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« Toujours est-il que mon projet de môme est tombé à l’eau. Quand je l’ai revue, marraine, c’était devenu une douairière plissée soleil. Elle avait tellement maigri que ses compresseurs lui pendaient sur l’estom’. J’ai eu beau me cramponner au souvenir, le cœur n’y était plus. Pour escalader une frangine faut pas que de la nostalgie, les gars. Tout ça pour vous dire que les marraines on n’a pas intérêt à les choisir trop jeunettes. Ne pas les prendre trop vioques, non plus, par contre. Si vous choisissez un vieux parrain, il risque de déclarer forfait avant que le filleul soye élevé et alors c’est le môme qu’est obligé, pour le coup, de lui offrir des fleurs à la Toussaint. L’idéal, donc, c’est de prendre des parrains entre deux âges. Ah ! autre chose : ne jamais choisir quelqu’un avec qui vous pagnotez, J’ai un cousin, quand il a eu un lardon, il s’est dépêché de proclamer marraine une amie à lui qu’il calçait à tout-va. Conclusion, un jour, sa bonne femme les a coiffés en flagrant du lit et le môme a jamais plus revu sa marraine. Le dargif et le cérémonial de famille, ça ne va pas ensemble. Confondez jamais bidet et fonts baptismaux car, un jour ou l’autre, c’est le gamin qu’en pâtit ! »

Bérurier se tait un instant. Il mâchouille à vide et demande :

— Quelqu’un aurait-y une petite boutanche de pinard à mon service, j’ai pas prévu assez de munitions pour ce premier cours et j’ai la menteuse qui chauffe tellement que je crains de couler une bielle.

Comme personne ne bronche, il soupire.

— Je veux pas vous vexer, les gars, mais vous manquez d’organisation. Moi, à douze ans, les jours d’hiver j’emportais ma topette de gnole à l’école, ce qui fait que j’ai jamais tombé malade.

Il chasse sa réprobation d’un haussement d’épaules.

— Encore quèques indications sur le baptême et j’arrête les frais.

« A mon avis, faut jamais attendre pour baptiser un lardon. Une supposition que le gosse soye fragile des éponges et qu’il dessoude avant d’être chrétien, hein ? Du coup le saint Pierre fait la sourde oreille pour ce qui est de délourder la porte, là-haut. La religion catholique est formelle sur ce point : les gus pas baptisés n’ont pas leur ticket d’admission au Paradis. C’est vous dire s’il doit y avoir de la bousculade dans les environs, vu que sur l’ensemble des hommes, les cathos ne représentent qu’une petite partie. Je me demande, les autres, ce qu’ils maquillent, hein ? Une éternité à se branler les cloches, c’est longuet. Mais ce n’est pas seulement pour cette raison que je préconise un baptême rapidos, c’est à cause que la maman est pas encore sortie de clinique, ce qui permet au papa de se payer une bringue carabinée sans faire glapir bobonne !

« Le séjour d’une dame, en clinique, dépend de sa situation sociable. Plus une jeune maman est riche, plus il lui faut du temps pour se rétablir. Moi, ma mère, elle s’est levée le jour même de ma naissance pour faire son ménage, mais par contre, la châtelaine de notre bled mettait quinze bons jours à surmonter. Le sang bleu est moins résistant. De le transmettre, ça éprouve ; c’est du produit contrôlé, quoi, faut comprendre ! Chose curieuse, c’est le contraire chez les hommes. Mon médecin me causait : un bras cassé de manar, faut compter trois mois, biscotte la Sécurité qui prend en charge, tandis qu’un bras cassé de patron en quinze jours il est recollé. Notez qu’un patron est plus riche en calcium, fatalement. »

Le Gros est satisfait de nos énergiques hochements de tête.

— A l’église, poursuit-il, c’est la marraine qui tient le bébé pendant que le curé le sale et l’onguente. Mais le parrain l’aide à cramponner le gros cierge et m’est avis qu’il pourrait profiter de l’occase pour lui faire le coup du petit doigt à tête chercheuse. Dans la vie faut savoir utiliser les circonstances !

« Après la cérémonie, je recommande au parrain de bien arroser le curé. Pas avec la flotte, mais avec de l’artiche. Je sais bien que le Cérébos n’est pas onéreux mais faut songer à la main-d’œuvre. Dites-vous que ce brave cureton, au lieu de faire pleurer le môme (un baptisé pleure toujours, c’est d’ailleurs ce dont pourquoi on le tient au-dessus d’un récipient), il aurait le temps de faire une quête. Son manque à gagner, faut lui revaloir à cet homme. Y a des radins qui se croient quittes en lui refilant une boîte de dragées Martial, c’est abusif comme procédé, surtout quand ils glissent quelques dragées farces dans la boîte. Une fois, on a fait ça, dans un baptême, avec mon ami Alfred le coiffeur. Moi, pas méchant, j’avais seulement mis des dragées au poivre dans le ballotin du révérend. Mais c’t’impertinent d’Alfred, ça lui suffisait pas, vu qu’il est très extrémisse d’idées. Il a collé dans le paquet une poignée de dragées aphrodisiaques.

« Rigolez pas, c’est traître comme blague. Surtout à un jeune prêtre qu’avait encore la paille d’emballage du séminaire sous sa soutane ! Paraît qu’à la suite de cette gaminerie, on lui a retiré le catéchisme des petites filles. De quoi briser un apostolat, je vous dis. »

Il a un vilain enrouement, Béru. Il s’est trop donné pour une première fois, le Généreux.

— Une dernière chose, graillonne-t-il. Est-ce qu’on peut chanter des chansons de salle de garde a un baptême ? Y en a qui disent « non », y en a d’autres qui disent « oui à condition que ça soye dulcoré ». Je vais vous répondre, les gars. On peut !

« On peut, vu que le bambino est trop petit pour piger. Pourquoi se gêner alors ? Quand on est grande personne, les occasions de pousser une goualante sont trop rares. Et puis, pour un baptême, une chanson salée me paraît au contraire tout indiquée ! »

Cette fois il se tait. Exténué, sublime !

C’est plus fort que nous : nous nous levons afin de l’acclamer. Il salue, de ses bras en V. Il remercie de la hure. Il bredouille des « c’est bien, c’est bien » avortés.

Les applaudissements montent, crépitent, s’enflent dans la vaste salle. Galvanisé, Béru s’écrie alors :

— Moi, Bérurier, je dis un grand merci à cette foule de jeunes que je vois rassemblée devant moi. Vive l’Ecole nationale supérieure de police ! Vive la police tout court ! Et vivent les étudiants !

Dans un indescriptible délire, tous les élèves rassemblés entonnent alors l’hymne fameux :

Vivent les étudiants, ma mère, Vivent les étudiants ! Ils ont des femmes et pas d’enfants, Vivent les étudiants !

Tout frissonnant de gloire, le Gros ramasse sa serviette écossée, sa bouteille vide et son manuel. Il se retire à reculons, la cravate dénouée, l’œil extasié, le front violet, la braguette béante. Exécutant des courbettes émues à gauche, à droite, au centre ! Superbe, triomphant, bon jusqu’à la liquéfaction. Magnifié par ce grand savoir qu’il vient de répandre a giorno sans pourtant s’en dépouiller.

CHAPITRE SEPT

DANS LEQUEL IL SE PASSE DU LOUCHE

Je pionce dans le dortoir du vieux bâtiment. Mon box personnel est au fond de la pièce, près de la fenêtre. Il ferme par un rideau et les séparations sont en contreplaqué, c’est dire si la promiscuité insiste !

Vu ma mine anthracite, les copains m’ont déjà surnommé Blanche-Neige. Y a peu de renouvellement dans le quolibet. On affuble toujours des mêmes épithètes. Les hommes manquent d’invention. La calembredaine se traîne languissamment, d’une génération à l’autre. Un coloured man, tout de suite c’est Blanche-Neige. Depuis la sortie du chef-d’œuvre de Disney on a inventé la pénicilloche, l’avion supersonique, et la bombe atomique mais pas de nouveaux surnoms pour charrier un bronzé. Blanche-Neige ! Dans toute sa pauvreté. Faut-il avoir la glande blagueuse atrophiée, tout de même !