Langlois sourit.
— Vous êtes parfaite.
— Je suis scientifique. Je lis les revues spécialisées. Mais je ne vois pas…
— Dans notre service médico-légal, nous avons un crack dans ce domaine. Un petit génie qui est capable de sonder une momie sans dérouler la moindre bandelette.
Diane lança un coup d’œil effrayé de l’autre côté de la vitre. Elle discernait une forme allongée sous un drap, à l’intérieur de la machine. Elle murmura, les yeux rivés sur le linceul :
— Vous voulez dire que vous avez scanné le corps de…
— Nous avions le matériel sous la main. (Le policier sourit encore.) De l’intérêt de découvrir un mort dans un hôpital.
— Vous êtes fou.
— Pressé, plutôt. Grâce à cet engin, on a pu pratiquer une autopsie virtuelle de van Kaen. Nous allons maintenant le livrer à l’administration médico-légale. Ni vu ni connu.
— Quel genre de flic êtes-vous donc ?
Langlois allait répondre quand la porte qui séparait les deux cabines s’ouvrit.
— On s’est plantés.
Le lieutenant pivota dans la direction du jeune type qui venait d’entrer. Cheveux blonds frisés, peau grise, regard cramé : il ressemblait à un cigare consumé. Il répéta :
— On s’est plantés, Langlois.
— Quoi ?
— C’est un meurtre. Un meurtre stupéfiant.
Le policier lança un coup d’œil à Diane. Elle crut lire dans ses pensées et articula :
— Vous avez choisi de me trimbaler partout. Alors assumez vos méthodes. Je ne quitterai pas cette salle.
Pour la première fois, les traits du flic se tendirent, puis s’assouplirent l’instant d’après. Il passa les deux mains sur son visage, comme pour y replacer son masque de malice.
— Vous avez raison. (Il revint vers le médecin légiste.) Explique-toi.
— Quand on a commencé les coupes tomographiques du torse, on s’attendait à découvrir des signes de nécrose dans cette région. Une surabondance d’enzymes cardiaques ou d’autres indices d’un infarctus…
— Pas de baratin. Qu’est-ce que tu as trouvé ?
Le légiste parut se décomposer. En même temps, il y avait en lui quelque chose de coriace, d’incorruptible. Ses paupières cillèrent rapidement puis il lâcha sa bombe :
— Ce mec a le cœur éclaté. Le sang s’est concentré dans l’organe, au point d’en exploser les tissus.
Langlois rugit, révélant cette fois sa vraie nature de chasseur :
— Bordel de merde. Tu m’as dit qu’il n’y avait aucune blessure !
Le toubib baissa la tête. L’ombre d’un sourire passa sous ses boucles blondes.
— Il n’y en a pas. Tout s’est passé à l’intérieur. A l’intérieur du corps. (Il désigna l’ordinateur.) Il faut que tu voies les images.
Le lieutenant ordonna aux autres flics, sans même les regarder :
— Cassez-vous. TOUS !
La cabine se vida. Le légiste déclencha le programme de l’ordinateur, puis tendit des lunettes de plastique fumé à Diane et à Langlois.
— Il faut mettre ça : le logiciel est en trois dimensions.
Imitant les deux hommes, Diane chaussa cette monture sur ses propres verres et découvrit le sinistre spectacle qui s’affichait sur l’écran principal.
L’image en relief de Rolf van Kaen, torse nu, dénué de pilosité, coupé à hauteur de nombril. S’asseyant face au moniteur, le médecin commença son exposé.
— Voilà la reconstitution en 3D de la victime.
Le buste tournait sur lui-même puis revenait aussitôt à sa position initiale, comme dans le cadre d’une démonstration d’infographie.
— Comme je l’ai dit, répéta le scientifique, on s’est d’abord concentrés sur l’organe cardiaque. Quarante secondes de saisie tomographique nous ont suffi pour recréer le relief de…
— Okay, okay. Roule.
Le docteur pianota sur son clavier.
— Voilà ce qu’on a découvert…
A partir des épaules, la chair numérisée disparut par à coups. Ce furent d’abord les artères qui jaillirent, puis un pan entier d’organes et de fibres, masses rougeoyantes et arabesques bleues entrelacées. Tout cela pivotait toujours, en une sorte de carrousel abject. Diane était révulsée — et en même temps fascinée.
Il ne lui fallut qu’une seconde pour saisir ce que voulait montrer le médecin : le cœur n’était plus qu’une explosion fixe de sang et de tissus. Une tache noire répandue parmi les méandres des veines et des alvéoles pulmonaires. L’homme dit :
— Je peux l’isoler.
Il frappa sur une nouvelle touche et effaça d’un coup tout ce qui n’était pas les vestiges de l’organe. Le cœur éclaté apparut, parfaitement détouré, sur l’écran. Il ressemblait à un récif de corail, avec ses branches brunâtres et ses ramifications pétrifiées. Un arbuste de pure violence.
D’une voix rauque, Langlois demanda :
— Comment a-ton pu lui faire ça ?
La voix du médecin légiste changea, comme si elle venait de plus loin, du fond d’une froide analyse.
— Physiologiquement, c’est assez simple. Il suffit de plier l’aorte afin d’empêcher le sang de s’éjecter du cœur, comme un tuyau d’arrosage, si tu veux. A partir de là, le liquide vital, affluant des veines caves et des veines pulmonaires, s’engorge jusqu’à saturer l’organe cardiaque.
Il joua de nouveau des commandes clavier. Les autres organes et les réseaux sanguins réapparurent à l’écran.
— On voit nettement la torsion ici. (Il cliqua sur son curseur.) Et ici. (Nouveau clic.)
Langlois paraissait incrédule.
— Comment peut-on accéder à cette artère, à l’intérieur du torse ?
L’homme s’arrêta et se tourna vers lui, croisant les bras comme pour barrer la route à la nausée et à la peur qui le menaçaient.
— C’est ça le plus cinglé : le tueur a plongé sa main dans les viscères de la victime jusqu’à remonter à l’aorte.
Le médecin pivota de nouveau vers le moniteur et commanda une nouvelle fonction. Le torse de van Kaen se reconstitua, les entrailles s’enfouissant sous la chair grise et brillante. L’image se focalisa dans l’axe du sternum, au sommet de la cavité abdominale. Une fine incision apparut.
— Voilà la blessure, poursuivit la voix. Elle est si fine qu’on ne l’avait pas repérée, parmi la pilosité, lors de l’examen externe.
— C’est par là que l’assassin a glissé sa main ?
— Aucun doute. La plaie ne dépasse pas dix centimètres de large. Si on tient compte de l’élasticité de la peau, c’est amplement suffisant pour glisser un bras. A condition d’être un homme de petite taille. Je dirais un mètre soixante environ.
— Van Kaen était un colosse !
— Alors ils étaient plusieurs. Ou la victime était droguée, je ne sais pas.
Penché vers l’écran, Patrick Langlois demanda encore :
— Et pendant l’éventration, le bonhomme était toujours vivant ?
— Vivant et conscient, oui. L’explosion de l’organe le prouve. Pendant que le salopard fourrageait dans les viscères, le cœur s’est affolé et a précipité son mécanisme de pompe. La saturation de sang a dû être brève et très violente.
Le lieutenant murmura :
— Je m’attendais à un problème, mais pas à un truc de ce calibre…
Au même instant, les deux hommes parurent se souvenir de la jeune femme. Ils se retournèrent en un seul mouvement. Langlois prononça :