Выбрать главу

Sacher ourla ses lèvres — ses rouflaquettes suivirent le mouvement.

— L’endormissement est un problème différent. Il s’agit d’un état d’abandon, très proche de la transe hypnotique. Cela, oui : nous pouvons le provoquer.

— Et à distance ? Vous pourriez endormir quelqu’un à distance ?

— Comment ça « à distance » ?

— Pourriez-vous programmer un sujet pour qu’il s’endorme quelque temps après la séance de suggestion, alors même que vous n’êtes plus présent ?

L’homme admit :

— Oui. C’est possible. Il suffirait de répéter le signal convenu lors de la séance.

Diane interrogea :

— Quel genre de signal ?

— Madame, je ne comprends pas très bien vos questions.

— Quel genre de signal ?

— Eh bien, ce peut être un mot-clé, par exemple. Lors d’une séance, nous déposons ce mot au fond de l’inconscient du sujet et nous l’associons à l’état d’endormissement. Plus tard, il suffit de prononcer ce mot pour réactiver le conditionnement.

Elle se souvenait des paroles de Vulovic : « Quand je repense à tout ça, je ne vois qu’une seule chose… Du vert… Comme de la toile militaire… » Elle demanda :

— Le signal pourrait-il être visuel ?

— Tout à fait.

— Une couleur ?

— Absolument. Une couleur, un objet, un geste, n’importe quoi.

— Et ensuite, de quoi se souviendrait le sujet ?

— Cela dépend du degré de profondeur du travail hypnotique, lors de la séance.

— Il pourrait avoir tout oublié ?

— En cas d’hypnose très profonde, oui. Mais vous m’emmenez là à l’extrême limite de notre activité. Notre déontologie est stricte et…

Diane n’écoutait plus. Elle sentait, dans les fibres de sa chair, qu’elle approchait de la vérité. Il était possible qu’un homme ait hypnotisé Marc Vulovic sur le parking de l’avenue de la Porte-d’Auteuil et qu’un signe ait provoqué, plus tard, l’endormissement. Elle songea aussi à Rolf van Kaen, colosse dans la force de l’âge, qui s’était laissé ouvrir le ventre sans opposer de résistance. Pourquoi pas sous hypnose ? L’homme reprit :

— Charles m’avait dit que vous vouliez plutôt subir une séance de…

— C’est exact. Je veux entrer en état de suggestion.

— Dans quel contexte ? Vos questions sont plutôt étranges. D’ordinaire, mes patients ont un problème avec la cigarette ou une allergie et…

— Je veux revivre un épisode de ma vie.

Sacher sourit. Il reprenait pied sur un terrain de sa connaissance. Il se cala dans son siège, pencha la tête de côté — un peintre qui scrute son modèle — et demanda :

— De quoi s’agit-il ? Un souvenir très ancien ?

— Non. L’événement date d’un peu plus de deux semaines. Mais je pense que mon inconscient occulte certains détails. Charles m’a expliqué que vous pouviez m’aider à me rappeler ces faits.

— Il n’y a aucun problème. Présentez-moi d’abord l’environnement général et…

— Attendez.

Diane comprit qu’elle était terrifiée à l’idée d’ouvrir son esprit à cet homme. Elle dit, afin de retarder l’échéance :

— Expliquez-moi d’abord… Comment allez-vous remonter dans ma mémoire ?

— N’ayez aucune crainte, ce sera un travail d’équipe.

— Un travail d’équipe doit reposer sur la confiance. Dites-moi précisément comment vous allez entrer dans ma tête.

Sacher renâcla :

— Je crains de ne pouvoir vous expliquer.

— Pourquoi ?

— Plus vous en saurez sur la méthode utilisée, plus vous manifesterez de résistance.

— Je suis venue ici de mon plein gré.

— Je parle de votre inconscient. De cet inconscient qui refuse de vous livrer certaines informations. Si vous lui donnez des armes pour se défendre, croyez-moi : il s’en servira.

— Je ne peux pas… vous offrir comme ça mon cerveau !

Le psychiatre conserva le silence. Il paraissait mesurer l’ampleur de l’enjeu pour Diane. Il saisit à nouveau le presse-papiers, le reposa puis murmura :

— L’hypnose n’est qu’une forme de concentration très intense. Nous allons évoquer ensemble des sensations physiques — votre circulation sanguine, par exemple — qui vont progressivement capter vos facultés d’attention. Vous allez tout oublier, à l’exception de ces sensations. Vous n’aurez plus qu’une perception très lointaine de votre environnement. Ce type de « déconnexion » survient parfois dans la vie quotidienne. Par exemple, vous étudiez intensément un dossier, tout votre esprit est capté par ce travail. Un insecte vous pique : vous ne le sentez même pas. Vous êtes en état d’hypnose, de transe. C’est ce qui se passe lors des cérémonies religieuses où des épreuves physiques sont traversées. Le cerveau ne « reçoit » plus le message de la souffrance.

— C’est grâce à cet état que vous pouvez lever les barrières de l’inconscient ?

— Oui : parce que ce n’est pas lui qui dresse des défenses, mais la conscience elle-même. Or, parvenus à un certain stade de concentration, nous ne passons plus par la case de la raison. C’est une affaire privée entre l’hypnologue et l’inconscient du sujet.

Diane songea à l’accident de son adolescence. Elle avait consacré une partie de son existence à effacer ce souvenir, à transformer, justement, sa mémoire en chambre forte. Elle questionna :

— Jusqu’où peut-on remonter ainsi ?

— Il n’y a pas de limite. Vous seriez étonnée du nombre de patients qui réinvestissent, sur ce fauteuil, leur identité de bébé. Ils se mettent à babiller. Leur regard est désynchronisé, comme celui du nourrisson quelques jours après sa naissance. On peut même remonter au-delà.

— Au-delà ?

— Jusqu’à la mémoire que nous conservons en nous. La mémoire de nos vies antérieures.

Diane tenta de rire :

— Désolée. Je ne crois pas à la réincarnation.

— Je ne vous parle pas de souvenirs d’existences précises. Je vous parle de cette mémoire naturelle dont nous sommes les réceptacles. D’une certaine façon, la génétique n’est qu’une mémoire. Celle de notre évolution, incrustée dans notre chair.

— Ce n’est qu’une façon de parler. Nous parlions de souvenirs concrets…

— Il peut s’agir de souvenirs très concrets ! Prenez l’exemple des bébés-nageurs. Les nourrissons, quand ils sont plongés dans l’eau, ont le réflexe immédiat de fermer leurs cordes vocales. D’où leur vient ce réflexe ?

— De leur instinct de survie.

— A quelques jours ?

Diane cilla des paupières. L’hypnologue poursuivit :

— Ce réflexe leur vient des temps immémoriaux où l’homme n’était pas encore homme, mais une créature amphibie. Au contact de l’eau, l’enfant se souvient de cette époque. Plus exactement : son corps s’en souvient, en deçà de sa conscience. Qui sait si l’hypnose ne pourrait pas ramener ce type de souvenirs, plus précisément encore, jusqu’à notre conscience ?

Diane sentait un trouble l’envahir. Elle n’était plus du tout certaine de vouloir rester, d’effectuer ici le grand saut. Un détail achevait de la perturber : le jour était tombé et le bureau s’était empli d’ombre. Or, les yeux de l’hypnologue n’avaient jamais brillé aussi intensément. Il lui semblait même que ses pupilles déclenchaient ce reflet spécifique à certains animaux nocturnes, comme les loups, qui possèdent des plaquettes argentées, situées entre la rétine et la sclérotique, leur permettant d’accentuer la lumière. Sacher avait ce même regard d’argent… Elle se décidait à partir quand il proposa :