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Mikael s’arrêta et recula.

« Écoute-la, ramasse-merde. Ne la laisse pas seule.

— Je te tuerai », dit férocement Mikael.

Ojsternig le regarda la tête inclinée sur le côté. Il éclata de rire. « Et comment penses-tu y arriver ? »

Mikael cracha dans sa direction. « Je te tuerai !

— Bon, je vais manger. J’ai faim. Mais je reviendrai vous regarder mourir. Attends-moi. »

Mikael l’entendit ordonner aux soldats de le repousser s’il montait, mais sans le tuer.

« Mikael… », murmura Eloisa.

Lentement, Mikael redescendit les barreaux. À la lumière de la torche, il vit la pâleur d’Eloisa. « J’ai échoué, lui dit-il. Pourras-tu jamais me pardonner ? »

Eloisa se serra contre lui. « Mieux vaut mille fois mourir dans tes bras que vivre sans toi », répondit-elle tout bas.

Mikael se tourna vers Agnete.

Celle-ci détourna les yeux, le visage contracté.

« Tu m’as dit un jour que tu ne me le pardonnerais jamais, s’il arrivait quelque chose à Eloisa par ma faute », chuchota-t-il.

Agnete s’éloigna, réprimant sa colère.

Mikael et Eloisa restèrent enlacés, sans parler.

« Comment est notre fils ? », demanda Mikael, brisant le silence.

Eloisa enfonça le visage contre sa poitrine, respirant l’odeur du sang et retenant ses sanglots. Puis elle leva la tête. « Il est beau et fort comme son père, dit-elle avec un sourire douloureux mais plein de douceur. Ton portrait tout craché. »

Le silence descendit à nouveau.

Eloisa le prit par la main et l’entraîna dans un recoin de leur prison. Elle s’assit par terre. « Viens te serrer contre moi. »

Mikael s’assit près d’elle et la prit dans ses bras. Ce fut alors qu’il vit les blessures à ses mains. « Qui t’a fait ça ? lui dit-il.

— Ce n’est rien. » Elle lui sourit. « Raconte-moi ce que tu as fait pendant tous ces mois où tu étais loin », demanda-t-elle en lui caressant le visage.

Mikael s’était imaginé le lui raconter devant un feu de bois, son fils sur les genoux, ou au lit, après l’amour. Mais cela n’arriverait pas. Le temps leur était compté. Ils mourraient dans ce tunnel.

« Non ! s’écria-t-il avec colère en se levant d’un bond.

— Mikael… dit Eloisa en essayant de le retenir.

— Non ! », répéta Mikael. Il se jeta sur son épée. « Je te sortirai d’ici ! » Il s’empara de la torche et se dirigea presque en courant vers le fond du boyau. Arrivé à la sortie murée, il l’examina à la lueur de la torche. C’étaient de grandes pierres, encastrées les unes dans les autres et jointoyées au mortier. Il posa par terre l’épée et la torche, et commença à creuser furieusement entre les pierres avec la pointe de son poignard. La première couche enlevée, il glissa la lame entre les pierres et exerça une pression pour faire levier. Le poignard se brisa en deux. Mikael le jeta avec rage. Il s’empara de son épée et commença à taper sur les pierres, en la tenant par la lame comme si c’était un pic. Malgré les blessures à ses paumes, il frappait sans discontinuer, de toutes ses forces. Le métal produisit des étincelles mais fit à peine sauter quelques éclats.

Alors le rire d’Ojsternig, revenu savourer la fin de ses prisonniers, s’insinua dans le boyau, couvrant le heurt sourd du métal contre les pierres. « Tu crois donc qu’il n’y a pas de soldats, de l’autre côté ? Épargne tes forces, ramasse-merde !

— Non ! s’écria Mikael en intensifiant ses coups. Non ! » La lame lui coupait les paumes.

« Mikael… », dit Eloisa derrière lui.

Mikael continua de frapper dans les fentes avec son épée, aveuglé par la fureur et le désespoir.

« Arrête… supplia Eloisa. Mikael, reste avec moi… » Elle posa la main sur son dos. Puis elle s’étendit sur la pierre froide et rugueuse. « Viens là », murmura-t-elle.

Mikael, lentement, rampa en arrière jusqu’à elle et s’étendit à ses côtés. Il devait être fort pour elle. Il lui souleva la tête jusqu’à rencontrer ses lèvres.

« Chaque fois que tu m’embrasses, je sens un coup au cœur, murmura-t-elle.

— Ça n’aurait pas dû finir de cette façon, dit Mikael. J’ai été présomptueux. Je croyais pouvoir changer le monde… Et au lieu de ça… regarde dans quoi je nous ai fourrés. Je t’ai condamnée à mourir à l’endroit même où tu m’as donné la vie. » Il hocha la tête. « Quelle absurdité.

— Mikael, dit alors Eloisa, je t’aime simplement parce que je ne peux pas m’en empêcher. » Elle passa un doigt le long de la cicatrice sur son front. « Mais je t’aime encore plus de vouloir changer le monde. »

Ils restèrent silencieux, se caressant lentement, avec une douceur désespérée qui portait en elle la conscience de la fin.

Quand ils revinrent en arrière dans le boyau, Eloisa s’approcha de sa mère.

Agnete avait le visage contracté, les yeux comme deux fentes pleines de colère.

« Pleurez, mère », dit Eloisa.

Agnete ne la regarda pas.

« Pourquoi ne pleurez-vous pas ? insista Eloisa.

— Parce que je n’en suis pas capable », répondit Agnete d’une voix éteinte.

Mikael restait à l’écart.

« Mère… », dit alors Eloisa, une supplication muette dans le cœur. Elle lui toucha la main et se tourna vers Mikael.

Agnete serra les lèvres, puis quelque chose se brisa en elle. Elle caressa le visage de sa fille, avec la même certitude et le même désespoir, sachant que c’était la dernière fois. Puis elle tendit le bras vers Mikael.

Celui-ci s’approcha, tête basse.

Agnete lui prit la main et le fit asseoir près d’elle. « Tu n’as rien fait de mal, mon garçon. Je n’ai rien à te pardonner. »

Les yeux de Mikael se remplirent de larmes et il se jeta contre elle.

Agnete caressa ses longs cheveux blonds. À Eloisa, elle dit : « J’ai toujours su que tu avais gardé une mèche de ces belles boucles blondes. Tu avais prié toute la nuit, même dans ton sommeil, pour que Mikael ne se fasse pas dévorer par les loups. À l’aube, la mèche t’a échappé des mains et je l’ai trouvée par terre. J’aurais voulu te bourrer de coups parce que tu m’avais désobéi, mais je n’en ai pas eu le courage… » Ses yeux se remplirent de tendresse. « Tu as aimé ce garçon dès le premier jour. »

Eloisa appuya à son tour la tête contre sa mère, près de celle de Mikael.

Agnete leur caressait les cheveux et revoyait leur vie, si proche maintenant de sa fin.

« Vous vous souvenez d’Hubertus, mère ? dit Eloisa en souriant.

Agnete eut un petit rire. « Je me rappelle le matin où tu as dit à Mikael que son nom ne lui allait pas, vu que ce rat dégoûtant n’était pas un mâle mais une femelle.

— Et moi, j’y ai cru… murmura Mikael.

— Parce que tu es un gros bêta », dit Eloisa. Elle tendit la main pour chercher celle de Mikael. Ils entrelacèrent leurs doigts sur les cuisses d’Agnete.

« Oui, tu as toujours été un désastre, mon garçon, dit Agnete en riant encore. Si tu avais vu ta tête le soir où je t’ai dit que c’était à moi que tu faisais du pied, et pas à Eloisa… »

Mikael et Eloisa sourirent, le cœur plein de tristesse.

« Oui, dit Agnete. Nous avons eu de bons moments. »

Pendant une grande partie de la nuit, aucun des trois ne réussit à parler. Les heures s’écoulaient avec lenteur, épaisses comme du goudron. Ils avaient perdu la notion du temps.

À un moment, la torche, dans une dernière lueur, s’éteignit.

C’était comme une préfiguration de la mort.