— Une réponse comme celle-là, j’y octroye un 18, histoire d’encourager l’amateur. Ceci dit, maintenant, on va continuer.
Il referme le carnet pour rouvrir sa vaillante encyclopédie.
— On en était au baptême. Le lardon va démarrer dans la vie. Ce qu’il y fera plus tard, croyez-en un homme d’espérience, dépendra du comment qu’il aura été élevé. Pour bien driver un mioche, je connais qu’un système. Employez-le sans hésiter, il est breveté S.G.D.G., je veux causer de la taloche. Au départ, un môme c’est quoi ? Un petit animal emmerdant qui balance des cuillerées de bouillie sur le papier de la tapisserie, qui file son assiette par terre et qui casse les meubles, ses jouets et les pieds de tout un chacun. Y a des parents faiblards qui trouvent ça marrant, je m’interpose ! Quand le gosse est tout bébé, déjà faut sévir. La noye, dans son berceau, le voilà qui vous entonne la goualante des affligés. Pas de pitié : collez-vous des boules Quies dans les cages à miel et laissez-lui pousser ses contre-ut. Ou alors, faites comme ma maman : mettez-y une rasade de calva dans son biberon, manière que ça l’assoupisse ! Les parents pommes qui jouent Véronique des mois durant en virgulant l’escarpolette à Jojo, la nuit, sont des criminels. Et s’ils morflent un rhumatisse, plus tard, à leur biceps berceur, c’est bien fait pour leurs pattes.
Ayant de la sorte attaqué, Béru écluse un verre de juliénas en matant son bouquin.
— A partir de là, en ce qui concerne le môme, il faut prendre point par point, sinon on mélange. Voyons la toilette par exemple. Là-dessus on recommande de baigner les chiares tous les matins.
Il fait une horrible grimace.
— Pas d’accord. Ça risquerait de les rendre coquets et on obtiendrait des petits chéris maniérés. La toilette, la grande, je cause, il me semble qu’une fois par mois c’est bien suffisant. En tout cas, la veille de Noël, ça oui. Le reste du temps, un petit coup de fraîche sur le museau, le matin, pour dire de réveiller le garnement, et puis les paluches, œuf corse, quand il revient des cagoinces avec des incidents techniques plein les doigts.
« Par contre, faut les peigner souvent et leur changer de chemise une fois par semaine. Une bonne présentation, c’est la base du succès. Ne jamais escuser les culottes défaites. Un bambin a beau avoir le bec verseur format porte-clés, c’est pas une raison pour qu’il le balade tout cru sous le nez des populations. »
Il feuillette sa bible en s’humectant l’accusateur.
— Sur le chapitre de la tenue, faudrait parler aussi de la manière de se moucher. Je trouve rien de plus horrible qu’un mouflet avec la chandelle au pif. Dans mon manuel, on raconte que le gamin doit avoir constamment un mouchoir dans la poche et qu’il faut lui apprendre à s’en servir. Oui, je dis pas. Mais un service à lui rendre, c’est quand même de lui enseigner à se moucher avec les doigts. La vie est longue et pleine de circonstances, les gars. Il vous est arrivé, il vous arrivera encore de vous trouver sans mouchoir et enrhumés ! Le type qui ne sait pas ramoner ses écuries sans mouchoir est handicapé dans ce genre d’aléas.
Le Gros ôte son bada, le pose sur son bureau et se dresse.
— S’il y en aurait qui ne sauraient pas, dit-il, voilà la manière de procéder. Vous choisissez la narine la plus garnie. Du pouce, vous appuyez bien sur l’autre de façon à l’obstruer. Vous respirez tout grand, vous fermez la bouche, et vous soufflez à vous en faire péter l’os qui pute.
Il mime, avec résultat à l’appui.
— C’est un bon prof, murmure un collègue, il indique bien.
Béru décrit un geste nonchalant.
— Grâce à ce petit truc, votre lardon ne sera jamais pris au dépourvu !
Il se rassied, content de lui, et déclare en faisant la marionnette avec sa dextre :
— Le premier des tire-gomme, le voilà ! Naturellement si vous seriez en visite dans la Haute vous pouvez pas vous en servir, biscotte la virgule gluante la fiche mal sur les Téhéran, mais pour le cas où vous avez besoin de vous décamoter l’escargot dans le monde sans posséder de mouchoir, j’ai une recette dont à laquelle vous aurez droit dans une autre leçon. Passons !
Il se revisse le nombril d’un ongle qui ne se souvient déjà plus de sa visite à la manucure et poursuit :
— Un môme doit être couché de bonne heure. D’abord parce, que c’est mieux qu’il en écrase quand papa-maman rejoindront leur rampe de lancement pour se jouer la grande scène de « Pars pas sans moi », drame lyrique en trois actes ou un tombé. Ensuite parce que s’il va pas au pieu, il regarde la téloche et devient vite aussi calé que vous, ce qui est fâcheux. Le plus démoralisant, c’est ces gamins qui savent déjà tout et qui vous font passer pour des crêpes ! C’est pourquoi, carré blanc ou pas, faut les convoyer en express vers leur plumard.
Il boit un nouveau godet, l’apprécie et enchaîne.
_ Voyons, leur comportement à table. Y a des parents vanneurs qui s’ostinent à vouloir faire claper leurs gamins avec un couvert. Je trouve ridicule. Comment t’est-ce qu’on peut en faire des gastronomes si la bouffe devient pour eux un numéro de haute voltige, hein ? Sans compter qu’ils peuvent se blesser ! Non, croyez-moi, un pilon de poultok, une côte de mouton ou même un flan à la vanille, c’est avec les doigts qu’on les déguste le mieux.
« Eviter au maximume d’en faire des singes savants. Les crevards pâlichons qui dès l’âge de huit ans font du lèche-pogne aux dames et lèvent le petit doigt pour tartiner leur caviar me font honte. Un enfant doit vivre relaxe, citoyens. Il a le temps de s’endimancher, de se maniérer, de snobiner, de crâner, de faire concorder les verbes. Il doit profiter de sa jeunesse, sinon on le branche dans le refoulement. Mais il est des cas, bien sûr, où les gosses doivent jaffer à la table des grandes personnes : pour les fêtes de famille, par exemple. Alors là, je vous demande de bien les préparer à la chose pour éviter du grabuge. N’oubliez jamais que les enfants c’est guette-au-trou et compagnie ! Ils paraissent innocents, mais ces petits teigneux vous flanquent la variole dans le chantier avec leur air candide. Tenez, l’an dernier, j’étais à la noce d’une nièce à moi : Germaine, une petite friponne avec des yeux qui feraient rougir un centenaire, et un balconnet qui lui ferait battre la mesure même s’il était manchot. Elle épousait un brave garçon ; fonctionnaire, mais pas bête. Des gens très bien ; le père dans les banques, mais honnête néanmoins, et la mère bigote mais pas tellement hypocrite. Belle cérémonie ! A l’église le curé avait prononcé une allocation bien sentie, comme quoi il trouvait Germaine gentille, sérieuse, dévouée et t’essaieras et t’essaieras ! Ensuite on s’était cogné un frichti de première à l'Auberge du Grand Condor et de la Démocratie Réunis. Pour vous dire si l’ambiance se maintenait au beau fixe ! Et puis voilà que brusquement, Mimi, le petit frelot à Germaine, un futé de six berges, balance en plein silence :
« “Dis, Mémaine, comment qu’il s’appelait, déjà, le grand blond que j’ai trouvé dans ta chambre l’autre soir ?”
« Vous parlez d’une catastrophe ambulante !
« Tout le monde devient vert et la Germaine, angoissée, se paie un petit rire pas riche.
« “Qu’est-ce tu racontes, mon chéri ?” qu’elle lance à l’affreux Mimi, tandis que, sous la table, grand-maman filait des coups de serviette indulgents dans les cannes de l’impertinent. Mais ce fumelard de Mimi insiste, à la consternation générale.
« “Tu sais bien, qu’il dit : vous étiez nus tous les deux, même qu’il m’a fait signe avec son derrière de m’en aller !” »
Béru se claque les jambons.
— Vous jugez de l’angoisse à bord ! J’ai vu le coup qu’on allait mettre les chaloupes à la mer. L’oncle Michu qui s’apprêtait à barytonner « Le Merlan de Séville » et qu’avait, pour la circonstance, arrimé son râtelier deux-pièces, n’a plus pu en pousser une note ! Le papa à Mimi torgnolait l’horrible môme à tout-va, malgré la grande vioque qui le traitait d’assassin. Le marié pleurait sur son plastron et sur ses illusions et les beaux-parents poussaient une gueule atroce, en marmonnant des présages bien funestes. Heureusement que je m’ai trouvé là pour sauver la situation. Je suis allé au jeune époux et je lui ai dit : « Lulu (il s’appelait Lucien) t’es le vergeot des vergeots, mon petit homme ! Voilà qu’une jolie fille comme Mémaine te préfère à un beau blond et qu’en plus tu vas te payer le voyage de noces style pullman, sans effort aucun ! Pas de forcing : rien que de la régalade, gars ! Songes-y ! Un zig que tu as fait en somme cocu t’a tiré les marrons du feu et maintenant, Môssieur va se goinfrer à sa santé ! »