Autrefois, les usines étaient dans les villes, et les ouvriers habitaient à côté. C’était ce qui subsistait du Paris du XIXe siècle. Dans les années 1930 encore, les militants communistes sonnaient le clairon dans les cours des HBM (les ancêtres des HLM) pour appeler à une manifestation. Aujourd’hui, les classes populaires ont été chassées de la ville-monde. Pour la première fois dans l’Histoire, les classes populaires ne résident pas là où se créent les richesses.
Les bobos sont des prédateurs aux paroles de miel. Ils vénèrent « le peuple », sans doute pour effacer leur sentiment de culpabilité de l’avoir chassé, ou en tout cas de l’avoir remplacé dans ses anciens lieux d’élection : Marais, faubourg Saint-Antoine, Belleville, Ménilmontant, canal Saint-Martin. Ils exaltent la « diversité » à l’abri de leurs lofts cossus avec de multiples codes électroniques ; ils vantent l’école publique et le « vivre-ensemble », mais profitent de leurs relations pour contourner la carte scolaire dès que l’école de leurs enfants est submergée d’enfants de l’immigration. Ils déplorent la perte d’identité de leur quartier qu’ils ont eux-mêmes provoquée. Dans le Marais, ils pleurent la fermeture du restaurant casher Goldenberg, alors que c’est le départ du petit peuple juif, remplacé par nos chers bobos, qui a conduit à son remplacement par une boutique de vêtements.
Les seules classes populaires qui subsistent ne sont pas françaises ; mais le discours bien-pensant refuse d’établir la moindre différence entre « des humains ». Un sabir technocratique et lénifiant occulte cette réalité. On se lamente sur une ville qui se vide de tous ceux qui ne sont pas « très aidés ou très aisés ». Quand les édiles parisiens affirment : « Paris n’a pas renoncé à la mixité sociale », ils songent sans oser le dire à la mixité ethnique, et acceptent l’idée, au nom de la « diversité », que les populations arabo-africaines deviennent majoritaires dans de nombreux arrondissements du nord et de l’est parisien. Quand ils ajoutent, fiers d’eux : « Paris construit du logement social conformément à la loi SRU », cela signifie qu’ils accordent en priorité à ces populations immigrées les logements sociaux qu’ils ont bâtis et rénovés ; mais quand ils concluent, un brin dépités, que leur objectif est de « ramener la classe moyenne à Paris, chassée par la spéculation immobilière », ils avouent, sans l’assumer, qu’ils espèrent le retour des « petits blancs », ouvriers et employés « Français de souche ». Mais ils n’insistent pas ; ils savent qu’ils ne l’imposeront jamais.
La gauche est cohérente dans son hypocrisie : cet électorat populaire de « petits blancs » est perdu pour elle, alors que leurs remplaçants (bobos et enfants de l’immigration) assurent sa domination politique sur la ville.
Les bobos furent la boussole idéologique de la municipalité Delanoë qui forgea pour eux les couloirs de bus, Paris Plages, Nuit Blanche, Vélib’ et Autolib’, le Paris des pavés et des placettes, les quartiers verts, tranquilles, sans voitures, la défense des arbres, tout ce qui a contribué à la hausse des prix de l’immobilier, et fini de chasser les derniers représentants des classes populaires, mais aussi toute une petite activité économique faite de commerçants, d’artisans qui n’ont plus le droit de livrer, de stationner, de circuler. À Paris, les boutiques furent transformées en concept-stores, les commerces de bouche (boucherie, poissonnerie, crémerie, charcuterie) fermèrent les uns après les autres, tandis que s’ouvrirent salles de sport, agences de rencontre, de télécommunications, de voyages ; la restauration rapide se substitua au bar-tabac, le soin du corps ou la distribution de cassettes vidéo aux quincailleries.
Certains font un distinguo subtil entre bobos « gentrificateurs » et « mixeurs » ; ceux-là tiennent le rôle des méchants qui embourgeoisent les quartiers qu’ils investissent (dans tous les sens du terme) ; ceux-ci seraient au contraire les nouveaux hussards de la République, les seuls qui accepteraient de vivre au contact des populations immigrées, et empêcher ainsi les ghettos. Ils seraient les « défaiseurs de ghettos », glorifiés par le géographe Jacques Lévy.
Mais ces distinctions sont fallacieuses. La parenthèse du « mixeur » est précaire, condamnée à se refermer : ou la gentrification l’emporte, ou le ghetto finit par avoir raison de la résistance du bobo mixeur qui abandonne une terre trop inhospitalière, trop violente pour ses enfants.
Le bobo a en effet une différence décisive avec l’ancien ouvrier français qui accueillit les précédentes vagues de migrants. Ce dernier était assimilationniste, imposait le mode de vie et la culture français aux nouveaux arrivants, non sans rudesse parfois, et un zeste de xénophobie mâtinée d’un complexe de supériorité. Le bobo est multiculturaliste ; il est un adepte de la vulgate différencialiste – inspirée des travaux de Claude Lévi-Strauss qui, à la fin de sa vie, reniait vivement ses pseudo-héritiers ! –, il déteste la franchouillardise à l’égal du péché ; il voit l’assimilation comme un concept néocolonial ; il ne jure que par l’échange des cultures d’égale dignité. Il est fier de favoriser le « vivre-ensemble » qui est au mieux un côte à côte. Il applique sans même le connaître l’article 1 des « Principes de base communs » de l’Union européenne adoptés le 19 novembre 2004 en matière d’immigration : « L’intégration est un processus dynamique, à double sens, de compromis réciproque entre tous les immigrants et résidents des États membres. »
Au nom de la République, qu’il proclame avec la ferveur des soldats de l’an II, le bobo renie toute l’histoire de la République. Celle-ci défendait farouchement la Nation, ses frontières et son intégrité, sa culture chrétienne et gréco-romaine – contre les aristocrates, le roi, et les étrangers ; le bobo dissout la France dans sa quête humanitariste et mondialiste. Il se vante d’être un héros, « défaiseur de ghettos », alors qu’il en est l’agent inconscient. Les immigrés rejettent les valeurs de la France, incarnées par le bobo ; et le plus souvent, un musulman – même éloigné de la pratique religieuse – réprouve les familles recomposées, la tolérance à l’égard des homosexuels, l’égalité entre les hommes et les femmes, et l’éducation moderne de leurs enfants.
À l’ouest de la ville, les véritables bourgeois, français ou étrangers, sont mondialisés par l’argent, entre banques et paradis fiscaux ; à l’est, les bobos sont mondialisés par la tête ; les immigrés sont mondialisés par le cœur : l’entre-soi prend les couleurs de la mère patrie, par les langues qu’ils parlent encore, la télévision (par satellite) qu’ils regardent, la religion (l’islam) qu’ils pratiquent, les amis et la famille qui les entourent, voire la nourriture qu’ils consomment ou les vêtements qu’ils portent.
La « ville-monde », peu à peu, se défait de ses atours français, jusqu’à devenir étrangère au pays qui l’environne. Pour Paris, c’est un reniement de mille ans d’Histoire. Devenue ville-monde, Paris s’éloigne de la France. Le cosmopolitisme des Lumières, sans cesse revendiqué, répandait les idées françaises dans le monde ; le cosmopolitisme du bobo traduit le phénomène inverse : l’importation des cultures et des valeurs (et des produits, des nourritures, etc.) du monde entier pour mieux détruire ce qui reste du caractère français de la capitale de la France.