne.

Tout devint noir pendant un instant, puis ce fut la descente, nuque, omoplates, genoux fracassés, tandis que l’Étincelle tourbillonnait avec lui dans la spirale de verre.

Ils s’arrêtèrent entre les deux niveaux, Lennon sur le dos, tête en bas, pieds battant l’air, étoiles noires devant les yeux. L’Étincelle, haletant, couché en travers de sa poitrine, se mit à plat ventre sur lui pour l’immobiliser et approcha sa bouche au point qu’il percevait sa respiration.

En essayant de redresser la tête, il vit les dents de l’Étincelle. Un filet tiède coulait sur son cuir chevelu. Des poings empoignaient ses cheveux, son cou ne lui obéissait plus, tiré vers le haut et retombant brutalement, une décharge dans son crâne. Encore une. Le monde bascula, tout devenait flou. Il leva les mains, chercha à tâtons le visage de l’Étincelle, enfonça les pouces dans ses yeux.

L’Étincelle se libéra et frappa du front la pommette de Lennon. L’orbite noyée de sang, Lennon distingua encore une fois, de son œil valide, les dents prêtes à s’enfoncer dans sa chair. Une pression dans sa joue de l’autre côté, la douleur d’une déchirure.

Sa conscience clignota, pareille à un signal radio qui faiblit. Tandis que les mains de l’Étincelle se refermaient sur sa gorge, aveuglé par le sang, il enregistra à peine la présence de Flanagan dans son champ de vision.

Elle devait crier quelque chose car ses lèvres bougeaient.

Si l’Étincelle entendit, il n’en laissa rien paraître. Les muscles de sa mâchoire se contractèrent, et il serra plus fort.

Le tonnerre s’ajouta au vrombissement dans les oreilles de Lennon. Il vit les lèvres de Flanagan remuer à nouveau. Il vit Beattie la bousculer pour s’approcher, un bâton télescopique à la main. Il vit la tête de l’Étincelle valser sous un premier coup, suivi d’un deuxième, et ses paupières qui s’affolaient. C’est alors seulement que les doigts se desserrèrent autour de sa gorge.

Ils demeurèrent joue contre joue, le poids de ce corps mince sur la poitrine du policier, les yeux et la bouche du meurtrier, ouverts, et un rire enfantin que Lennon sentit résonner contre lui.

59

Flanagan trouva Lennon dans un box fermé par un rideau près de l’accueil des urgences, étendu sur un lit. L’œil tuméfié, un pansement sur la pommette, son visage, un patchwork de contusions et d’entailles.

« Combien de points de suture ?

— Cinq sur la joue, répondit Lennon, les lèvres crispées. Deux derrière la tête. J’ai connu pire.

— On vous a donné quelque chose contre la douleur ? »

Il parut ne pas comprendre. Pointa un doigt sur son oreille.

Elle répéta la question, plus fort.

« Je ne préfère pas, dit Lennon.

— Quand pourrez-vous partir ?

— D’après les radios, mon crâne est entier, mais ils veulent me garder une nuit. Si jamais il y avait un traumatisme. »

Elle tira le rideau pour éloigner le brouhaha et les voix qui fusaient dans le couloir. Il la suivit des yeux, sans bouger la tête, quand elle s’approcha.

« Qu’est-ce que vous allez faire, maintenant ? demanda-t-elle.

— Je ne sais pas. Du moment que je récupère ma fille, c’est tout ce qui m’importe. Et Calvin ?

— Il est sorti du bloc. Ça ira. » Flanagan prit une inspiration. « J’aimerais m’excuser…

— Pas la peine.

— Si. Je voulais une réponse facile, une résolution rapide. J’aurais dû écouter ce que vous me racontiez. »

Lennon secoua la tête, un mouvement imperceptible. « Vous avez tenu compte des informations dont vous disposiez. J’aurais agi comme vous. »

Flanagan s’immobilisa, debout près du lit.

« Je vais vous aider, dit-elle, dans la mesure de mes moyens. Vous méritez cette pension que vous réclamez. Je ne peux rien promettre, mais j’ai rendez-vous avec l’ACC demain après-midi. S’il le faut, je saisirai l’Ombudsman et le Conseil supérieur de la police.

— Merci.

— Dommage, quand même. J’aurais toujours besoin d’un bon élément dans mon équipe. »

Une esquisse de sourire sur le visage amoché de Lennon. « Vous me foutriez dehors en moins d’un mois.

— Peut-être… On ne saura jamais. »

Elle allait sortir, une main sur l’épais rideau, quand Lennon lança :

« Dan Hewitt.

— Oui, quoi ?

— Il sait que vous avez vu mon dossier sur lui.

— Exact.

— Faites gaffe. Il est dangereux.

— C’est marrant, répliqua Flanagan. Il m’a dit la même chose sur vous. »

« Je ne regrette pas mon geste », dit Ida Carlisle.

Une odeur d’eau de Javel et d’urine flottait dans la cellule. Appuyée contre le mur, Flanagan sentait la pierre lui glacer les épaules. Ida, vêtue d’un pyjama en papier, était assise sur le mince matelas recouvert de vinyle qui tenait lieu de lit, les mains croisées, un pansement sur le poignet qu’elle avait essayé d’entailler.

« Vous devriez le regretter, dit Flanagan. Du moins, c’est ce que je suis censée vous dire. Mais je n’y arrive pas.

— Quelle heure est-il ? » Ida regarda la fenêtre. Au-delà, le noir impénétrable.

« Pas loin de minuit. Essayez de dormir un peu. Vous passez devant le juge à neuf heures.

— Que vont-ils faire de moi ?

— Difficile à dire. Nous demanderons l’indulgence, mais vous serez condamnée à une peine. Impossible de l’éviter. En tout cas, ce ne sera sans doute pas une prison de haute sécurité.

— Est-ce que j’aurai le droit d’assister à l’enterrement de Rea ?

— Bien sûr. Je vous accompagnerai. »

Ida sourit. « Merci. Vous êtes quelqu’un de bien. »

Flanagan lui rendit son sourire. « Vous aussi. Vous vous êtes retrouvée dans une situation difficile, c’est tout. »