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— Et maintenant, si vous me parliez de la scène que vous voulez revivre ?

Diane se raisonna. Elle se revit dans la chambre d’hôpital, quelques heures auparavant, prendre sa résolution. Elle se blottit dans son fauteuil et prononça d’une voix calme :

— Le mercredi 22 septembre, aux environs de minuit, j’ai eu un accident de voiture avec mon fils adoptif sur le boulevard périphérique, vers la porte Dauphine. Je m’en suis sortie indemne mais mon enfant est resté entre la vie et la mort durant quinze jours. Je pense qu’aujourd’hui il est sorti d’affaire mais…

Diane hésita.

— Je voudrais me remémorer les minutes qui ont précédé l’accident, continua-t-elle enfin. Je voudrais revivre chaque geste, chaque détail. Je veux être certaine que je n’ai commis aucune faute.

— Une faute de conduite ?

— Non. L’accident a été provoqué par un camion qui a traversé les voies. Je n’y suis pour rien. Mais… J’avais un peu bu. Et je voudrais être sure que j’avais bien fermé la ceinture de sécurité de l’enfant.

Nouvelle hésitation puis :

— Je dois préciser qu’au moment de la collision, la ceinture n’était plus attachée.

Sacher croisa ses mains sur la surface miroitante du bureau et se pencha vers Diane. Ses iris brillaient en reflets symétriques.

— Si elle n’était pas verrouillée, c’est que vous ne l’avez pas fermée, non ?

— Je sais que j’ai bouclé cette ceinture. Et je veux le vérifier ici, sous hypnose.

Le médecin paraissait réfléchir. Il éprouvait sans aucun doute le même étonnement que Charles Helikian.

— Admettons que vous ayez pris cette précaution, dit-il. Comment expliquer que la ceinture se soit retrouvée ouverte lors de l’accident ?

— Je pense qu’on l’a détachée durant le voyage.

— Votre petit garçon ?

Elle devait le dire. Elle devait révéler son hypothèse. Elle articula à voix basse :

— Je pense à un homme. Un passager clandestin, dans ma voiture. Je pense que l’accident a été préparé, organisé, réalisé dans ses moindres détails.

— Vous plaisantez ?

— Faites comme si je plaisantais et hypnotisez-moi.

— C’est absurde. Pourquoi aurait-on manigancé tout cela ?

— Hypnotisez-moi.

— Un homme aurait pris le risque d’être avec vous, dans la voiture, au moment de l’accident ?

Diane comprit qu’elle n’obtiendrait rien du psychiatre. Elle prit ses affaires et se leva.

— Attendez, ordonna-t-il.

Paul Sacher esquissa un geste courtois en direction du fauteuil. Il souriait avec affabilité mais Diane se rendit compte qu’il tremblait.

— Asseyez-vous, dit-il. Nous allons commencer.

28

La première sensation fut celle de l’eau.

Son esprit flottait dans un environnement liquide. Elle songea à un ballot oublié dans la cale détrempée d’un cargo. Au noyau d’un fruit dans une pulpe trop fluide. Elle tanguait désormais à l’intérieur de son propre crâne.

La seconde sensation fut qu’elle était deux.

Ou double.

Comme si sa conscience s’était séparée en deux entités distinctes, dont l’une pouvait observer l’autre. Elle rêvait — et elle pouvait se contempler en train de rêver. Elle se concentrait — et elle pouvait s’observer, à distance, en train de se concentrer.

— Diane, vous m’entendez ?

— Je vous entends.

La plongée dans l’état hypnotique avait été immédiate. Paul Sacher lui avait d’abord demandé de se concentrer sur une ligne rouge, peinte sur le mur, puis d’éprouver la lourdeur de ses membres. Diane avait basculé dans un état de conscience intense. Elle avait éprouvé l’inertie de ses mains, de ses pieds. La masse de ses membres qui paraissait s’appesantir à chaque seconde, alors que son esprit au contraire s’envolait, se libérait.

— Nous allons évoquer le souvenir de l’accident.

Le dos bien droit, les mains posées sur les accoudoirs du fauteuil, Diane acquiesça en inclinant la tête.

— Vous sortez de l’immeuble de votre mère. Quelle heure est-il ?

— Environ minuit.

— Où êtes-vous exactement, Diane ?

— Je me tiens sous le porche du 72, boulevard Suchet.

Crépitements d’averse. Lignes translucides. Des milliers d’encoches sur la surface noire de la chaussée. De hautes façades de pierre scintillantes. Des réverbères bleutés, haletant de brumes comme des bouches impatientes.

— Comment vous sentez-vous ?

Les yeux fermés, elle sourit sans répondre.

Du champagne dans ses veines, comme des rivières souterraines qui se rient de l’averse dehors. Diane entend les gouttes, légères et drues, clapoter sur sa nuque. Elle se sent bien. Elle se sent floue. Elle a oublié la colère du dîner. Le baiser de Charles. Elle est seulement blottie dans l’instant.

— Diane, comment vous sentez-vous à cette minute ?

— Parfaitement bien.

— Etes-vous seule ?

Entre ses bras, la chaleur de l’enfant se cristallise. Sa nuque tiède, la fluidité de son corps. La quiétude de son sommeil que la pluie ne parvient pas à troubler.

— Je suis avec Lucien, mon fils adoptif.

— Que faites-vous maintenant ?

— Je traverse le boulevard.

— Comment est la circulation ?

— Le boulevard est désert.

— Votre véhicule : où est-il stationné ?

— Le long de l’hippodrome d’Auteuil.

— Vous souvenez-vous de l’adresse précise ?

Avenue du Maréchal-Franchet-d’Espérey.

— Donnez-moi d’autres détails. Quelle est la marque de votre voiture ?

— C’est un véhicule tout-terrain. Un ancien modèle. Une Toyota Landcruiser datant des années quatre-vingt.

— L’apercevez-vous maintenant ?

— Oui.

A quelques mètres de là, la voiture se dessine sous l’averse. Diane est maintenant agitée par un pressentiment. Elle éprouve un remords, une peine. Elle regrette d’avoir bu. D’avoir sacrifié à ce rituel qu’elle exècre. Elle voudrait revenir, immédiatement, à une parfaite lucidité, assumer pleinement chaque seconde.

La voix de Sacher retentit dans la pièce, à la fois lointaine et proche :

— Que faites-vous maintenant ?

— J’ouvre la portière.

— Quelle portière ?

— La portière arrière droite.

— Celle de Lucien.

— Ensuite ?

Avant même qu’elle ne précisât sa pensée, son corps lui procura les réponses — des sensations très nettes, presque trop aiguës.

La pluie chassant sur son dos. La chaleur s’exhalant de l’échancrure de son blouson. Son corps ployant avec Lucien vers l’intérieur de la voiture.

La voix de l’hypnologue se fit plus forte :