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Il hoche la tête, indécis.

Brusquement, les cantiques et l’harmonium se taisent dans la pièce voisine. Je distingue des exclamations. Puis la vieille servante jaunasse aperçue naguère se pointe à toute vibure sur le plancher encaustiqué.

— Vous pouvez venir, monsieur Xavier ? fait-elle avec vivacité d’une voix pareille au bruit d’un tramway dans un virage.

— Que se passe-t-il ? tressaille le Rouquin.

— Il y a là un individu qui réclame après vous et qui cause du scandale.

Nous nous dressons. La vioque aperçoit alors nos cigarettes et ça la choque pire que si nous lui montrions nos Casimirs à pendeloques. Elle fait un truc qu’on m’a encore jamais fait. La voilà qui m’ôte la pipe du bec et qui la virgule par la croisée ouverte. Elle procède de même pour Mathias.

— C’est un scandale, grince-t-elle, avec le bruit d’une girouette surmenée par le mistral.

J’explose :

— Dites donc, la chaisière, si vous n’aviez pas cent dix ans, je vous botterais sérieusement le dargeot, manière de lui donner des couleurs ! En voilà des façons !

J’interpelle le Van Gogh humain.

— Et tu tolères ça, l’ahuri ?

A tout hasard, miss Grain-de-courge se signe par trois fois pour me conjurer. En voilà une dont le berlingot a opéré une remontée impétueuse au fil des ans. Sa vertu et son cerveau ont effectué leur jonction. L’un perturbe l’autre au lieu de le compléter.

Elle m’arrive dessus en piqué. A deux centimètres et demi de mon naze elle lime :

— Vous n’êtes qu’un goujat, un nervi, un apache, un triste sire…

— Voyons, Marthe ! sermonne Mathias qui voit sa position compromise sous le toit beau-paternel.

Mais la couleuvre continue de siffler.

— … Un paltoquet, un démon, un…

— Ecoutez, ma belle momie au teint de pêche-abricot, la coupé-je, si je peux me permettre un conseil, vous devriez bouffer de l’ail ou bien boire de l’alcool de menthe, enfin bref, vous parfumer le bec avec du véhément car votre haleine me fait penser à la fois où les vidangeurs ont fait la grève sur le tas ! Quand vous respirez, c’est comme quand on oublie de tirer la chasse après usage. Faudrait consulter un stomato ou mieux Jacob Delafon pour qu’ils vous installent un système de siphon dans le clapoir.

Débordée, anéantie, outrée jusque dans sa moelle épinière, elle s’abat dans un fauteuil tandis que nous cavalons chez le beau-père.

En pénétrant dans le grand salon du docteur, nous avons droit à un spectacle rare.

Une dizaine de personnes sont rassemblées là. Déguisées en druides ! Toutes portent une espèce de longue chasuble blanche et sont coiffées d’une couronne de laurier.

La femme de Mathias est couchée sur la table, avec un coussin en guise d’oreiller, et les braves gens ici réunis brandissent au-dessus de son ventre une rose blanche.

Debout devant la table, le docteur officie. En plus des autres, il porte une étole d’hermine autour du cou. C’est un kroumir à barbiche immaculée, avec un lorgnon, la raie au milieu, un nez patatesque, des étiquettes décollées et une rangée de dents en or.

Il regarde, bouche bée, le gros Béru debout près de la porte, son flingue à la main. La scène est dantesque. C’est un tableau délirant. Les sujets sont figés comme dans un instantané photographique.

— Eh bien, à quoi joues-tu ? Béru-interpellé-je.

Le Gros me mate par-dessus son épaule gauche. Ma présence le surprend un peu, pas trop. Depuis si longtemps il est habitué à me découvrir dans les endroits les plus inattendus !

— Je crois que j’ai arrivé à temps ! me fait-il, vise un peu !

Du canon de son feu il embrasse la scène.

— Ces gus s’apprêtaient à martyriser la jeune dame que voilà.

— Tu n’y es pas, crétin…

Je lui explique qu’il ne s’agit pas d’une chambre ardente mais d’une chapelle. On ne torture pas, on célèbre la messe séraphiste. Le barbichu, c’est pas Samson, mais le papa de l’intéressée.

— Comment te trouves-tu ici ? interrogé-je.

Il hausse les épaules en remisant son composteur.

— J’ai sonné, une vieille rabougrie m’a délourdé.

« “Je suis t’attendu”, que j’y ai fait. Je voulais causer de Mathias. Elle a dû confusionner et m’a drivé ici. Quand j’ai vu ces ahuris autour de la môme, je m’ai dit que je débarquais chez des sadiques. »

Le docteur Clistaire, pour le coup, reprend du poil de la bestiole. Faut le voir se démener, le pape du séraphisme ! Un vrai petit démon dans un bénitier !

Il crie bien haut au sacrilège, à la profanation. Une cérémonie d’enfantement chamboulée par Béru, ça vous conduit droit à la fausse couche, au mongolien, à la déformation congénitale ! Son petit-fils, il risque de venir au monde avec des bras de pingouin, ou bien bourré de microbes, ou encore pire avec le cerveau en tire-bouchon.

Béru égale thalidomide. Béru égale fièvre puerpérale. C’est l’ouragan des utérus ! Le fléau pernicieux des maternités ! Le monstre des berceaux !

A la fin, il supporte plus, le Gros. Et il leur dit sa façon de concevoir, sinon les gosses, du moins la religion.

— Bandes de cloches fringuées en folles pédoques ! brame l’Enorme. Avec vos conneries vous devez vachement l’affoler, le pauvret à venir ! S’il vous entend simagrer il a envie de faire demi-tour et de retourner chez son père ! Ecœuré, ce petit ange, d’imaginer la vie peuplée de tartes pareilles !

« Ça me fait penser au train fantôme de la foire du Trône. Un jour que j’y étais avec une souris, histoire, de la conditionner à la frissonnante, elle m’a demandé si c’était un vrai fantôme qui nous ébouriffait les cheveux pendant le passage dans la grotte aux esquelettes. Elle y croyait dur comme fer, j’avais beau protester que le surnaturel ça n’existait pas elle insistait dans ses convictions. Alors j’y ai repayé un tour d’angoisse pour lui prouver. Au moment où la paluche invisible s’est abattue sur nos tronches je l’ai empoignée et j’ai tiré fort. Ça a résisté sauvage. Pour un fantôme, y se cramponnait, le décoiffeur. Il a failli faire dérailler le train tellement il résistait. J’ai tiré plus fort et il est venu se payer une dégustation de rail dans la grotte aux macchabées. J’ai regretté après, vu que c’était un vieil Arabe aux cheveux blancs et qu’en chutant de son praticable il s’est pété l’arcade souricière. Tout de même, Nini en a eu le cœur net. Vous autres, avec vos robes et votre feuillage sur la coupole, vous me faites penser à elle. Qu’est-ce vous cherchez donc à croire de plus que ce qui existe autour de vous, hein ? Ça vous suffit donc pas, la belle nature et la bonne vie ? »

Cette fois, c’est la mère Clistaire qui intervient. Elle ressemble à la grosse dame prétentiarde que Dubout a dessinée au dos de la couverture (celle qui a des fanons sous le menton). Elle cause fort, jumentesque en diable je vous dis… C’est pas à nous qu’elle s’adresse, mais à elle, dans la grande glace. Les gens qui se regardent parler, c’est la pire espèce. On peut rien contre ça. C’est comme en affaires, deux frangins qui savent s’y prendre. J’en connais à Paname. Dans le théâtre et le cinoche. Deux frères. Gentils courtois, mais qui se regardent sans arrêt quand vous leur causez business. On n’a pas d’interlocuteur. Ils sont sur une autre planète. Ça les isole, c’est ça leur force. Leur manière à eux d’avoir raison : ils vous écoutent à peine, et ils se répondent à eux, les yeux dans les yeux. L’envie vous saisit de vous décalcifier pour essayer au moins qu’ils vous jettent un regard au dargif puisque vos yeux leur font peur. Deux frères qui s’entendent et qui n’entendent qu’eux, c’est invincible. C’est pire que d’avoir un zig intelligent et fortiche en face de soi. Deux zouaves qui se font vis-à-vis et qui procèdent comme si vous étiez un air de radio, ça vous use. Ecœuré, vous finissez par mettre les pouces, vous n’êtes pas vaincu par un homme mais par un serre-livres.