Выбрать главу

Monsieur le professeur de bonnes manières déboutonne son gilet, puis sa chemise, et se met à grattouiller avec fureur un bide astrakanesque. Ayant fait, il examine le bout de ses ongles et les nettoie en les frottant dans ses cheveux.

— Autrefois, reprend-il, on filait aux nouveau-nés une tripotée de prénoms. Le zig qui voulait étaler sa raison sociale en entier devait en transporter sur le porte-bagages. Maintenant c’est classe, on donne juste le triste nécessaire, deux ou trois pas plus. Mais le rigolo c’est que chez les princes on continue de leur en accrocher une vraie guirlande ! Pourtant, des princes y en a plus tellement, hein ? Et la gourance est pas redoutable. Enfin, je veux pas m’en mêler, ces gens, l’Armée du saloche les guette et si on les laisserait pas jouer avec ce qui leur reste de traditions, on serait des vrais peigne-zizis ! La haute lignée est en baisse, les gars. Plus la peine de la taquiner. Depuis qu’on y a élagué le cigare, au Louis XVI, le sang bleu continue de rougir. Les princesses se tapent des manars et les rois épousent des shampooineuses. Tenez, moi qui vous cause, je me farcis présentement une bergère majuscule et pourtant, y avait même pas l’eau courante dans la gentilhommière à papa !

Il vide sa boutanche de beaujolais d’un gosier péremptoire, paupières baissées, aux prises avec des délices internes.

— Y a pas, parenthèse-t-il en contemplant son flacon vide, avec ce nectar, on a les muqueuses qui font leurs petites folles !

Il clape deux ou trois fois et continue pour son auditoire passionné :

— Donc, le môme arrive au monde. De deux choses l’une : c’est un garçon ou c’est une fille. Il peut arriver que ce point soit pas éclaircissable et que le pauvret ait de l’indécision dans le rez-de-chaussée.

« Faut lui donner sa chance d’opter à sa majorité. Pas qu’un jour on ait besoin d’écrire sur une enveloppe : Monsieur Jules Durand et son mari. En conséquence, mouillez-vous et appelez-le Claude ou Dominique pour éviter de l’influencer et lui laisser carte blanche !

« Matons les choses en face. Vous v’là à la maternité. Vous venez de griller deux paquets de gitanes filtre en priant le barbu pour que ça soye un gars et la sage-dame vous annonce que c’est une fifille. Liquidez votre désappointement d’urgence, sinon vot’ dame qui guette sur votre frime risque de se payer une grève du lait illimitée. La santé du mioche avant tout ! Consolez-vous en disant que l’enfant ne fera pas de service militaire.

« Si on vous révèle que vous avez des jumeaux, rouspétez pas ; vous serez pas le premier d’avoir fait l’amour avec un papier carbone et puis ça peut les aider dans la vie, surtout s’ils feraient du music-halle plus tard.

« Et des fois que vous auriez réussi des quintuplés, vous évanouissez pas : votre fortune est faite. Sans perdre de temps, vous vous donnez un coup de peigne et vous attendez la télévision et les journalistes. Pas d’affolement, préparez bien vos réponses. C’est vous qu’allez subir l’assaut, vu que ni la môman ni les lardons sont en mesure de microter. Prenez l’air d’en avoir deux (d’ailleurs après un événement pareil il viendrait à personne l’idée de contester que vous en ayez pas deux au moins !) et surtout évitez de bredouiller : “J’sais pas ce qu’a pu se produire”. Ils aiment pas, les journalisses. De toute manière ils arrangeraient, alors, soyez-leur z’agréables et inventez pour eux, ça leur évitera du boulot et ils vous en seront reconnaissants. Vous dites par exemple : “J’avais beaucoup z’étudié le traité du Docteur Godemouth sur la stimulation des zormones dans la sidérurgie moderne”, ou un truc de ce genre, quoi. Bien savant, bien compliqué. Et vous enchaînez : “Selon les calculs dont auxquels j’ai longuement procédé, il m’a t’apparu avec certitude qu’en fréquentant bobonne le surlendemain de la pleine lune, entre dix heures du soir et la colonne Vendôme, j’avais des chances de réussir des quintuplés”. Vous mordez ? Le coup de la préméditation, jamais pris au dépourvu. Le zig qui drive le destin comme sa 2 chevaux Citron. Le public espère toujours qu’il existe un mariole capable de dire merde au futur et de le manier à sa convenance.

« Autre cas qui peut se produire, les gars : Madame votre épouse a donné le jour à un petit Noir, alors que vous, vous avez la blancheur Persil. »

J’interromps un instant le cours du Gros pour ouvrir une parenthèse, mes amis. A propos de la blancheur Persil. Certains locdus s’imaginent que parce que je cite des noms de produits, je bouffe dans la gamelle du tonton à Jean Jacques[1]. Je proteste. J’ai jamais reçu un fif de quiconque pour vanter ses denrées. Le jour où je serai à vendre, je mettrai des annonces dans les baveux. Y a de très rares reconnaissants cependant qui m’envoient un petit échantillon gentil. M. Banania un jour, y a longtemps. Dernièrement, M. Opinel, les couteaux. Et puis Mme Cinzano, bien sûr, pour le nouvel an. Plus un porte-clés de je me rappelle pas qui et un porte-mine Waterman. C’est tout. En quelque quatre-vingts bouquins c’est pas rentable, convenez ? Si je me réfère à des noms commerciaux, c’est parce que nous vivons au milieu d’un univers publicitaire qu’il est stupide d’ignorer, qui fait partie intégrante de notre existence, qui nous saute aux yeux à chaque pas ! Pourquoi on serait bien vu en chantant les louanges de M. Pompidou et mal considéré parce qu’on cause de Lustucru ? Hein, je demande ? Tous les deux marquent notre quotidien, surtout Lustucru d’ailleurs. Si de causer de Gibbs, de Lévitan, de Persil, de Cinzano, de la gaine Scandale ou d’Astra ça fait de la pube à ces boîtes tant mieux pour elles. Je leur fais cadeau ! Ça tombe de moi. C’est à l’œil. Y a qu’à ramasser avec une petite pelle et une balayette, comme derrière le fion des bourrins. Vu ? Continue, mon Béru, ton œuvre salvatrice.

Le Gravos cligne un œil.

— D’accord, un baby de couleur ça déprime sur le moment, mais faut s’hâter de surmonter votre déception. En vous doublant avec un Noir, vot’ dame a apporté sa contribution à l’unification des races, en somme. Un jour viendra où qu’il n’y aura plus de Blancs, ni de Noirs ni de Jaunes mais une seule couleur grisâtre, selon moi. Ce qui va tout niveler, c’est les moyens de transport. Jusqu’avant la dernière rouste, on peut dire que chacun restait chez lui, à mitonner dans sa couleur. Grâce à la locomotion, de plus en plus y aura du frottement et du mélange. Les racisses essaient de freiner le monde en s’accouplant avec des personnes de leur teinte comme on assortit l’étoffe des rideaux avec le papier de la tapisserie. Et remarquez-le, c’est surtout ceux-là qui grimpent la négresse quand ils vont au clandé. Ils empêcheront rien. Quand vous brassez des œufs et de l’huile, ça fait une mayonnaise. Le monde monte en mayonnaise.

Bérurier gamberge un instant et hoche sa noble hure.

— Mais reprenons. Vous v’là père. Faut maintenant annoncer la chose aux parents et connaissances. A partir de triplés, inutile, y a un entrefilet gratuit dans la presse. A quadruplés, on a droit à sa photo. A quintuplés, je vous l’ai dit, votre faire-part est à la une de tous les journaux du monde ! Mais enfin, comme la chose est pas fréquente, voyons le teste d’un faire-part courant.

Parvenu à ce point délicat de l’encyclopédie des bonnes manières, il reprend sa bible et la compulse fiévreusement.

вернуться

1

Cette San-antoniaiserie n'est compréhensible que si l'on sait que M. Marcel Bleustein-Blanchet, le fameux directeur de PUBLICIS, est l'oncle du non moins fameux Jean-Jacques Vital.