Выбрать главу

— Je retourne sur le site. Je dois trouver leur laboratoire. C’est là que tout s’est joué.

66

La nuit tombait. Giovanni avait emporté deux lampes-tempête à acétylène, dotées de réflecteurs, qu’ils tenaient à bout de bras. Ainsi, ils ressemblaient à des mineurs d’un autre siècle, perdus dans un dédale de galeries oubliées. Lorsqu’ils changèrent leur cartouche de carbure, ils prirent conscience qu’ils déambulaient depuis plus de trois heures. Ils repartirent sans un mot, découvrant d’autres machines, d’autres réacteurs, d’autres couloirs. Mais toujours pas la moindre trace d’un lieu qui pouvait correspondre à ce qu’ils cherchaient.

Aux environs de minuit, ils s’arrêtèrent dans une salle aux murs nus, absolument vide. Le froid s’abattit sur eux, alors que la fatigue et la faim commençaient à leur donner des vertiges. Epuisée, Diane s’écroula sur un tas de gravats. Giovanni souffla :

— Il n’y a qu’une seule zone que nous n’avons pas fouillée.

Elle acquiesça. Sans autre commentaire, ils se remirent en marche et se dirigèrent vers le cercle de pierre. Après avoir emprunté de nouveaux couloirs, traversé de nouveaux patios, ils atteignirent une salle que Diane reconnut à l’instant : l’antichambre du tokamak. Sur la gauche, elle repéra une pièce qui ressemblait à un vestiaire. Elle y découvrit des houppelandes, comme celle que portait Bruner sur le périphérique. Elle trouva aussi des masques, des gants et des compteurs Geiger. Les deux compagnons endossèrent les équipements et attrapèrent des instruments de mesure.

Ils pénétrèrent dans la couronne. Cette fois, les néons ne s’allumèrent pas. Giovanni s’approcha d’un gros interrupteur et esquissa le geste de le déclencher. Diane lui saisit le bras et murmura, à travers son masque :

— Non. Seulement nos lampes.

Ils continuèrent à avancer, poing serré sur leur torche qui se balançait à la cadence de leurs pas, franchissant des brumes de poussière dans l’obscurité. Ils longeaient le mur courbe et lépreux, en quête d’un orifice, d’une ouverture qui révélerait un espace secret.

— Là.

Giovanni tendait sa main gantée vers une porte, encastrée dans la paroi interne du cercle. Ils durent se mettre à deux pour la déverrouiller. Diane eut une hésitation face à la bouche d’ombre qui s’ouvrit. L’ethnologue passa devant elle, portant sa torche en éclaireur. Après un temps, elle lui emboîta le pas et referma la paroi. Dans un nouveau sas, elle jeta un regard à son compteur : l’aiguille ne bougeait plus — la radioactivité était absorbée. Elle arracha son masque et découvrit un escalier en spirale que son complice descendait déjà. Les marches suivaient la courbe d’un énorme pylône de soutènement. Ils étaient en train de passer sous le plateau du tokamak, parmi les fondations de la machine.

Ils accédèrent à un double portail, non plus de fer ni de plomb, mais de cuivre. Jouant de l’épaule, Giovanni écarta les battants et se glissa à l’intérieur. Diane l’imita. Dans les halos croisés de leurs lampes-tempête, une salle circulaire apparut, où se dessinaient des instruments qui, enfin, possédaient une dimension humaine. Des machines à la fois brutales et complexes, qui pouvaient suggérer des travaux de psychologie expérimentale. D’instinct, Diane sut qu’ils avaient trouvé. Le cercle de l’esprit se tenait sous le cercle de l’atome. Là où personne n’aurait jamais songé à chercher le site : au-dessous de la rotonde infernale.

Ils ôtèrent leur houppelande et avancèrent. Le mur était couvert d’un lichen luminescent, qui révélait les ombres obliques de chaînes suspendues au plafond. Les maillons cliquetaient avec une régularité lugubre, dans un roulis de vaisseau fantôme. Giovanni chercha un interrupteur.

Diane le laissa faire : il n’était pas question de visiter un tel lieu dans les ténèbres. Après un grésillement hésitant, les néons s’allumèrent. La salle apparut dans toute son immensité. Le mur circulaire ne disposait d’aucune ouverture à l’exception du portail. Au plafond, entre des câbles à moitié décrochés, les tubes fluorescents étaient disposés en arc de cercle, abandonnant à l’ombre tout ce qui se situait hors de leur halo.

Rien ne semblait avoir été pillé, comme si les détrousseurs n’avaient osé entrer. Les premiers accessoires que Diane remarqua étaient des cages de Faraday. Des boîtes carrées, en cuivre, d’un mètre de côté, qui permettaient une totale isolation électrostatique. Elle s’agenouilla et scruta l’intérieur de l’une d’entre elles. Des électrodes traînaient sur le sol mordoré : on avait placé là-dedans des hommes. Elle se remit debout et découvrit, quelques mètres plus loin, des sièges à hauts dossiers, ressemblant à des stalles d’église, équipés de bracelets de fer et de sangles de cuir. A leurs côtés, des compteurs noirâtres étaient reliés à des ventouses, laissant présager des séances d’électrochocs musclées. Au sol, elle remarqua des touffes de cheveux, engluées parmi les champignons et la poussière — des crânes avaient été rasés, afin de mieux apposer les électrodes.

Quelques pas encore. Diane tomba sur des caissons d’isolation sensorielle — des sarcophages d’eau salée, d’environ deux mètres de long. Elle se pencha : des ossements flottaient à la surface. Des os de petite taille, vestiges d’hommes minuscules ou d’enfants. Elle songea à Lucien et se sentit défaillir — des éclipses traversaient sa conscience. Giovanni, derrière elle, déclara brutalement :

— J’en peux plus. Je ne peux pas rester là.

— Si, dit-elle avec autorité. On doit chercher encore. Comprendre ce qui s’est passé ici.

— Il n’y a rien à comprendre ! Des cinglés ont torturé des pauvres types, c’est tout !

Diana se passa la langue sur les lèvres. L’atmosphère était chargée de sel, comme saturée d’amertume. Elle repéra un autre espace au fond de la pièce, isolé à l’aide de paravents de métal. Elle obliqua dans cette direction et découvrit une table en acier inoxydable, des meubles de fer qui, tous, supportaient des bocaux éclatés par le gel. Elle s’avança. Ses pas crissaient sur les débris de verre. La buée jaillissait d’entre ses lèvres, créant autour d’elle un halo d’irréalité. Au fond des bocaux, il ne restait plus que des mares noirâtres, des organes brunis, embaumés par le froid et la solitude.

Elle commençait à saisir la logique de ce lieu. Chaque outil, chaque machine avait été pervertie de son but initial afin de pratiquer des séances de torture. Les salopards, n’obtenant aucun résultat par les méthodes traditionnelles d’étude, s’étaient transformés en bourreaux, tentant d’arracher des vérités par la souffrance, traquant au fond de la douleur et de la dissection une réalité qui leur échappait. Etait-ce ainsi qu’ils étaient parvenus à extirper les secrets des chamans tsevens ? Diane n’y croyait pas. Il était impossible que les parapsychologues aient acquis leurs facultés psi par des détours aussi violents, aussi absurdes. Même ici, il manquait un dernier maillon.

Elle repéra, près de la table d’opération, des blocs à roulettes, sur lesquels reposaient des pointes, des lames, des crochets. Ces objets oscillaient entre l’arme et l’instrument chirurgical. Leur manche, incurvé, était habillé de matériaux rares — ivoire, nacre, corne… — et travaillé de fines arabesques.

Diane s’immobilisa. On raconte que, parfois, lorsque la foudre frappe un homme, le phénomène est si rapide que la combustion n’a pas le temps de survenir. La victime ne brûle pas : elle est, littéralement, transie par le feu. Alors les fibres intimes de sa chair se souviennent à jamais de cette fulgurance, de cette possession. Diane se sentait exactement dans cet état. Autrefois, le tonnerre l’avait frappée, imprégnée d’une manière latente — voilà que l’arc de foudre se réveillait dans chaque interstice de son être.