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— Diane, je suis désolé. Vraiment, nous… Diane ? Ça va ?

Derrière ses verres sombres, elle demeurait pétrifiée, les yeux rivés au moniteur. Elle dit d’une voix blanche :

— Mon fils. Je veux voir mon fils.

15

Elle connaissait ces jardins comme ses propres rêves. Enfant, elle avait passé tous ses après-midi auprès de cette fontaine, entourée par ces allées verdoyantes. Pourtant, elle n’éprouvait aucune nostalgie particulière à l’égard des jardins du Luxembourg. Il lui semblait que ce parc lui apportait simplement la paix.

Voilà plus de quarante-huit heures que le miracle s’était produit. Et les signes de rémission de Lucien persistaient. Hier, l’enfant avait bougé à plusieurs reprises l’index et le majeur de la main droite. Diane aurait même juré que, en sa présence, son poignet droit s’était soulevé. Les examens médicaux avaient démontré que les signes de contusion du cerveau reculaient. Et les fonctions physiologiques reprenaient leur cours normal. Même le docteur Daguerre semblait admettre que l’enfant était désormais sur la voie d’un véritable réveil. Il évoquait la possibilité d’ôter les drains dans les prochains jours.

Diane aurait dû être transie de bonheur. Mais il y avait maintenant ce meurtre, cette violence insondable, ces images qui l’avaient terrassée, sur l’écran du scanner. Comment une telle atrocité avait-elle été possible ? Pourquoi l’homme qui avait sauvé son fils avait-il dû mourir dans ces conditions, justement quelques heures après son intervention ?

— Je peux m’asseoir ?

Diane leva les yeux. Le lieutenant Langlois se tenait devant elle, tel qu’elle l’avait rencontré l’avant-veille. Manteau noir, jean noir, tee-shirt noir. Elle devinait que l’homme possédait cette panoplie en plusieurs exemplaires, comme autant de cadavres dans un placard. D’ailleurs il n’embaumait pas l’eau de toilette, mais une curieuse odeur de pressing. En guise de réponse, elle se leva.

— On marche plutôt, non ?

Le flic acquiesça. Diane prit la direction des quinconces supérieurs. Trois allées de pelouse qui montaient en pente douce. Il commenta sur un ton jovial :

— C’est une bonne idée, ce rendez-vous ici.

— J’aime bien. J’habite à côté.

Ils gravirent les marches de pierre. Sous le jour voilé, les sentiers étaient à peu près déserts. Les arbres semblaient accueillir le vent frais dans leur feuillage avec affectation, comme une femme maintient ses jupes au-dessus d’une grille de métro. Le policier inspira profondément et déclara :

— J’ai cru que ça ne m’arriverait jamais.

— Quoi ?

— Aborder une jolie fille sur l’un de ces bancs.

— Ho, ho, ho…, souffla Diane, en prenant un air mi-amusé, mi-offusqué.

Toute angoisse, toute menace semblait avoir disparu de leur cœur, à lui comme à elle. Elle songea, avec une certaine répulsion, à l’égoïsme irréductible des vivants face aux morts. Maintenant, les feuilles vernissées, la fraîcheur du vent, les cris lointains des enfants constituaient leur seul présent — et le souvenir de van Kaen ne pesait pas lourd face à cette réalité. Le lieutenant raconta :

— Quand j’étais en internat, à l’école des inspecteurs, je m’échappais tous les week-ends pour suivre des cours de philo à la Sorbonne. En fin de journée, je venais ici, au Luxembourg. A cette époque, j’avais l’impression d’avoir échappé à une catastrophe naturelle : le chômage. Mais j’étais déjà confronté à une autre catastrophe, pire encore.

— Laquelle ?

Il ouvrit ses mains, en signe d’évidence.

— L’indifférence des Parisiennes. Je me promenais ici et je les regardais du coin de l’œil, assises sur leurs chaises en fer, à bouquiner, à jouer les hauteurs imprenables. Et je me disais : « Qu’est-ce que je pourrais leur dire ? Comment je pourrais les aborder ? »

Diane sourit. Une ligne ténue sur ses lèvres, complice de la brise.

— Et alors ?

— Jamais trouvé la réponse.

Elle pencha la tête de côté et prit un ton de confidence :

— Maintenant, vous pouvez toujours sortir votre carte tricolore.

— C’est ça. Ou venir avec une escouade, pour embarquer tout le monde.

Diane éclata de rire. Ils marchaient vers le portail de la rue Auguste-Comte. Au-delà, on apercevait d’autres jardins, plus étroits, mieux cachés. Langlois reprit :

— Comment va Lucien ?

— Son amélioration se poursuit. Des impulsions dans les quatre membres ont été constatées.

— Vraiment, c’est fantastique.

Elle l’interrompit.

— La vie. La mort. Vous me l’avez déjà dit.

Langlois esquissa un petit sourire. Son air de malice lui donnait un charme enfantin. Il continua d’une voix grave :

— Je voulais vous donner des nouvelles. Nous avons identifié le mystérieux docteur. Van Kaen était son vrai nom.

Diane s’efforça de dissimuler son impatience.

— Qui était-il donc ?

— Il vous a dit la vérité : il dirigeait le département d’anesthésie du service de chirurgie pédiatrique de l’hôpital Die Charité. Un machin énorme, dans le genre de Necker. Il possédait aussi une chaire de neurobiologie à l’Université libre de Berlin. Van Kaen organisait des colloques sur la neurostimulation et ses liens avec l’acupuncture. Une vraie star, à ce qu’il paraît.

Diane revit le colosse aux cheveux blancs debout dans la pénombre de la chambre, ses mains qui faisaient tournoyer les aiguilles dans la chair de l’enfant. Elle demanda :

— Où avait-il appris la technique de l’acupuncture ?

— Je ne sais pas exactement. Mais il a passé près de dix ans au Viêt-nam, dans les années quatre-vingt.

Tout en marchant, le lieutenant venait d’extraire de sa poche une chemise cartonnée, qu’il consultait de temps à autre.

— Van Kaen était un Allemand de l’Est. Il venait de Leipzig. C’est pour ça qu’il a pu séjourner au Viêt-nam, qui était un pays complètement fermé.

— Vous voulez dire qu’il a pu y vivre en tant que communiste ?

— Exactement. A cette époque, pour un Allemand de l’Est, il était beaucoup plus facile de s’installer à Hô Chi Minh-Ville que d’aller faire ses courses à Berlin-Ouest.

Patrick Langlois feuilleta encore ses pages :

— Pour l’instant, il n’y a qu’une seule zone d’ombre dans sa carrière : entre 1969 et 1972. Personne ne sait où il était durant cette période. A l’ouverture du Mur, il est revenu en Allemagne et s’est installé à Berlin-Ouest. Il n’a pas mis longtemps à démontrer ses compétences et à être adopté par l’intelligentsia de l’ancienne RFA.

Diane revint au présent.

— Vous n’avez aucune piste pour le meurtre ?

— Pas de mobile, en tout cas. Tout le monde admirait le bonhomme. Sauf qu’il avait l’air un peu bizarre.

— Bizarre dans quel sens ?

— Il était très dragueur. A chaque printemps, il séduisait ses infirmières de la plus étrange des façons.

— Comment ?

— En chantant. Des airs d’opéra. Ce chant envoûtait tout le personnel féminin de l’hôpital, paraît-il. Un vrai Casanova. Mais je ne crois pas au mobile de la jalousie…

— Vous croyez à quoi ?

— Un règlement de comptes. Des mecs de l’Ouest vengeant leurs familles restées à l’Est, ce genre d’histoire… En l’occurrence, van Kaen était déjà sorti de ce jeu-là puisqu’il vivait au Viêt-nam. Et rien ne prouve qu’il ait fréquenté le pouvoir communiste. Mais je creuse de ce côté.