Mikael et Eloisa virent s’éloigner le petit orphelin.
« Attends », cria Mikael.
Le garçon se retourna, effrayé.
« Je ne te veux pas de mal », le rassura Mikael en venant vers lui avec Eloisa.
Le petit garçon les fixait, sur la défensive.
« Quel âge tu as ? lui demanda Mikael.
— Huit ans. »
De près, il semblait encore plus maigre et plus dénutri. « Tu viendras vivre avec nous, dit Mikael, sans même réfléchir. » Aussitôt il se tourna vers Eloisa, se rendant compte qu’il ne lui avait pas demandé son avis. « Excuse-moi, dit-il. Seulement si tu es d’accord.
— Oui », dit-elle sans hésiter. Puis elle sourit au petit garçon. « Nous nous occuperons de toi.
— Et quand tu seras plus grand, tu deviendras mon écuyer, dit Mikael. Puis je te ferai chevalier, si tu sais le mériter. »
Le petit garçon écarquillait les yeux.
« Comment tu t’appelles ? », demanda Eloisa.
Le garçon fit une grimace. « Ma mère m’appelait toujours d’un nom différent », dit-il d’un air de défi. Mais une profonde douleur se lisait dans ses yeux. « Elle disait que je m’appelais comme tous mes pères. »
Mikael serra les poings.
Le petit garçon eut peur d’être frappé et se protégea le visage.
« Personne ne te fera de mal », dit Mikael. Et il tendit la main pour lui caresser la tête.
L’enfant s’écarta.
Eloisa s’approcha de lui et nettoya sa morve avec la manche de sa robe.
« Aujourd’hui, une nouvelle vie commence pour toi, dit Mikael. Et tu auras un nouveau nom. » Il sentit un frisson et une grande émotion. « Comment tu veux t’appeler ? »
Le petit garçon haussa les épaules.
« Comment tu veux t’appeler ? »
Il ne bougea pas. « Raphael ! s’exclama Eloisa.
— Ça te va, Raphael ? », demanda Mikael.
Le petit garçon haussa encore les épaules.
« Alors, tu t’appelleras Raphael », dit Mikael d’un ton empreint de solennité. Il se sentait replonger dans le passé, le jour où sa nouvelle vie avait commencé. Il sourit, répétant les mots mêmes d’Agnete : « Et si ce nom ne te plaît pas, il ne faudra pas venir te plaindre, puisque c’est elle qui te l’a donné. S’il ne te plaît pas, tu ne pourras t’en prendre qu’à toi-même, puisque tu n’as pas su te décider. Dans la vie, il faut choisir, rappelle-toi ça. »
Le petit garçon le fixait.
« Mais je suis sûr que ça te plaira, Raphael. Elle est très forte pour trouver les noms », ajouta Mikael en souriant à l’adresse d’Eloisa.
« Allons-y », dit Eloisa en se dirigeant vers la cabane.
Le petit garçon mit exactement ses pas dans ceux de Mikael. Avant d’entrer dans la cabane, il dit : « Seigneur, vous m’apprendrez à me servir d’une épée comme vous ? »
Mikael posa la main sur la porte. Il regarda à l’intérieur le noble profil de Raphael, puis se tourna vers le petit garçon. « Viens avec moi », lui dit-il en l’emmenant à l’arrière. Il ouvrit deux gros battants de bois. À l’intérieur, des outils de paysan.
Quand Eloisa sortit, une heure plus tard, le petit Marcus III dans les bras, elle vit Mikael assis sur une souche, derrière la cabane, Harro couché à ses pieds, et le petit garçon au milieu du champ, à vingt pas, qui levait au-dessus de sa tête ses deux poings serrés et aussitôt après les baissait d’un geste vif.
« Qu’est-ce qu’il fait ?
— Il pioche. Tu ne vois pas ? », répondit Mikael. Il se mit debout et cria : « Plie les jambes, gros bêta ! » Puis il entoura la taille d’Eloisa de son bras et l’attira à lui, sans quitter des yeux le gamin. « Il faut qu’il se fasse les muscles », dit-il.