Выбрать главу

« Allez, ramasse-merde ! railla Ojsternig. Prouve-moi que tu es un vrai prince et pas un trouillard comme ton père ! »

Mikael oublia à l’instant même tous les enseignements de Volod. Le sang lui monta à la tête. Dans un hurlement, il se lança sur Ojsternig, sans aucune prudence, grinçant des dents, aveuglé par la rage.

C’était exactement ce qu’attendait Ojsternig. Il esquiva sans difficulté et frappa Mikael par surprise au flanc gauche, d’un coup de fendant violent qui aurait pu le tuer.

Au dernier moment, Mikael réussit à le contrer de sa lame et à dévier en partie le coup. Mais il fut jeté à terre, le souffle coupé, et l’épée lui échappa des mains. Il crut entendre la voix de Volod. “T’es mort !”

Ojsternig éclata de rire, sûr d’avoir vaincu. Il s’élança pour l’assaut final.

Mikael n’avait plus d’issue.

Eloisa hurla de désespoir.

Il ne vengerait pas la mort de son père. Et cette pensée lui donna l’énergie pour réagir. Alors qu’Ojsternig abaissait son épée pour donner le coup fatal, Mikael roula sur le flanc. Il saisi son épée avec l’énergie du désespoir et la pointa vers Ojsternig, droite, comme une lance, sans chercher à parer le coup.

Tout se passa en un instant.

Ojsternig écarquilla les yeux, surpris.

Mikael sentit la pointe toucher la poitrine d’Ojsternig, dont la garde était ouverte, tant il était sûr de sa victoire, et sa propre fougue le poussa sur l’épée de Mikael. Celui-ci, malgré la violence de l’impact, maintint la prise. Il sentit sa lame fracasser les côtes et s’enfoncer dans la chair.

Le visage d’Ojsternig se cogna presque au sien quand il s’affaissa sur lui, percé de part en part.

« Père ! », hurla Lukrécia, bouleversée de chagrin.

Ojsternig regarda Mikael, les yeux écarquillés. Puis il tourna lentement la tête vers sa fille, le visage dévasté par la douleur. « Je regrette… », parvint-il à murmurer, avant qu’un flot de sang ne remplisse ses poumons. Il toussa, crachant au visage de Mikael le rouge visqueux de sa mort, et ses yeux se voilèrent avant de s’éteindre.

78

Le capitaine Salvemini fut le premier à se reprendre. Il libéra Mikael du poids d’Ojsternig puis lui tendit la main pour l’aider à se relever.

Eloisa courut jusqu’à Mikael et l’étreignit en pleurant.

« C’est fini, dit Mikael en la serrant fort contre lui. Maintenant, c’est vraiment fini. »

Tous, autour d’eux, étaient indécis. Il s’était passé quelque chose d’inimaginable, de si énorme, qu’ils en étaient paralysés de stupeur.

À ce moment-là, un petit garçon, sale et les pieds nus, avec de la morve qui coulait sur sa lèvre supérieure, se glissa entre les jambes des gens et s’approcha de Mikael. Sur la paume de sa main, il y avait la bague du prince de Saxe tordue par les flammes.

Mikael la prit.

Le petit garçon s’agenouilla devant lui.

« Qu’est-ce que tu fais ? », murmura Mikael, surpris.

Alors, l’un après l’autre, tous les serfs de la Raühnvahl posèrent un genou à terre et baissèrent la tête, en silence.

L’instant d’après, Agnete et Eloisa s’agenouillaient aussi.

« Eloisa, qu’est-ce que tu fais ? », murmura Mikael, de plus en plus gêné.

Le capitaine Salvemini s’approcha de lui. « À partir d’aujourd’hui, si tu veux qu’ils se relèvent, lui murmura-t-il à l’oreille en souriant, tu dois leur en donner l’ordre… prince. »

Mikael rougit. Mal à l’aise, il dit d’une voix incertaine : « Relevez-vous ».

Les serfs de la Raühnvahl se remirent debout, en silence, aussi embarrassés que lui. Agnete et Eloisa firent de même.

Un sourire de triomphe resplendissait sur le visage d’Agnete. « C’est ma fille qui l’a sauvé, le jour du massacre ! s’exclama-t-elle, pleine d’orgueil. Et moi, je l’ai caché pendant des mois dans la trappe de ma baraque. » Elle éclata de rire. « J’ai fait tout ça sous votre nez, bande d’idiots ! »

Beaucoup d’habitants de la vallée se mirent à rire, d’autres s’étonnèrent bruyamment. Et tous se tournèrent vers Mikael.

« Voilà pourquoi t’avais des mains de fille », dit le vieux Zacharias, qui apparut à ce moment-là sur son âne.

Certains villageois esquissèrent un rire timide.

Mikael aussi se mit à rire.

« Tu t’arranges toujours pour être antipathique, même quand tu te crois sympathique », dit Agnete à Zacharias, les mains sur les hanches. Elle lui montra le poing. « Je t’aurais envoyé en enfer, ce jour-là. Mais aujourd’hui, notre prince va peut-être enfin te faire pendre, comme tu le mérites. »

Il y eut un éclat de rire moins gêné.

« T’étais pas avec le frère Timotej ? », demanda quelqu’un.

Zacharias hocha la tête. « Il est parti pour un monde meilleur. » Puis il regarda Mikael. « Si ces gens ont trouvé le courage de faire ce qu’ils ont fait, c’est sûrement grâce à toi mais aussi grâce au curé, faut que tu le saches. »

Les gens acquiescèrent, attristés par la mort du frère Timotej.

Zacharias se fit aider pour descendre de son âne et marcha vers Mikael. « Il t’a livré. Ojsternig l’a torturé et il a parlé. Il était pas fait pour être un martyr, raconta-t-il. Mais quand ils l’ont relâché, plus mort que vif, il a réussi à revenir à Notre-Dame des Neiges et il a sonné la cloche pour qu’on vienne. Il nous a dit : “Soyez meilleurs que moi. Ce garçon nous montre le chemin. Pensez au pauvre Gregor, paix à son âme. Vous vous souvenez de ce qu’il a fait ? Au lieu de se rebeller, il a préféré se pendre. Vous voulez devenir comme Gregor ?” Voilà ce qu’il a dit. »

Mikael posa la main sur son cœur. Emöke lui avait assuré que Gregor l’aiderait. Et il l’avait fait, en un certain sens, à travers le curé, qui avait pris Gregor comme exemple. En leur donnant la force de ne pas être comme lui. “Merci, Gregor”, se dit-il, ému.

« Le curé n’avait jamais fait de sermon aussi émouvant. On se rappellera longtemps ce qu’il a dit, reprit Zacharias. Après, on a vu les maçons d’Ojsternig qui travaillaient en bas des remparts et on a compris que c’était la sortie du passage secret, et qu’ils vous avaient coincés. Mais quand on a vu arriver les mineurs de Dravocnik… C’est pas leur vallée pourtant, et ils venaient se battre avec les rebelles, pour toi. Alors… » Il haussa les épaules et se tourna vers les villageois, le regard fier, sans pouvoir rien ajouter.

Mikael se rappelait avoir détesté Zacharias, quand il avait commencé à travailler dans le champ d’Emöke et Gregor. Il comprenait seulement maintenant que le vieil homme avait porté sur ses épaules tout le poids du village. « Merci », dit-il.

Zacharias sourit en montrant sa bouche édentée : « Si on revenait en arrière, je te mettrais encore dans le groupe des filles ».

L’éclat de rire fut général.

Mikael sentit alors quelque chose se frotter contre ses jambes. « Harro ! », s’exclama-t-il en se penchant pour embrasser son vieux chien bancal.

Harro meugla de joie.

« Harro, répétait Mikael en le serrant contre lui.

— Les rebelles sont des mineurs comme nous, ils sont nos frères », dit alors un grand costaud en s’avançant, la figure salie par la poussière de Dravocnik.

Mikael se releva, tandis qu’Harro remuait la queue de bonheur.

« Ils nous ont dit que tu étais l’héritier de Volod le Noir, qui s’est toujours battu pour nous, continua le mineur. Au début, on avait peur… mais après, pour une fois, on s’est servi de nos pics pour faire quelque chose d’utile.