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Il extirpa une clé de sa poche et l’insinua dans un verrou en hauteur.

— Van Kaen choisit cette pièce réfrigérée.

— Il… il avait une clé ?

— Il possédait la même que celle-ci. Il l’avait sans doute volée dans le local du chef de service.

Diane était atterrée. Et elle n’avait toujours pas posé la question essentielle : comment l’homme était-il mort ? Le flic fit jouer le rouage d’acier. Au moment d’ouvrir la porte, il se tourna vers elle et s’adossa à la surface d’inox.

— Je dois vous prévenir : c’est plutôt impressionnant. Mais ce n’est pas du sang.

— Que voulez-vous dire ?

Le lieutenant saisit la poignée verticale, s’arc-bouta et fit glisser la porte sur son rail. Un nouveau souffle de froideur leur sauta à la face. Il répéta :

— Souvenez-vous seulement de ça : ce n’est pas du sang.

D’un geste, il l’invita à le suivre. Diane fit un pas en avant puis stoppa net. Face à des bacs de plastique gris, un mur de ciment blanc était vaporisé de rouge. Des croûtes purpurines s’agglutinaient, des stries écarlates rayaient la surface, des éclaboussures brunes se déployaient sur le sol brut, jusqu’au seuil de la salle. Cette pièce de cinq mètres sur cinq, emplie de caisses plastifiées, semblait avoir abrité un véritable massacre. Mais le plus étonnant — et le plus écœurant — était la puissante odeur fruitée qui planait dans le froid.

Patrick Langlois saisit, au sommet d’une colonne de caisses, un pack enveloppé d’une pellicule transparente puis tendit l’objet à Diane.

— Des airelles. (Il fit mine de lire l’étiquette du conditionnement.) Des fruits rouges. Importés de Turquie. Après son intervention, van Kaen est venu ici pour se faire une orgie de baies.

Diane avança dans la pièce, se convainquant que ses tremblements étaient liés au froid.

— Qu’est-ce… qu’est-ce que ça signifie ?

Le flic sourit d’un air désolé.

— Rien de plus que ce que je viens de dire. La priorité de Rolf van Kaen, après sa petite séance d’acupuncture, n’a pas été de disparaître, mais de venir bouffer ici des packs entiers d’airelles. (Il lança un regard circulaire autour de lui.) Consommées de la façon la plus sauvage qui soit.

Elle balbutia :

— Mais… de quoi est-il mort ?

Langlois lança la boîte plastifiée sur le dessus d’un des empilements.

— D’indigestion, je suppose.

Il jeta un coup d’œil à son interlocutrice et reprit :

— Excusez-moi : ce n’est pas drôle. En fait, on ne connait pas encore la cause du décès. Mais c’est sans aucun doute une mort naturelle. Ce que j’appelle, moi, « naturelle ». Selon nos premières observations, le corps ne porte aucune trace de blessure. Van Kaen a peut-être succombé à une crise cardiaque, une rupture d’anévrisme ou une maladie, je ne sais pas quoi.

Langlois désigna la porte entrouverte. Un silence oppressant régnait.

— Cela vous explique la mise en quarantaine des cuisines. Imaginez l’effet d’un cadavre, peut-être malade, au cœur de ces locaux. C’est tout de même ici qu’on prépare les repas des enfants. En venant mourir dans cette salle, notre Allemand a foutu un sacré bordel à Necker.

Diane s’appuya contre l’un des bacs. L’odeur des fruits et du sucre lui montait à la tête.

— Sortons, murmura-t-elle. Vraiment, là… j’en peux plus…

Le vent de l’aurore la revigora quelque peu mais il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre la parole. Elle demanda enfin :

— Pourquoi me racontez-vous tout ça ?

Langlois haussa les sourcils, en signe de surprise.

— Parce que vous êtes au cœur de l’histoire ! A défaut de meurtre, il nous reste l’exercice illégal de la médecine, l’intrusion dans l’hôpital, sans doute une usurpation d’identité… (il tendit son index). A partir de là, vous êtes notre plaignante.

Diane se sentait maintenant plus calme. Elle trouva la force nécessaire pour déclarer :

— Vous n’avez rien compris, lieutenant. Cet homme, quelle que soit son identité, quelles qu’aient été ses motivations, a sauvé la vie de mon fils. Incidemment, il a aussi sauvé la mienne. Alors peu m’importe la méthode utilisée. Ma seule tristesse à l’heure actuelle, c’est de ne pas pouvoir le remercier, vous pigez ? Et je ne crois pas que votre enquête pourra faire grand-chose pour ça.

Langlois esquissa un geste blasé.

— Vous voyez très bien ce que je veux dire. Il y a plus d’un mystère dans cette affaire. A mon avis, l’histoire ne fait que commencer. D’ailleurs, je…

La stridence d’un bipeur retentit. Le lieutenant détacha de sa ceinture un minuscule cadran et y lut un message. Il tendit l’objet à Diane et murmura :

— Qu’est-ce que je vous disais ?

14

Diane savait qu’il s’agissait d’événements réels, mais elle les percevait avec une incrédulité qui lui permettait de les maintenir à distance, de ne pas en assumer totalement la démence. Plus tard, elle y mettrait de l’ordre. Plus tard, elle tenterait d’y débusquer une logique. Pour l’heure, elle captait chaque fait, chaque information, avec le recul et l’impuissance d’une personne qui rêve.

Langlois l’emmena de nouveau dans le bâtiment Lavoisier. Ils demeurèrent cette fois au rez-de-chaussée. Diane reconnut aussitôt la salle vers laquelle ils se dirigeaient : l’espace du CT SCAN (Computer Tomography Scanner), là même où Lucien avait subi ses premiers examens.

Sur le seuil, Diane hésita à entrer — il lui semblait qu’à l’intérieur des souvenirs déchirants allaient l’assaillir. Mais le policier la poussa d’autorité et referma la porte sur leurs pas. Les terreurs qu’elle redoutait ne firent pas leur apparition, pour la simple raison que la salle avait totalement changé d’atmosphère.

Il régnait ici une agitation singulière. Devant la console, surmontée de moniteurs et de négatoscopes, deux hommes, en blouson, pianotaient sur des claviers d’ordinateur et matérialisaient sur les écrans des formes colorées. De l’autre côté de la vitre, sous une lumière ouatée, des silhouettes allaient et venaient, cernant la roue imposante du scanner, manipulant des engins chromés. D’autres débranchaient des câbles sur le sol, éteignaient des moniteurs suspendus, réajustaient des tubes et des optiques bizarres. A l’évidence, ils effaçaient les traces de leur passage.

Aucun d’eux ne portait de blouse blanche.

Diane remarqua d’autres anomalies. Les hommes semblaient tous âgés de moins de trente ans et la plupart arboraient à la ceinture un pistolet automatique, glissé dans un étui à fermeture velcro.

Des flics.

Elle comprit pourquoi on l’avait fait patienter au deuxième étage de ce bâtiment : les policiers avaient installé ici leur quartier général. Et ils s’étaient emparés, pour quelques heures, du matériel d’imagerie médicale. Langlois lui demanda tout à coup :

— La paléo-pathologie : vous savez ce que c’est ?

Diane se tourna vers l’enquêteur. Elle répondit d’une voix épuisée :

— C’est une technique qu’on utilise en archéologie, qui consiste à placer une momie ou d’autres vestiges organiques dans un scanner, un instrument IRM ou un quelconque appareil d’imagerie, afin d’analyser leurs composants intérieurs sans les détériorer. Il est devenu possible d’autopsier, de manière virtuelle, des corps éteints depuis des millénaires.