Mais l’émergence de l’homosexualité triomphante est d’abord liée à une évolution décisive du capitalisme. Du XIXe siècle jusqu’à la reconstruction d’après 1945, celui-ci avait privilégié l’épargne et l’investissement, mettant en avant les tempéraments austères et économes. La frustration sexuelle était une vertu ; la débauche, un gaspillage. À partir des années 1970, le capitalisme en Occident a un besoin insatiable de consommateurs pour améliorer ses marges rognées par la hausse des salaires et l’inflation. Il favorise, à travers ses canaux publicitaires et médiatiques, les comportements hédonistes. Le « Jouissons sans entrave » des rebelles de Mai 68 deviendra bientôt un slogan publicitaire. Le patriarche est un piètre consommateur. Il faut détruire la virilité en l’homme pour que naisse et prospère sa pulsion consommatrice. L’univers homosexuel – surtout masculin – incarne alors – et encore aujourd’hui – le temple de la jouissance débridée, de la sexualité sans contrainte, de l’hédonisme sans limite. La glorification de l’homosexualité par la machine publicitaire est l’autre face d’une même médaille qui dénigre et délégitime la famille patriarcale traditionnelle.
À l’époque, les homosexuels se moquent encore du mariage bourgeois, de ses contraintes de fidélité et de tempérance sexuelle. L’amour est brocardé comme une chaîne inutile. Dès la fin du XIXe siècle, Oscar Wilde, prince des ténèbres homosexuelles londoniennes, avait défini l’amour comme une grotesque romance où on « commence par se tromper soi-même, et où on finit par tromper l’autre ».
Marcel Proust est aussi lucidement cruel. Comme les amis anglais de Virginia Woolf dans les années 1920, ces écrivains et artistes préfigurent la « libération sexuelle » de la génération 68. Et ils donneront le la. Les homosexuels vont peu à peu être transformés en modèles. La marginalité s’apprête à devenir le modèle.
Les homosexuels ne se contentent pas de sortir de la marge ; ils sont – sans qu’on le comprenne très bien alors – la pointe avancée de la norme à venir. La norme commerciale. Ils sont, chez les hommes, les meilleurs et plus actifs consommateurs. Ils sont, à l’instar des femmes, un marché de prédilection. Les publicitaires ne tarderont pas à s’en apercevoir. Les Double Income No Kids (DINKS) sont leurs chéris. La mise en pleine lumière de l’homosexualité – et plus généralement de l’ambiguïté sexuelle, de l’androgynie, de la féminisation des manières, des modes et des mœurs – est d’abord et avant tout une grande affaire commerciale.
Un an avant la chanson d’Aznavour, des militants d’extrême gauche ont créé le Front homosexuel d’action révolutionnaire. Il est le frère du mouvement féministe, tous deux produits du slogan de Mai 68 : « Tout est politique. » Reprenant les intuitions de certains socialistes français du XIXe siècle comme Fourier, une partie des gauchistes de l’époque prônent des valeurs libertaires et antiautoritaires. Ils s’opposent au pouvoir gaulliste, mais aussi aux communistes orthodoxes et aux maoïstes puritains. Pour ces libertaires, l’homosexualité est une arme de guerre contre la famille patriarcale, symbole de la répression réactionnaire. Ces militants homosexuels, comme les féministes, multiplient les actions médiatiques, maniant avec une rare habileté l’art de la provoc’ et de la formule lapidaire. Ils deviendront souvent d’excellents publicitaires. À l’époque, ils se veulent encore en symbiose avec le peuple asservi par les bourgeois, mais découvriront bientôt que la classe ouvrière est rétive à la « pédale », comme on dit alors dans les usines. Ils ne tarderont pas à s’éloigner du peuple enfermé dans une caricature dédaigneuse du « macho homophobe, misogyne et xénophobe ». Le mépris de classe et la « prolophobie » affleurent sans cesse dans le combat des bien-pensants contre la prétendue « homophobie ».
La méthode des militants homosexuels est mise au point et ne changera plus : elle repose sur le rejet de l’autorité, assimilée au fascisme, et une stratégie permanente de victimisation pour susciter la compassion comme la haine du prétendu oppresseur « homophobe ».
Au fil des années, le lobby homosexuel s’organise et s’enrichit. Dans la stratégie de victimisation de ses porte-drapeaux les plus acharnés, il ira jusqu’à réécrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, s’inventant des persécutions de la part de Vichy, qui aurait envoyé des homosexuels dans les camps de concentration 3. Le gay veut être un Juif comme les autres. Tissu d’inventions dénoncé par les historiens comme Serge Klarsfeld, mais très efficacement imposé par le lobby gay à une société médiatico-politique inculte et craintive.
En vérité, la seule loi contraignante votée par Vichy fut celle du 6 août 1942, au nom de la protection de la jeunesse ; elle nous est aujourd’hui présentée comme une scandaleuse criminalisation de l’homosexualité alors que le « crime de sodomie » avait été supprimé dès la Révolution française. La loi de Vichy ne rétablissait nullement cet antique « crime de sodomie », mais sanctionnait pénalement les relations homosexuelles entre un homme majeur et un mineur, alors que la limite d’âge était maintenue à seize ans pour les relations hétérosexuelles ; et faisait du jeune séduit un complice autant qu’une victime. Cette distinction antipédérastique ne fut remise en cause ni par la IVe République, ni par le pouvoir gaulliste ; elle fut encore renouvelée par une loi du 23 décembre 1980 que le Conseil constitutionnel valida ; mais elle fut supprimée par la gauche en 1982 après d’intenses campagnes vantant dans le journal Libération l’initiation « des enfants au plaisir ».
La rencontre entre l’homosexualité et le capitalisme est le non-dit des années 1970. Entre un mouvement gay qui arbore un drapeau arc-en-ciel et un capitalisme qui découvre les joies et les profits de l’internationalisme, il y a un commun mépris des frontières et des limites. Entre la fascination homosexuelle pour l’éphèbe et une société capitaliste qui promet la jeunesse éternelle, l’entente est parfaite. Le rejet haineux du père est sans doute le point commun fondamental entre une homosexualité narcissique qui transgresse sexuellement la loi du père et un capitalisme qui détruit toutes les limites et les contraintes érigées par le nom du père autour de la cellule familiale, pour mieux enchaîner les femmes et les enfants – et les hommes transformés à la fois en enfants et en femmes – à sa machine consumériste.
L’alliance improbable entre l’extrême gauche libertaire et le marché se fera à travers la geste homosexuelle et au nom de la « transformation des mentalités ».
Dominants dans la mode, les médias et l’univers artistique, de nombreux homosexuels, plus ou moins militants, imposent leur vision de l’homme-objet à une société patriarcale qui a inventé la femme-objet pour protéger son désir sexuel. En 1971, Yves Saint Laurent fait scandale en posant nu pour la publicité de son parfum « Pour homme ».
Le lobby gay gagnera au fil des années en visibilité. Il mènera victorieusement la bataille sémantique ; Aznavour avait contribué à la substitution de pédéraste par homo, moins insultant ; mais homo, encore trop « discriminant », sera lui-même remplacé par gay, plus flatteur : « Good As You ». La revendication d’égalité est ici une manifestation éclatante de puissance. Les maîtres imposent toujours leurs mots. Le lobby gay aux États-Unis est aujourd’hui financé par les plus grands capitalistes américains, Bill Gates et Steve Ballmer, Google, Facebook, eBay, ou un magnat des hedge funds comme Peter Singer. En France, Pierre Bergé, le patron d’Yves Saint Laurent, créera le journal Têtu dans les années 1970 avant de financer dans les années 1980 SOS Racisme. Le mélange sexuel et ethnique – le « métissage » – deviendra la religion d’une société qui se veut sans tabou, et ne supporte plus les limites de la différenciation des peuples comme des sexes. Cette babélisation généralisée est encouragée par un capitalisme qui y voit une source de profits.