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L’enfant vit le visage de son père se mouiller de larmes tandis qu’il regardait mourir sa femme. Puis le chef des bandits, furieux, leva son épée et l’abattit, lui tranchant net la tête.

Le petit prince se tourna et remonta dans le boyau. Terrorisé, il ne songeait qu’à fuir. Mais quand il arriva à l’entrée il entendit des voix dans la quatrième pièce de la caserne des gardes. Les bandits passaient au fil de l’épée les gardes endormis.

« Le frère herboriste avait raison. Cette potion d’herbes est puissante », dit un de ces hommes à quelqu’un qui venait d’entrer : c’était leur chef, celui qui avait tué le prince régnant de Saxe.

Il vint s’asseoir sur la chaise qui masquait l’entrée du petit tunnel.

L’enfant sentait son odeur forte. Celle des vêtements sales et de la sueur. Et une autre odeur, douceâtre, écœurante, qu’il n’avait sentie jusque-là qu’à l’étal du boucher du château.

Un des hommes entra, traînant avec lui une fille en larmes qui criait. Marcus la connaissait. C’était une jeune et jolie lavandière aux mains rougies.

Le chef des bandits se leva de sa chaise et remonta sa tunique. Deux hommes arrachèrent la robe de la fille et la mirent nue puis la jetèrent sur une couche, parmi les cadavres. La fille pleurait, implorait la pitié. Le chef des bandits vint sur elle, lui écarta les jambes et la viola.

L’enfant regardait, incapable de bouger un seul muscle.

La lavandière continuait de pleurer et de crier.

Quand il eut fini, le chef se releva. Il regarda un de ses hommes qui observait la scène, et lui dit : « À toi, si tu veux ».

L’autre ricana : « Non, c’est déjà fait.

— Alors t’as fini de crier, ma fille », dit le chef des bandits à la lavandière.

La fille, toujours pleurant, lui répondit : « Merci, Seigneur, merci.

— Je crois que t’as pas compris », dit le chef en riant. Il leva son épée et la tua.

L’enfant faillit crier. Il se mordit la langue jusqu’à entamer la chair.

« Ils sont tous morts, Agomar, dit l’un des hommes en entrant.

— Vous avez trouvé le fils du prince ? demanda Agomar.

— Non… »

Agomar lui envoya une gifle. « Alors ils ne sont pas tous morts, imbécile ! » Il lança un coup de pied dans un banc, qu’il cassa. « Trouvez-le et tuez-le ! Le seigneur d’Ojsternig nous a ordonné de ne laisser personne en vie, et surtout pas les princes de Saxe, bande d’imbéciles ! »

L’enfant sentit son estomac se tordre. Il recula le plus rapidement possible, essayant de ne pas faire de bruit. À mi-chemin, il vomit la tarte aux pommes et au gingembre. Il s’immobilisa, espérant qu’ils n’avaient rien entendu. Prudemment, il atteignit la fin du boyau et regarda par l’ouverture.

La neige de la cour était rouge, comme un tapis scintillant et précieux sur lequel dormaient des dizaines et dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants. Les uns sans tête, les autres sans bras. Les jeunes femmes à demi dénudées.

« Trouvez le petit prince ! », hurla un homme.

Les bandits se dispersèrent dans le château, les porcheries, les écuries, les poulaillers, la chapelle.

La perquisition sembla durer une éternité.

Puis les hommes se rassemblèrent au milieu de la cour, autour de leur chef.

« On l’a pas trouvé », dit un des hommes au nom de tous.

Agomar, leur chef, avait les pommettes proéminentes, la barbe et les cheveux roux, de petits yeux noirs aux paupières plissées. Il leva la main droite. L’enfant vit qu’il n’avait que quatre doigts. Le dernier manquait.

« Sortez les bêtes et mettez le feu ! hurla-t-il. Il mourra grillé. Vous ne l’avez pas trouvé mais les flammes de l’Enfer le trouveront ! Dépêchez-vous ! »

Le petit Marcus les vit faire sortir les bêtes par la grande porte.

Agomar lança une torche à travers la fenêtre centrale du premier étage. Des dizaines de torches volèrent alors dans les airs et atterrirent dans le château, les porcheries, les écuries, sur les toits des logements des serviteurs. En un instant, le feu fut partout.

« Sortons ! ordonna Agomar. Et refermez la grande porte. » Il monta sur son cheval qu’il fit se cabrer, et hurla : « Adieu, petit prince ! » Et dans un grand rire, il quitta le château au galop.

Peu après, l’enfant entendit les lourds battants de la porte se refermer. Il remonta le boyau en direction de la caserne pour chercher un moyen de s’échapper. Mais la chaleur dans la pièce était insoutenable, et la fumée âcre le fit larmoyer. Les matelas de paille des gardes comme le toit de chaume avaient pris feu.

Il toussait, n’arrivait plus à respirer et recula à quatre pattes vers l’autre extrémité du boyau. À travers la petite ouverture dans la pierre, il vit que le feu dévorait maintenant tout le château. Il était pris au piège.

De nouveau, il repartit dans l’autre sens. Il n’avait pas le choix. Pour sortir de la caserne, il fallait traverser les flammes. Mais au moment où il arrivait à l’entrée du boyau, les poutres incandescentes du toit s’effondrèrent dans un fracas assourdissant, en répandant partout des éclats enflammés.

Il avait de plus en plus de mal à respirer, sentait ses forces défaillir. Il ne cessait de tousser, les larmes l’aveuglaient. Lentement, il recula encore, chassé par la fumée âcre qui commençait d’envahir le boyau. Et il se retrouva dos au mur de pierre, coincé.

C’était un petit garçon de neuf ans qui venait tout juste de faire connaissance avec la mort, et qui savait qu’il allait mourir.

« Ça y est, je t’ai trouvé ! », s’écria une voix.

L’enfant se retourna, terrorisé.

Un œil bleu l’épiait par le trou dans le mur.

Il voulut hurler. Mais il n’avait plus de voix.

Puis il s’évanouit, tandis qu’une des pierres du mur bougeait.

3

L’enfant ouvrit les yeux et la bouche en même temps. Brusquement, comme s’il sortait d’une longue apnée.

Un visage de femme le fixait.

« Respire », dit la femme.

Il ne savait pas où il était. Il était couché sur quelque chose de dur. Il avait du mal à respirer, sa gorge le brûlait et il serrait les lèvres pour s’empêcher de tousser. Il ne se souvenait de rien, ne savait plus rien. Et ne voulait pas se souvenir. Il ferma les yeux.

Quelque chose lui faisait mal. À l’intérieur. Quelque chose qui voulait sortir. Il serra encore plus fort les lèvres et les paupières.

L’enfant resta aussi longtemps qu’il le put dans cette obscurité et cette immobilité. Mais le noir commença à tourbillonner, devint une sorte de gouffre gluant qui s’éclaircissait peu à peu et dont la couleur lui donna un coup au cœur.

Il ouvrit les yeux pour ne plus voir ce rouge qui se répandait sous ses paupières.

La femme était toujours penchée sur lui. Elle avait le visage dur, marqué. Avec quelque chose de familier. Mais il ne se souvenait pas d’elle, il ne se souvenait de rien.

« Il va mourir ? », demanda une voix sur sa gauche.

Se tournant vers la voix, il croisa le regard d’une petite fille au visage sale, aux yeux bleus limpides comme les lacs de montagne et aux cheveux très clairs et coupés court. Effrayé, il détourna la tête. Il ne pouvait éviter de la reconnaître, même s’il s’y refusait. Les lèvres serrées, il secouait la tête, résistait de tout son être.