Bérurier le regarde partir avec un hochement de tête d’homme qui va mourir et auquel on affirme que dans huit jours il fera du yachting.
— C’est du propre ! soupire-t-il.
Berthe bondit.
— Dis donc, espèce de goujat, tu ne vas peut-être pas t’imaginer qu’il y a quelque chose entre monsieur Alphonse et moi ! On était en tenue légère à cause que l’hôtel est trop chauffé, uniquement !
— C’est pas ça, soupire l’Accablé.
Il désigne les andouillettes gisant dans la salle de bains.
— Je te paye une cure hors saison, Berthy et au lieu de suivre ton régime, voilà que tu bouffes des andouillettes !
Elle est contrite, Berthe. La chère petite âme courbe son front que la faute et le flagrant délit empourprent.
— Qu’est-ce que tu veux, Sandry, on a beau vouloir maigrir, une cuillerée de carottes râpées et une pomme, reconnais que c’est pas un dîner qui te permet un bon sommeil.
Béru, estomaqué, balbutie d’une voix incrédule :
— Une cuillerée de carottes râpées et une pomme ?
— Mais oui, rien de plus ! A part ça je fais mon régime, affirme-t-elle. Tiens, regarde, j’ai mon litre d’eau de Brides pour la nuit !
Il la contemple, indécis.
— T’as plutôt engraissé, Berthe, reproche-t-il calmement.
— Mais non, biaise-t-elle.
— Si, insiste péremptoirement Béru. San-A peut te le dire ! T’as pris du tonnage ici. J’ai idée que cette flotte, c’est du bidon !
— Tu rêves ! proteste B.B. Elle est magique !
Béru avise une bascule. Il y grimpe. Puis, étendant le bras, il s’empare de la bouteille contenant l’eau miraculeuse. Réprimant sa répulsion il la vide d’un trait. Après quoi il repose la bouteille et consulte le cadran de la bascule.
— La cause est entendue, dit-il, au lieu d’avoir maigri v’là que je pèse un kilo de plus ! Tu rentreras avec nous, Berthe ! Prépare tes bagages !
Elle comprend que ses protestations seraient vaines et se soumet. Alors Béru récupère les douze andouillettes et les remet dans la poêle, il s’assied sur le bidet, pose la poêle sur le tabouret chromé de la salle d’eau et se met à bouffer gloutonnement. La graisse lui dégouline sur les badigoinces.
— T’en veux ? me demande-t-il.
— Non, ça m’empêcherait de dîner.
Il hausse les épaules.
— Petite nature, va ! Moi, c’est pas des amuse-gueules qui peuvent me couper l’appétit !
Lorsqu’il a fini la première, il se torche le museau du coude et lance, avec un rien de perfidie, à sa digne compagne :
— Je voudrais pas t’humilier, Berthe, non, je voudrais pas, mais tu les fais moins bonnes qu’autrefois. Tu te rappelles plus de nos andouillettes à nous, dis, ma grande ?
Les larmes coulent sur ses bonnes joues enluminées ; peut-être parce que les andouillettes sont trop chaudes, après tout ?
Je vais m’asseoir près de lui sur le rebord de la baignoire. Je le regarde, admiratif, attendri. Je mets la main sur sa puissante épaule de brave boulimique.
— Je t’aime bien, Gros. Tu es un vrai brave homme…
— Tu trouves ? s’étrangle-t-il en achevant sous les yeux fascinés de l’épouse punie sa troisième andouillette.
— Oui, tu es sans haine et aussi sans crainte, Béru. Conscient d’être un homme et essayant de l’être de tout ton sang et de tout ton cœur. Tu ris et tu manges parce que c’est bon et que ça fait du bien. Et puis tu n’es pas de ceux qui s’imaginent qu’un miroir est une compagnie Ah ! Béru… Béru for ever ! Béru fort et vert ! Béru prodigieusement vivant au milieu de la nécropole ! Béru puant l’ail et la vinasse, mais prophétisant des vérités organiques ! O Béru, notre ami, reste parmi nous jusqu’au bout du monde, toi qui sais la vie, toi qui sais l’amour et plus encore : l’amitié !
Il subit mon lyrisme en soufflant sur sa quatrième andouillette. Il me considère d’un œil évasif et prudent, tâtant ma sincérité d’une prunelle hésitante. Enfin il élève l’andouillette en un geste d’offrande et de soumission.
— Qu’est-ce que tu veux, balbutie-t-il, je suis comme ça !