« Il s’est arrêté de chialer, pour le coup, le marié. Le drame des hommes, c’est qu’ils voyent jamais du premier coup le bon côté des choses. Si on leur souligne, alors là, ils raccrochent mais tout seuls ils sont incapables. Un astucieux a branché le piqueupe de l’auberge. Et tout le monde s’est mis à danser. Mais on avait eu chaud aux plumes, je vous le dis ! »
Le Gravos sourit à son esprit d’initiative.
— Si je vous ai relaté cette anedocte, mes amis, c’est pour attirer votre attention sur le danger d’un mouflet à table. Pour veiller au grain, ne mettez pas sa grand-mère gâteau (ou gâteuse) à côté de lui, mais quelqu’un d’énergique auquel vous aurez donné les pleins pouvoirs et une épingle. Sa mission, elle consiste, sitôt que le môme grain-de-sel va pour débloquer, à lui piquer les miches en début de phrase. C’est radical. Le temps qu’il chiale et qu’on le console, l’orage est passé.
Il masse ses joues râpeuses.
— Les enfants, par contre, faut être correct avec eux. Ne jamais se payer leur tête. J’ai entendu, dans mes relations, des pères dire à leur épouse, devant le moutard concerné : « Ce qu’il peut être moche, ce pauvre gosse, tu m’as doublé avec un chien panzé, c’est pas possible ! » Ou bien : « Quand je vois la pauvre bouille de ce gamin, je me demande si t’aurais pas lu Fantômas en l’attendant ».
« Le pire, c’est avec les infirmes. Certains parents peuvent pas admettre d’avoir un petit dauphin qui roule sur la jante. On rigole de la blague “Prends ton béret et va acheter dix kilos de pommes de terre”, mais pourtant je vous jure qu’elle est authentique ! Dans mon quartier, y a un pauvret qui traîne une guitare débranchée. Quand il marche, on croirait qu’il s’est sauvé avant que sa maman ait eu le temps de le finir. C’est sa flûte gauche, je crois bien, qui fait roue libre. Si vous entendiez ce que peuvent lui sortir ses vieux, comme horreurs : “Hé, dis donc, Cloclo, mets-la sur ton épaule, t’iras plus vite !” Et puis aussi : “Voilà Quatre-et-trois-font-cinq qui rapplique avec sa guibolle en retard !” ou encore : “Hé, Jazy ! c’est ta médaille d’or que t’as de la peine à coltiner ?” Des parents pareils méritent pas de vivre, messieurs. »
Sur ces fortes paroles, Bérurier s’essuie le front. Ensuite de quoi il recoiffe son bitos car il a le respect de sa propre iconographie. Il sait, confusément, que Béru sans son chapeau n’est qu’une figure incomplète. C’est Charlemagne sans sa barbe, Jeanne d’Arc sans ses voix, Paul VI sans son Boeing !
Pour lors, ayant recouvré sa pleine signification, il reprend le cours de son cours.
— Il s’agit pas non plus de sombrer dans l’excès contraire et de leur passer à tout propos la brosse à reluire ! Ils me rebroussent le poil, ces parents qui pommadent leur progéniture pour se faire croire qu’elle sort du fion de Gulliver ! A les entendre, leur avorton aurait eu droit à double ration de matière grise. Ils vous rapportent leurs bons mots, vous causent de leur dix-huit sur vingt en calcul et des éloges du maître-qu’a-jamais-vu-un-élève-aussi-doué ! Des bobards ! Les bons mots, c’est dans les Potins de la Commère qu’ils les ont lus, les bonnes notes, c’est eux qui les ont obtenues en faisant les devoirs et le maître d’école, c’est du docteur Schweitzer qu’il voulait parler ! Je vais vous refiler un tuyau, les potes : quand vous tombez sur les parents d’un petit prodige et qu’ils vous cassent les noix avec les prouesses scolaires du gamin, demandez à admirer son bulletin et vous les verrez perdre de la vitesse, aux pondeurs de génies ! Pour le coup, ils deviennent prudents, parce que je vais vous en apprendre une bath : un beau bulletin, parfait, ça n’existe pas. Ou bien alors, le titulaire est un môme malade qui a du mou dans les hormones et des relents de bouillons de culture dans la thyroïde. Y a des élèves forts en maths, pour qui les effractions n’ont pas de secret, certes ; d’autres qui te vous écrivent le français aussi bien que dans Ici-Paris, recertes ; d’autres encore qui sont capables de vous réciter la capitale du Niagara, mais un môme n’est pas craque dans toutes les matières ; je démens !
Depuis ma place, les bras croisés, je l’écoute, souriant comme les copains de ses boutades, mais admirant son rude bon sens. Quel grand penseur inabouti dans son genre ! Et comme il a raison jusqu’au fin fond de ses outrances.
Il continue, là-bas, sur son estrade.
— Un spectacle qui me navre, c’est de voir de petits bonshommes en larmes que leurs marâtres traînent à l’école. Ils se mettent leurs talons en flèche, comme sur les dessins animés pour pas avancer. Mais, impitoyables, môman fait : « Oh hisse ! » Comment voudrez-vous qu’un jour ils refusent d’aller au casse-pipe, puisque, tout mouflets, leur mère les y a déjà coltinés de force ?
« Non, vibre-t-il, ne les obligez pas. Malgré qu’on soye d’une époque évoluée, il reste heureusement des professions où il y a pas besoin de savoir lire : pompiste par exemple. Et d’autres, telles que députés et pédicures où qu’il y a pas besoin de savoir écrire. »
Comme il s’apprête à poursuivre, la porte s’ouvre sur le directeur. Tout le monde se lève. Tout le monde sauf Bérurier bien entendu.
Le patron s’excuse auprès de monsieur le professeur d’interrompre sa classe. Il a une communication importante à faire.
— Messieurs, dit-il, le président de la République du Ronduraz, Son Excellence Ramira Ramirez, actuellement en visite officielle en France, a manifesté le désir de visiter notre Ecole, ce qui est un grand honneur pour cet établissement.
Tout le monde applaudit bien fort.
Le cher dirlo calme l’enthousiasme en laissant tomber :
— Cette visite, à cause du programme chargé du président, aura lieu samedi prochain ; par conséquent tout le monde sera consigné ce jour-là ; veuillez prendre vos dispositions.
Et il sort.
— Prendre nos dispositions ! ricane un aimable Méridional du nom de Balochard, est-ce que ça veut dire qu’au lieu d’aller au cheptel on devra faire venir le cheptel à nous ?
Pas contents, les camarades. Le Ramirez, ils voudraient le voir au diable. Certains ont leurs légitimes qui les attendent à l’hôtel du Pou Nerveux et ils se demandent si bobonne va pouvoir assurer la soudure jusqu’au dimanche suivant. Celles qui ne possèdent pas une autonomie suffisante vont être contraintes de faire des escales surprises ou de se ravitailler en vol !
— Ecrasez, les mecs ! tonne tout à coup Béru, impatienté. Le cahier des doléances c’est la porte à côté. Puisque demain on est mercredi, vous leur filerez la ration naufrage, à vos frivoles, pour qu’elles puissent faire la traversée sans pilote !
Ayant de la sorte calmé les esprits surchauffés, le Gros s’octroie le glass du sage et continue.
— Je tiens à aborder un chapitre délicat de l’enfance : celui des fréquentations.