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Il se caresse le lobe entre le pouce et l’index et déclare solennellement :

— Y a deux sortes d’automobilistes : ceux qui sont au volant de leur voiture, et ceux qui en sont descendus. Les premiers s’appellent les affreux chauffards et les deuxièmes les horribles piétons.

Béru jugule les rires avec son autorité aussi coutumière que proverbiale et enchaîne :

— Il y a plus de différence entre un piéton et un automobiliste qu’entre un basset et la tour Eiffel. Exemple : un zig au volant manœuvre pour se ranger. Si un piéton serait dans son champ de manœuvre, dare-dare il lui crie par la vitre :

« “Tu vas pas tirer tes plumes, eh, ballot ?”

« Ce à quoi le piéton lui répond tout naturellement :

« “Je t’emmmerde, toi et ton tas de boue !”

« Bien. L’automobiliste coupe le contact et descend après avoir filé son disque à l’heure et il descend côté chaussée. Une bagnole le frôle. Le voilà qui glapit :

« “Ecraseur ! Non mais, y se croyent tout permis, ces chauffards !” C’est fondamental comme transformation. Instantané ! Sitôt qu’il a les pieds par terre l’automobiliste perd sa mentalité de conducteur. Je m’ai permis de vous dresser une petite liste de ce qu’un piéton peut crier à un automobiliste, et une autre de ce qu’un automobiliste peut lancer à un piéton ; ceci pour les ceux qui n’auraient pas la repartie fastoche.

Il tire un morceau de papier hygiénique de sa poche, ce qui en dit long sur le lieu de ses cogitations, le défroisse comme un billet de banque et lit :

— Pour les piétons, deux points : Assassin ! Toi, avec ton tank ! Toi, avec ton tas de ferraille ! Toi, avec ton zinzin à roulettes ! Toi, avec ta chiotte ! Toi, avec ta charrette ! Ecraseur ! Enviandé ! Fasciste ! Descends de ta brouette si t’es un homme ! C’est la bagnole de mon jardinier ! Tu me fais pas peur avec ton contre-torpilleur ! Salaud ! Fumier ! Figure de fesse ! Tête de lard ! Tête de con ! Tête de nœud ! Tête à claques ! Va-t’en, eh, naufrageur ! Va-t’en, eh, ordure ! Va-t’en, eh, B.O.F. ! Crâneur ! Voyou ! Banquier ! Marlou ! Feignasse ! Gestapiste ! Endoffé ! Sombre brute ! Horrible ! Affreux ! T’as appris à conduire sur une machine agricole !

« Apprenez-les par cœur, recommande le Gros, ça vous donnera déjà une petite base. Dites-vous que plus la voiture est grosse, plus vous pouvez gueuler. Si c’est une tire américaine, traitez le chauffeur d’amerlock sans hésiter, même s’il serait matriculé dans la Seine. Si c’est une femme qui la conduit, ayez pas peur de lui crier putain ! Ou fille de joie si elle roule doucement et qu’elle ait le temps d’entendre, ça la vexera davantage. Passons maintenant côté automobiliste. Lorsque vous cessez d’être un piéton pour redevenir conducteur, voilà ce qu’il faut crier. »

Il récupère un second parchemin, de même nature et de même origine que le premier et lit de sa voix mêlé-cassée :

— Tire tes os, anémié ! Planque ta viande, je veux pas salir mes roues ! T’as les cannes en plomb ou quoi ? Figure de fesse ! Salaud ! Fumier ! (c’est là qu’il y a un léger point commun entre les deux). Mauviette ! Mollusque ! Et les clous, ordure ? Si t’es pressé prends un corbillard ! T’as envie de te foutre à l’assurance ? Echappé de trottoir ! Sauve-toi, eh, Bayard ! Tu te crois à la campagne, dis, bouseux ! Sors-toi de devant, vilain, t’es trop moche pour que je t’écrase ! Bouge tes miches, lambin ! Et ta sœur ? T’es un troupeau d’oies à toi tout seul, bonhomme ? Ta gueule, esclave ! Et mon cul c’est du poulet ? Et moi je t’e… mbrasse… ! Et surtout, le plus terrible : Piéton !

Béru se tait. On vient de frapper une nouvelle fois. Il porte la main à son cœur.

— Cette fois c’est elle ! fait-il d’une voix d’orgasme. Alors tous ensemble, hein, après que j’aye dit entrez : « Bonjour, madame la comtesse ! »

On répète le numéro de tout à l’heure et, comme tout à l’heure, Dupanard fait son entrée. Il traîne la galoche sous les yeux injectés de sang du Gros.

— V’là encore cet immondice qui vient jeter la masturbation dans mon cours, tonne l’Effroyable. C’est bientôt fini ce micmac, Duconnard ? Vous vous croyez aux Galeries La Fayette, mon petit père ?

Il reste digne, le Dupanard, bien que salué chaque fois au cri de « Bonjour, madame la comtesse. » Il vient à moi et me chuchote dans les feuilles :

— M’sieur le directeur demande que vous passiez le voir après le cours.

Je dis banco, et le bonhomme s’évacue sous les sarcasmes du Gravos.

— Reprenons, tranche ce dernier. Y a pas que de l’invective entre piétons et automobilistes. La campagne de France-Soir : « Ne nous fâchons pas » a porté ses fruits. Des gens s’exercent maintenant à la gentillesse. Tenez, la semaine dernière, à Paris, j’ai vu une scène émotionnante. Un vieux monsieur avec une canne et une pelisse à col de fourrure traversait un carrefour. Une auto radine, s’arrête pour pas le gêner. Le vieux monsieur, courtois, soulève son chapeau et dit : « Je vous en prie ». « Mais non, que répond le conducteur, passez, monsieur ». « Pas du tout, rond-de-jambe l’autre, vous avez la priorité. » « Je n’en ferai rien, vous traversiez ! ». « Qu’à cela ne tienne, vous allez plus vite que moi ! » riposte le vieux. Un zig qui attendait sur un triporteur s’écrie : « Et alors, tu te bouges le cul, grand-père ! » Le vieux s’est alors élancé, l’automobiliste aussi, en même temps. Et le vieux s’est retrouvé à l’hosto avec une guitare fanée. Vous voyez qu’il y a du danger à se montrer trop courtois.

« Question de dosage. Si vous auriez la priorité, utilisez-la sans vouloir chiquer au d’Artagnan. Maintenant, il faut que je vous mette sérieusement en garde contre les marchands de bagnoles d’occase. C’est la race maudite. La preuve, l’aventure qu’est arrivée à mon ami Sim Camille.

« Un jour il se pointe chez un garagiste pour se payer une chignole. Et voilà le gus qui part en grand baratin.

« “Prenez celle-là, c’est ce qu’on fait de mieux.”

« “Je veux pas d’une auto noire”, répond Sim Camille.

« “Elle est pas noire, elle est aubergine”, que proteste le marchand. “La couleur de l’élite !”

« “Dites, le moteur tousse un peu !”

« “Et puis quoi encore ! Vous allez pas me dire qu’elle est tuberculeuse, cette voiture ! On a réglé les culbuteurs ce matin, changé les bougies et les vis platinées. C’est un spécialiste de Montlhéry qui me les met au point ; si vous vous croyez plus futé que lui, dites-le !”

« “Les pneus sont lisses !”

« “Ah vous me cherchez des rognes, ma parole ! Des « X » qui n’ont pas huit mille kilomètres dans les chaussettes !”

« “J’aurais voulu une 64.”

« “Et alors ? C’est pas une 64, ça ? Visez la carte grise : mise en circulation juin 63 !”

« “… ?”

« “Vous le savez peut-être pas que l’année, pour les bagnoles, elle part trois mois avant le Salon de l’auto de l’année d’avant ?”

« “Dites, y a une aile qu’a été refaite, là ! La peinture est pas pareille !”

« “Vous charriez, pépère ! Je vous jure que vous me cherchez ! C’était un déflecteur estérieur qui était fixé et qu’on a enlevé biscotte il était plus réglementaire.”

« “Elle est de juin 63 et elle n’a que huit mille kilomètres ?”

« “Ah ! çui-là, il se plaint que la mariée est trop belle ! C’est de ma faute si au lieu d’appartenir à un voyageur de commerce elle appartenait à un scaphandrier qui s’en servait que pour ses vacances ? Je vous jure que vous êtes démoralisant, vous. Je vous offrirais une vache en prime que vous me demanderiez encore si elle va bientôt vêler. Laissez-la si vous n’en voulez pas ; vous êtes pas le premier qui ratera l’occasion de sa vie ! Libre à vous de refuser les cadeaux, ça m’apprendra à être trop bête !”