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« J’ai peur, murmura Eloisa.

— Non ! s’exclama Mikael en s’arrachant à cette torpeur. Nous ne pouvons pas nous rendre. On serait arrivés jusqu’ici pour renoncer ? Non ! », dit-il d’un ton déterminé.

Ni Eloisa ni Agnete ne répondirent. Perdues dans le noir, elles sentaient l’espoir décliner peu à peu.

« Non », répéta Mikael, têtu. Il pensa de nouveau que ses hommes étaient là, dehors. Mais il savait qu’ils n’étaient pas assez nombreux pour attaquer le château. Alors, peut-être poussé par le désespoir, il se souvint de la prophétie d’Emöke, le jour des combats organisés entre les jeunes gens de la vallée par Ojsternig. “Il réalisera son destin par l’épée, qui transformera tous en un seul.” Elle n’avait pas dit qu’il mourrait pris au piège comme un rat. Une voix, en lui, disait que son espoir devait être bien faible, pour qu’il s’accroche ainsi à une prophétie. « Non », répéta-t-il encore, serrant les poings, résistant à la voix qui lui soufflait de renoncer. Depuis qu’il avait sauvé Emöke, sa vie avait été habitée par la magie. Elle avait dit autre chose encore, se souvint-il. Il posa les mains et le front contre la pierre froide. « Gregor… murmura-t-il, tu as promis de m’aider.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda Agnete.

— Gregor, honore ta promesse, dit Mikael plus fort.

— Viens ici, dit Agnete.

— Gregor, tu as promis de m’aider ! cria alors Mikael en tapant sur le mur avec ses poings.

— Viens ici, mon garçon, répéta Agnete.

— Mikael… », dit Eloisa d’une voix angoissée.

Il resta immobile quelques instants. Puis, vaincu, il céda à cette voix en lui qui lui disait de renoncer. Il revint s’étendre près des deux femmes avec lesquelles il allait attendre la mort.

Il lui semblait que le temps s’était mis à courir sans aucune mesure, aucun sens.

Soudain, aucun des trois n’aurait su dire quand, un bruit confus de voix s’insinua dans le boyau. Ouaté, lointain, presque irréel.

Mikael releva la tête.

« C’est quoi ? », demanda Eloisa d’une voix rauque.

Mikael se mit debout, tendu, essayant de comprendre d’où provenait ce bruit.

Eloisa et Agnete se levèrent à leur tour et se prirent par la main. À la rumeur de voix s’ajoutaient des coups frappés, répétés, qui faisaient vibrer l’air.

« C’est quoi ? », demanda de nouveau Eloisa d’une voix plus forte.

Mikael courut vers l’échelle qui montait jusqu’à la trappe.

Les soldats aussi, en haut, s’agitaient, inquiets.

L’intensité des coups grandissait.

« Par-là ! s’écria Mikael.

— Où ça ? demanda Agnete dans le noir.

— Au fond du boyau ! », s’écria-t-il en s’élançant à l’aveuglette dans l’obscurité. Il courut. Il entendait les coups devenir de plus en plus forts, jusqu’au moment où il se cogna contre le plafond qui s’abaissait, dans la dernière partie du boyau. Il tomba, assommé, tandis que le bruit des coups s’accélérait. « Par ici ! », cria-t-il à nouveau.

Eloisa et Agnete le rejoignirent.

Mikael les attendait en écartant les bras pour leur éviter de se cogner la tête, elles aussi. « À quatre pattes », dit-il, une excitation incontrôlable dans la voix. Eloisa le rejoignit.

« Qu’est-ce qui se passe ? », demanda-t-elle.

Mikael ne répondit pas et progressa à toute vitesse dans le noir.

« Ils nous attaquent ! », cria un des soldats restés près de la trappe.

« Ce sont mes hommes ! s’exclama Mikael. Mes hommes ! Tout n’est pas perdu ! »

Soudain, tout au fond, une fine lame de lumière perça l’obscurité.

77

La première pierre qui obstruait le passage secret roula sur le sol. « On est là ! cria Mikael.

— Ils sont vivants ! dit une voix en écho à l’extérieur. Ils sont vivants ! »

Mikael s’agrippa aux pierres en essayant de les faire bouger.

« Enlève tes mains ! », cria la voix. Puis un grand coup de pic fit tomber une autre pierre.

La lumière envahit le boyau.

Au bruit de voix indistinct se superposèrent tout à coup des cris de douleur et de rage, et le choc métallique des armes. La bataille, dehors, avait commencé.

Mikael fit demi-tour et alla chercher son épée. À son retour, les coups de pic avaient ouvert une brèche suffisamment large. Il s’y glissa, l’épée plaquée contre lui.

Il se retrouva devant deux hommes au visage couvert de poussière noire et rouge, le pic à la main. Deux mineurs de Dravocnik. Mais le moment n’était pas à l’émotion. Derrière eux, deux soldats chargeaient. « Attention ! », leur cria-t-il.

Il se jeta vers le premier, l’épée levée devant le museau du cheval, qui se cabra, déséquilibrant son cavalier. Mikael fit un bond de côté et frappa le soldat en pleine poitrine, le tuant net.

Entre-temps, un des mineurs, le pic à bout de bras, tournoya sur lui-même et frappa la cuisse de l’autre soldat, qui gémit et tomba de cheval. Le pic de l’autre mineur perça violemment son casque et lui fracassa le crâne.

Le danger évité, les deux mineurs regardèrent Mikael. « C’est toi, Mikael de la Raühnvahl ? »

Mikael acquiesça et leva les yeux vers le champ de bataille.

« C’est Mikael de la Raühnvahl ! hurlèrent les deux mineurs.

— C’est Mikael de la Raühnvahl ! », cria aussitôt un autre plus loin, le pic en l’air.

Mikael ressentit un frisson. Il ne pouvait y croire.

« Mikael ! » Le cri retentit tel un écho sur le champ de bataille. « Mikael ! C’est notre Mikael ! »

L’émotion embruma ses yeux. Les serfs de la Raühnvahl se battaient avec des faux, des haches, des fourches et des pioches, et criaient : « C’est notre Mikael ! » Les mineurs de Dravocnik brandissaient leurs pics : « Mikael de la Raühnvahl est avec nous ! » Quant aux rebelles réchappés de l’attaque de la veille, ils levèrent leurs épées au ciel et se mirent à hurler : « Voilà notre chef ! »

« Eloisa, reste où tu es ! cria Mikael en direction de l’ouverture du mur, la gorge serrée. Je vous dirai quand vous pouvez sortir ! »

Dès que les hommes le virent se jeter dans la mêlée en faisant de larges moulinets avec son épée, ils luttèrent avec un courage renouvelé.

Mikael était secoué par un tourbillon de sentiments. Ceux de son village et les mineurs de Dravocnik, des serfs qui avaient vécu toute leur vie en baissant la tête, se révoltaient. Grâce à lui. « Je te l’avais bien dit, Volod ! », s’écria-t-il, presque en riant. Il se porta sans réfléchir en première ligne des combats et prit le commandement de la bataille. « Formez un front unique ! hurlait-il. Restez groupés ! »

Ceux qui composaient cette armée chaotique ne connaissaient rien à la guerre, et espéraient un guide. Ils se placèrent aussitôt à ses côtés, dans l’attente de ses ordres.

« Allons-y ! À l’attaque ! Tous ensemble ! », cria Mikael en s’élançant vers une escouade de soldats.

Les serfs et les mineurs, avec des hurlements de guerriers, bondirent en avant pour enfoncer leurs armes dérisoires dans le corps des adversaires, sans plus aucune peur de mourir.

Mikael frappait à l’aveugle, comme s’il tirait sa force de cette rébellion extraordinaire, se frayant un chemin parmi les ennemis avec une joie incrédule qui faisait battre son cœur comme un fou. Et son armée de gueux, exaltée par son courage, restait à ses côtés, sans reculer, et repoussait les charges des soldats.

« Je te l’avais dit, Volod ! hurla encore Mikael. Je te l’avais dit que c’était possible ! En avant, tous ! »