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Aimé Jacquet quitta son poste au soir de sa victoire en Coupe du monde ; Didier Deschamps abandonna l’équipe de France deux ans plus tard après un triomphe (encore plus brillant) aux championnats d’Europe. Depuis lors, le football français n’a plus remporté une seule compétition internationale.

Mais n’idéalisons pas. Le ver multiculturaliste était déjà dans le fruit assimilationniste. Le soir de la victoire, dans les vestiaires de l’équipe de France, alors que le président Chirac venait les congratuler, et que le champagne coulait à flots, Lilian Thuram réclama une « photo entre Noirs » sous les yeux écarquillés de certains de ses partenaires « blancs ». Le même Thuram, posant ensuite à l’intellectuel engagé, devint dans les années qui suivirent une figure de proue de l’antiracisme militant et un insupportable donneur de leçons. Son partenaire Karembeu se fit le héraut de l’indépendantisme kanak ; Youri Djorkaeff défendit la mémoire du génocide arménien ; et Bernard Lama parraina des écoles en Afrique. Seul Zidane garda un silence prudent, sans que l’on sût ce que son mutisme signifiait, patriotisme français révélé par ses furieux baisers portés à son maillot après son but en finale de Coupe du monde, ou attachement viscéral, mais censuré par des agents vigilants, à l’Algérie de ses pères, comme il le déclama lors d’un voyage sur la terre natale de ses ancêtres.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Les glorieux vainqueurs passèrent leur repos du guerrier estival au milieu des fêtes et des jolies femmes, le footballeur français remplaçant soudain le pilote de course et le joueur de tennis dans le cœur des mannequins.

Mais le facteur sonne toujours deux fois.

La première fois, le 6 octobre 2001. La Fédération française a eu l’heureuse idée d’organiser un match amical entre la France (le maillot bleu frappé d’une étoile pour sa victoire de 1998) et l’Algérie. Le résultat n’a guère d’importance, la supériorité des champions du monde est trop évidente ; c’est la fraternité entre les deux nations que les ingénus dirigeants de la FFF veulent promouvoir avec Zidane, « trait d’union » ente deux nations, deux cultures. Ils seront servis. Le Stade de France est empli de jeunes spectateurs venus de la Seine-Saint-Denis environnante. Ils sont pour la plupart de nationalité française, mais acclament l’équipe d’Algérie, sifflent son adversaire, conspuent Zidane, « le traître », à chaque fois qu’il touche le ballon. Les authentiques « supporters » de l’équipe d’Algérie sont sidérés par ce comportement si outrageant à l’égard du pays d’accueil de ces jeunes « Français ». Les joueurs « bleus », abasourdis, ont l’impression désagréable de « jouer à l’extérieur ». Dès le début, « La Marseillaise » est huée, et couverte d’injures et de sarcasmes. Dans les tribunes, le Premier ministre Lionel Jospin et la ministre des Sports, la communiste Marie-George Buffet, ne savent quelle attitude adopter, entre colère rentrée et compréhension infinie, hésitent à quitter le stade, restent. Ils le regrettèrent amèrement. Au cours de la seconde mi-temps, les ballons s’accumulent dans les filets du gardien de but de l’Algérie ; la victoire de l’équipe de France est trop écrasante pour les jeunes admirateurs de l’Algérie qui, soudain, envahissent le terrain pour interrompre l’insupportable humiliation de « leur équipe nationale ». Le service d’ordre (les fameux « stadiers ») n’a pas cillé, surpris ou complice, la plupart d’entre eux venant des mêmes cités que les spectateurs. Sur le terrain comme dans les tribunes officielles, la confusion règne : les arbitres suspendent le match ; Thuram, furibond, attrape par le bras un jeune « supporter » et l’agonit d’injures ; Marie-George Buffet s’empare du micro et supplie de « respecter la joie » ; une bouteille d’eau lancée à toute force la manque de peu. Le regretté Philippe Muray écrivit quelques jours plus tard une chronique savoureuse, dans laquelle il rappelait, sarcastique, que jadis on respectait le deuil, ou la nation, mais jamais la joie. Seul Zinedine Zidane semble hors d’atteinte au milieu du tumulte, échangeant maillot et plaisanteries avec des joueurs algériens qui le photographient dans les vestiaires.

L’illusion de la France black-blanc-beur était déchirée ; l’escroquerie idéologique antiraciste apparaissait sans fard. Ses auteurs en boiront la coupe jusqu’à la lie.

Des matchs France-Tunisie et France-Maroc eurent lieu dans les années qui suivirent. Les mêmes causes produisirent les mêmes effets. Le terrain ne fut pas envahi, mais « La Marseillaise » sifflée et les joueurs arabes sous le maillot bleu invectivés. On eut beau demander à une chanteuse maghrébine d’entonner l’hymne national, et mélanger les joueurs des deux équipes lors de leur entrée sur le terrain, rien n’y fit.

La punition céleste poursuit toujours les méchants là où ils ont péché.

Le discours black-blanc-beur avait emporté l’adhésion des esprits. Dans le milieu du football, formateurs, recruteurs et entraîneurs étaient convaincus qu’il suffirait d’un « petit Arabe » au milieu du terrain pour qu’il ait le talent de Zidane, et de « grands Noirs » derrière pour que leur défense fût inexpugnable. Dans un livre truculent, et documenté, Racaille football club 2, le journaliste Daniel Riolo relate les tribulations de ce recruteur lensois à Livourne, en Gironde : « Vous avez des grands Noirs costauds ? Même s’ils ont les pieds carrés, c’est pas grave, on les redressera », ou d’un dirigeant lyonnais en repérage dans une cité autour de la capitale des Gaules : « Nous ici, on va taper dans une tour et hop, on en a dix qui tombent des comme ça ! » Il conte comment à Clairefontaine, centre national de formation des meilleurs jeunes joueurs français, on organise des matchs « Blancs contre Noirs ». Pour voir…

Comme si nos dirigeants du football français ressuscitaient dans leur sport la « force noire » du général Mangin et les tabors marocains du maréchal Juin à Monte-Cassino.

Le foot, c’est la guerre. On ne va pas tarder à s’en rendre compte.

Les jeunes de « cités » deviennent majoritaires dans les centres de formation de France et de Navarre ; y importent leurs mœurs violentes : « Le centre de formation, c’est la jungle. Je l’ai vécu comme ça, avoue un jeune joueur qui, par crainte de représailles sans doute, souhaite conserver l’anonymat. C’est la loi du plus fort. Les mecs qui viennent des quartiers imposent cette mentalité. Ils ont la rage, une volonté de s’en sortir, d’oublier les galères qu’ils ont pu connaître. Beaucoup vivent avec l’idée qu’ils ont connu le rejet, une forme d’exclusion. Dans le foot, ils sont d’un coup majoritaires, dominants. Et ce sont leurs codes qui s’imposent. Il est difficile de parler d’éducation parce que la règle semble devenue la mauvaise éducation. Et puis les mecs comme moi, on devient les céfrancs, quand ce n’est pas les gouers. Dans cet univers, il faut être costaud pour s’en sortir quand tu es différent 3. »

En moins d’une décennie, le football français devient le football des banlieues françaises. L’invasion de la pelouse lors du match France-Algérie avait été prémonitoire. Les mêmes – ou leurs frères – évolueraient dans tous les clubs de l’Hexagone, jusqu’en équipe de France, y amenant les mœurs et coutumes de la « cité ». Les directeurs de centres de formation le notaient avec amertume : « Quand le gamin rentre chez lui, jamais il ne dira qu’il est français, c’est la honte ! » Les jeunes farouches ne respectent plus ni entraîneur ni formateur. Ils n’acceptent de se soumettre à l’autorité qu’à l’étranger, dans les clubs anglais ou italiens ou allemands, comme si ce n’est pas l’autorité en soi qui pose problème, mais la France. L’islam se répand dans les vestiaires, on prend sa douche en short par pudeur, on exige des mets halal, à la grande surprise des joueurs étrangers, sud-américains par exemple, qui seront les seuls à oser se rebeller contre le prosélytisme des musulmans les plus exaltés.