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— Kikine, retournez à vot’ place prendre des notes, fait-il au puni, ça me ferait tartir de vous priver de bonnes manières, vu qu’au moment de la distribution vous deviez être en train de faire de la plongée sous-marine !

Pendant que le barbu décervelé regagne son banc, bouleversé par la clémence du nouveau prof, le Gros remet de l’ordonnance dans son nœud qui chavirait, lisse le coin de sa paupière et poursuit :

— Dans la vie, les gars, faut que vous sachiez vous comporter ; pas qu’on dise de vous jamais que vous êtes des tartes, des lavedus, des mal-embouchés ou des casse-bonbons ; brèfle que vous acquérissiez un standinge. Le standinge, le rêve ça serait de l’avoir de naissance, ça facilite. Mais nous autres, qu’on est tous plus ou moins des fils de Garches ou des enfants de Puteaux, on est bien obligés de rattraper les générations perdues, et croyez-z’en un homme qui fraye avec la gentry, c’est pas fastoche. Il s’agit de tout reprendre à la base et de pas se coincer le bas du futal dans le pédalier !

Il ligote laborieusement un paragraphe de son livre en reniflant. Puis il le pose sur la table.

— On va donc prendre les choses par le début, c’est-à-dire par l’annonce de la naissance. Dès qu’elle a des doutes de polichinelle, la femme doit en causer au mari, même si elle se gaffe que c’est pas lui le dabe. Elle doit annoncer la nouvelle gentiment. Pas du tout dans le style « Ernest, tu sais pas ce qui m’arrive ! » très consterné mais au contraire sur le ton joyce…

Béru fait sa bouche en issue d’œuf et roucoule en prenant une petite voix d’eunuque frileux :

« Nénesse, j’ai une bonne surprise pour toi ; devine… » Pour le coup, le gars se paume en conjonctures. Ça le prépare, comprenez-vous ? Il cherche, il suppose : “Tu m’as acheté une pipe neuve ?” qu’il demande, ou bien : “Ta vioque est malade ?” enfin brèfle il carbure sur ce qu’il rêve. S’il tombe juste, la dame doit se grouiller de lui cloquer un mimi ravageur. “Bravo, Nénesse, dix sur dix ! Je te promets qu’il te ressemblera, fignolé princesse comme tu me l’as fait, c’est impossible autrement !”

« S’il trouve pas, faut que la moukère l’aide un peu à phosphorer, qu’elle le mette sur la voie : “Tu te rappelles, Nénesse, le soir qu’on était allés voir la Sophia au Familia-Palace et que ça t’avait donné des idées en rentrant ?… Eh ben, imagine-toi, mon gros loup, que c’était comme qui dirait du film à épisodes”… Mais enfin, vu qu’apparemment vous n’êtes pas des dames, nous étendons pas sur ce chapitre et voyons plutôt la réaction du Jules. »

Béru inventorie sa serviette et en sort un pot de beaujolais.

— Le temps de m’arroser la meule et je continue ! avertit le digne pédagogue.

Il siffle une forte lampée au goulot, clape de la menteuse et exhale sa satisfaction.

— Ça fait du bien d’enseigner dans une région hospitalière où les richesses naturelles facilitent la vie de l’homme.

« J’ai donc dit qu’on allait étudier les réactions du jeune papa. Avant tout, ne pas rouscailler. Eviter même de dire « Merde », ce qui peinerait la pauv’ femme et risquerait d’avoir des conséquences sur la bouille du rejeton. On se demande souvent pourquoi les gens sont si tartes. La plupart du temps, ça provient de ce que madame leur maman s’est caillé le raisin en les attendant. Alors, avis : de la tendresse, du suave. “Chérie, t’es sûre de ne pas me faire une fausse joie au moins !” Voilà le ton. Ne pas paraître contrarié, même si on habite un tout petit studio, même si ça torpille les vacances ! Et éviter de faire allusion à la Suisse, je vous recommande. Les nanas savent que c’est en Helvétie qu’on trouve les magiciens de l’épingle à chapeau et l’idée pourrait leur venir d’un largage en piqué, ce qui vous chanstique une descendance. Les arbres généalogiques, c’est comme les noyers, faut éviter de les secouer avant que la coque mette les adjas. »

Il s’éponge la trogne, ce qui ne fait que la zébrer un peu plus de cambouis.

— Ça, messieurs, c’est pour le démarrage. Mais entre l’heureuse nouvelle et l’heureux événement (je soupçonne Béru d’avoir puisé la formule à même sa bible) y a une période où au cours de laquelle le mari doit se montrer prévenant avec sa bourgeoise. Comme l’a versifié le poète : la femme, c’est un violon sur lequel les bonshommes jouent avec leurs archets. Soit dit en passant, ma femme à moi, ce serait plutôt une contrebasse qu’un violon.

Sa Majesté tolère la vague hilarante qui secoue son auditoire. Il admet le rire lorsqu’il le provoque sciemment.

— Donc, faut jouer un chouette air à la future môman ! reprend-il. Ne pas marchander les délicates attentions, telles que le bouquet de roses pompon pour sa fête, l’esquimau à l’entracte, ou encore lui laisser la place assise dans l’autobus, même s’il y en aurait plus qu’une ! En cas d’engueulade ménagère — ça arrive dans les foyers les plus z’huppés — éviter les torgnoles et principalement les coups de pied dans le ventre. Autre chose encore : quand elle commence à prendre le format Tour-de-Nesle, ne pas lui virguler des sargasses, genre : « Mahame aurait pas avalé un noyau de cerise, des fois ! Ou bien : « Mahame se nourrit au gaz d’éclairage, je suppose ? » Ou z’encore : « Mets les poids de l’horloge dans tes poches, que tu vas t’envoler, mémère ». Je sais bien qu’on dit ça pour badiner, mais y a des rechigneuses que ça démoralise ; alors prudence !

Le Gros agite un index plus considérable qu’une saucisse de Toulouse.

— Le bonheur d’enfanter, les gars, qu’on le veuille ou pas, c’est plus un bonheur pour l’homme que pour la femme. Se le répéter pendant que bobonne chiale sur ses jupes immettables. Le mari, au lieu de s’énerver, doit chercher les paroles consolateuses. Par exemple « C’est pas parce que t’as l’air d’héberger un zeppelin qu’il faut te mettre dans cet état, ma poule, tu la retrouveras, ta taille mannequin ! » Re-exemple : « C’est parce que t’as le tour de taille d’une pissotière à six places que tu fais cette tête-là, Bécassine ? T’as pas honte ? » Car, voyez-vous, les gars, c’t’une question de tempérament : y a des lymphatiques qu’il faut secouer gentiment. Le gentelmant doit toujours avoir pitié. Ainsi, lorsque la pauvrette a mal au cœur, bien se garder de la chambrer, lui tenir le front, j’implore de votre dignité. Et sans grincher. Je me rappelle un de mes potes que ça l’agaçait de voir mémère faire sa prière devant la tinette et qui, le grossier personnage, lui criait à tout-va des trucs comme « T’as pas bientôt fini de nous verser des acomptes ». Le zig dont je vous cause pour l’exemple était un goujat pas fréquentable. Par contre je peux vous en citer un autre, un monsieur très bien que j’ai connu à la cambrousse. Fallait voir le climat qu’il créait autour de madame ! Il faisait la vaisselle, mettait jouer des disques de Tino Rossi et lui portait le caoua au pieu.

« C’était d’autant plus délicat de sa part que le môme pouvait pas être de lui vu qu’il avait le kangourou en deuil à la suite d’un mauvais coup de manivelle d’auto.

« Bon, je crois m’avoir fait comprendre, hein ? Plus vous choyez la mère, plus l’enfant sera beau et vous fera honneur. Parce qu’enfin, les mecs, y a rien de plus débilitant que d’être le dabe d’un petit crevard fané, qui, avant d’avoir bu son premier godet de beaujolpif, a l’air de déjà trimbaler une cirrhose ! »

Il se tait, nous couvre de son regard altier.

— Des questions ? fait-il avec l’autorité d’un président d’assises tourné vers le jury.

Je fais claquer mes doigts comme un écolier réclamant la permission d’aller écrire à l’eau chaude le nom de sa bonne amie sur l’ardoise des vécés.