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Le verre d’eau de René Dumont à la présidentielle de 1974, la légèreté aristocratique de Brice Lalonde, la perruque d’Antoine Waechter. La longue marche des Verts en politique commençait. Pendant les décennies qui suivraient, seul Daniel Cohn-Bendit réussirait à incarner le potentiel électoral de cette mouvance, sans doute parce que son nom, son histoire, et son évolution libérale et européenne synthétisaient l’évolution de toute une génération, d’une certaine France qui avait vieilli avec lui.

La droite gaulliste et pompidolienne avait pourtant aussitôt essayé de tirer profit de ces contradictions, conservant par-devers elle l’écologie, laissant à la gauche le dogmatisme révolutionnaire. Georges Pompidou créait le premier ministère de l’Environnement et défendait dans une lettre restée célèbre les arbres du bord des routes. Mais le pari nucléaire engagé par Pompidou couperait durablement la droite (et le parti communiste) des écologistes les plus engagés.

Les gauchistes réussiront leur OPA sur l’écologie. Leurs adversaires – Brice Lalonde, Antoine Waechter, plus tard Nicolas Hulot – seront brisés par leurs méthodes impitoyables et sectaires. L’écologie politique deviendra ce curieux mouvement d’extrême gauche qui ne s’adresse qu’aux petits-bourgeois urbains ; de contempteurs de la mondialisation qui haïssent les frontières ; de partisans de productions locales mais avec des étrangers accourus librement de la planète entière ; de défenseurs du principe de précaution pour la nature (nucléaire, OGM, gaz de schiste) mais pas pour l’homme (mariage homosexuel, adoption par les couples homosexuels) ni pour le pays (immigration massive, droit de vote et même éligibilité des étrangers) ; d’apôtres de la décroissance mondiale qui se prétendent tiers-mondistes.

Ces contradictions pour un esprit rationnel n’en sont pas pour les écologistes. Nous ne sommes plus dans le registre de la raison, mais dans celui de la foi. Avec sa conception révolutionnaire du monde et aussi de l’homme, l’écologie est une remise en cause radicale de l’humanisme né des deux héritages, judéo-chrétien et grec ; l’écologie est une sorte de ré-enchantement du monde répondant à la sécularisation rationaliste de l’Occident, la forme moderne d’un néopaganisme adorant la déesse Terre, les victimes innombrables (immigrés, femmes, homosexuels, etc.) tenant lieu de Christ sur la croix, la Terre mère souffrante ensevelissant les nations et les empires ; le métissage généralisé et obligatoire des races, mais aussi des sexes et des genres, jusqu’aux animaux et aux végétaux dotés d’une âme comme les hommes, rappelant, prolongeant et dépassant le célèbre doctrine de saint Paul : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. »

En 1970, on célébrait aux États-Unis la première journée de la Terre.

Pendant que Nino Ferrer chantait la maison près de la fontaine, le Club de Rome publiait un rapport qui faisait grand bruit, prônant la croissance zéro. C’était la première fois qu’un rapport officiel mettait en garde le monde contre la destruction des ressources naturelles, mais aussi – sujet qui sera rapidement mis sous le boisseau par nos bons esprits – l’explosion démographique sur la planète. La France entière rigolait : elle caracolait alors avec des chiffres de 5 à 6 % de croissance annuelle, à la grande satisfaction de toute la population. Elle ne savait pas, la France, que 1972 serait pour l’ensemble de l’Europe occidentale l’année pendant laquelle les marchés des grands produits mécaniques majeurs – automobile, machine à laver le linge et télévision en noir et blanc – passeraient du premier achat au renouvellement. La consommation ne croîtrait plus jamais comme avant. C’est ce qui était arrivé aux États-Unis quelques années plus tôt, et se produirait au Japon quelques années plus tard. C’est à partir de cette inflexion majeure que les entreprises commenceront à regarder leur salarié non plus comme un consommateur potentiel dont il faut sans cesse augmenter le salaire (théorie fordienne) mais comme un coût qu’il faut sans cesse réduire. La France rigolait car elle ne savait pas que le système économique de la planète entrait en crise en 1972, crise dont elle n’est jamais sortie. La croissance zéro, on ne tarderait pas à la connaître avec « la crise du pétrole ». Et personne ne rirait plus.

1.

Éditions Robert Laffont.

2.

Charles Aznavour,

Comme ils disent

, 1972.

3.

En France, un rapport déposé par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (FMD) en 2002 recense au moins 63 Français déportés pour homosexualité : 22 arrêtés en Alsace-Moselle (mais l’Alsace était alors allemande), 32 au sein du Reich où ils se trouvaient dans le cadre du Service du travail obligatoire, et 6 en zone occupée (voir

Bulletin de la Fondation pour la Mémoire de la déportation

, n

o

 56, avril 2008, p. 11-12).

1973

3 janvier 1973

La fin discrète du colbertisme

Il est des célébrités tardives. Et ambiguës. La loi du 3 janvier 1973 a attendu près de quarante ans pour sortir d’une pénombre protectrice. Elle avait été promulguée au cours d’une apathique trêve des confiseurs, entre le sapin et les confettis ; elle avait été au préalable votée à l’Assemblée nationale sans contestation résolue de l’opposition de gauche. François Mitterrand en était alors un chef pugnace et redouté qui avait médité les leçons de Chateaubriand : « L’opposition doit être absolue ou ne pas être. » L’approche des élections législatives, l’impopularité d’un pouvoir gaulliste sali par « les copains et les coquins », les limites et insuffisances personnelles du Premier ministre Pierre Messmer, les contestations estudiantines et les grèves à répétition : la gauche était en verve, elle ne laissait rien passer. Elle ne pipa pourtant mot.

Et puis, quarante ans après… Des blogs, des articles, des livres. À droite et à gauche. Des souverainistes et des altermondialistes. Des politiques et des économistes. L’obscur texte technique fut paré des charmes du surnom polémique ; il devint loi Pompidou-Giscard, que certains surnommèrent loi Rothschild, en souvenir de la carrière brillante que le futur président Pompidou fit au sein de la célèbre banque. On plongeait soudain dans le monde balzacien du baron de Nucingen. Des accents antisémites de l’antique querelle autour du krach de l’Union générale (banque catholique qui aurait été coulée, croyait-on, par la haute banque juive et protestante) en 1882 remontaient à la surface.

On accusait les banques d’avoir fomenté un complot, avec la complicité du ministre des Finances de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, et du président de la République, Georges Pompidou, pour s’enrichir sur le dos de l’État.

Le dossier de l’accusation était fourni. Il se fondait sur une phrase qui ne disait rien aux profanes, mais éclairait le regard des spécialistes d’une lueur de méfiance : « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France. » C’était l’article 25 de la loi de 1973 qui interdisait à l’État de se refinancer gratuitement auprès de la Banque de France, comme il l’avait fait depuis l’après-guerre et sous le général de Gaulle. Regardez, nous disaient les procureurs, les banques privées, elles, ne prêtent jamais à taux zéro ; elles s’engraissent sur notre dos. Nous rackettent. Nous volent. C’était après la crise des subprimes de 2008 : les fats cats, les banksters étaient dans le collimateur. Non sans raison. Les déficits publics colossaux et la dette abyssale de l’État engloutissaient des tombereaux d’argent public versé aux banques. Les banques privées empruntaient à la Banque centrale européenne à des taux dérisoires des sommes qu’elles prêtaient aux États à des taux prohibitifs ; ce qui n’empêchait pas les mêmes banquiers d’appeler leurs États respectifs au secours quand leurs imprudences spéculatives risquaient de les mettre sur la paille.