Michaël, le mari de la femme voilée, est un converti, et son épouse, Cassandra, une Antillaise de 23 ans convertie à l’islam depuis ses 15 ans. Tout ça fait d’excellents musulmans zélés. C’est la fin d’une évolution démographique commencée à la fin des années 1970. Les banlieues françaises sont désormais homogènes ethniquement et religieusement : les classes populaires « blanches » ont quasiment disparu ; le cinéaste Alexandre Arcady (présentant son film 24 jours qui retrace le meurtre d’Ilan Halimi à l’émission « On n’est pas couché » du samedi 26 avril 2014) confiait, encore abasourdi : « Savez-vous – je l’ai entendu dire par un responsable académique de la Seine-Saint-Denis – que dans les écoles publiques de ce département, il n’y a plus un seul élève de confession juive ? Plus un seul ! Ils sont obligés d’aller dans les écoles privées. » L’islamisation des banlieues françaises est totale ou presque. L’assimilation, l’intégration, la mise en conformité au sein de ces quartiers exigent désormais d’être un musulman comme les autres. L’islam est l’horizon identitaire indépassable de ces populations. Un islam bricolé, un islam mythifié, un islam simplifié par internet peut-être, mais un islam qui aspire à devenir leur identifiant politique. En 2007, déjà, certains ont évoqué des « émeutes de ramadan », mais les militants islamistes n’y avaient pris aucune part. La vie de ces derniers dans les banlieues françaises est rythmée par les relations ambivalentes qu’ils entretiennent avec les caïds de la drogue, à la fois complices – les trafiquants n’hésitent jamais à alimenter la cause tandis que certains dignitaires religieux pardonnent les exactions commises à l’encontre des « infidèles » – et tendues lorsque la morale islamique contredit les nécessités du business. Les caïds sont les patrons de nombreuses cités, ils déterminent la loi et l’appliquent aux contrevenants (y compris par condamnation à mort), et se substituent aux services publics et à l’action sociale, tandis que l’islam sculpte le paysage, mental et moral, mais aussi vestimentaire, sexuel, commercial.
Trappes a bénéficié du plan Borloo de rénovation urbaine pour un montant de 350 millions d’euros. Les barres HLM ont été abattues ; des immeubles pimpants de trois étages et des rues arborées les ont remplacés. Le chômage y est important (17 % de la population), mais moins que dans la commune voisine de Chanteloup-les-Vignes (25 %). En 2011, Trappes a reçu le premier prix des villes fleuries. Mais la population est restée la même. Il y a quelques années encore, une troupe de théâtre local, dirigée avec un enthousiasme inaltérable par Alain Degois, dit « Papy », pouvait révéler un Jamel Debbouze, un Omar Sy, ou une Sophia Aram. Peu à peu, la mosquée fédère et rassemble la jeunesse de la ville. Trappes est aussi la preuve que la loi républicaine peine à s’appliquer dans des territoires où l’énorme majorité de la population n’accepte pas qu’elle soit en contradiction avec une loi religieuse qui la surplombe.
« La présence ostensible du salafisme – favorisée par l’accoutrement spécifique des adeptes – est un symptôme nouveau et fulgurant. Elle exprime une rupture en valeurs avec la société française, une volonté de la subvertir moralement et juridiquement qu’il serait illusoire de dissimuler et qui pose des questions essentielles 1. »
La dernière étape – encore lointaine ? – sera-t-elle la fédération politique de ces mouvements spontanés et disparates ? Un an après l’alarme de Trappes, l’islam était assez enraciné et puissant pour envoyer des centaines de jeunes « français » se battre en Syrie au nom du djihad. Comme la pointe émergée d’un iceberg banlieusard grandi dans la haine du roman national français, en voie de lente sécession.
2 décembre 2005
Austerlitz, connais pas !
Rien. On connaît le célèbre mot laconique retrouvé dans le journal de Louis XVI au 14 juillet 1789. L’historiographie républicaine s’est beaucoup gaussée de ce mot, qui ne concernait pourtant que la chasse royale du jour. Rien. À la date du 2 décembre 2005, la Ve République a écrit en lettres majuscules, à l’encre rouge, souligné trois fois pour qu’on ne s’y méprenne pas : RIEN. Il ne s’est rien passé deux siècles plus tôt, au 2 décembre 1805, rien sur un obscur champ de patates, pas loin de Prague, rien entre trois Empires aujourd’hui ensevelis. Pas la moindre commémoration officielle, pas même la grande exposition qu’avait prévue le musée de l’Armée, qui devait « tourner » dans toute l’Europe, à la gloire des aigles impériales. « Austerlitz, connais pas », ont répondu en chœur les autorités suprêmes, comme s’il s’agissait d’une défaite honteuse à effacer de la mémoire collective. Austerlitz est pire qu’une défaite, c’est une victoire de la France. « On ne célèbre pas une victoire sur nos amis européens », fut-il assené en guise d’argument décisif. « Le président Chirac déteste Napoléon », murmura-t-on d’un air entendu à ceux qui osaient insister. « Le Premier ministre est en province », fut-il répondu à ceux qui espéraient encore en un Dominique de Villepin qui se piquait pourtant d’être un historien de la geste napoléonienne.
Tous aux abris. La traditionnelle commémoration de l’école militaire de Saint-Cyr – avec prise d’armes à la colonne Vendôme, dont le bronze est celui des canons ennemis pris à Austerlitz ! – fut transformée et dénaturée en une « Journée de rencontre Nation-Défense », où l’on prit soin de ne jamais prononcer le nom d’Austerlitz. Aucun représentant du gouvernement ne fut envoyé à Slavkov, en République tchèque, où 3 000 « reconstituteurs » magnifiquement parés rejouèrent une fois encore la charge de Murat sur le plateau de Pratzen, pour la plus grande joie d’un public populaire évalué à 50 000 personnes.
On entrevit pourtant, un court instant, dans la soirée du 1er décembre, un ministre de la Défense déposer une gerbe au tertre de Zuran (où Napoléon dirigeait la bataille et où a été érigé un monument français), puis assister au dîner qui se tint au château d’Austerlitz. Ce dîner était organisé par la fondation de Gaulle et son président, l’ancien résistant, ministre du général de Gaulle et président du Conseil constitutionnel Yves Guéna, avait beaucoup insisté pour que notre ministre, en route vers les Émirats, condescendît à une petite escale en République tchèque.