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*

Le Faucon noir tournait au ralenti sur la pelouse de Dupont Circle.

Dans le cockpit, Inoue Sato se rongeait les ongles, attendant des nouvelles de son équipe.

Enfin, la voix de Simkins grésilla à la radio :

— J’écoute !

— Nous sommes dans le bâtiment, mais j’ai une nouvelle info...

— Allez-y.

— M. Langdon vient de m’apprendre qu’il y a une grande verrière dans la salle où se trouve la cible.

Sato assimila aussitôt l’information.

— Compris. Merci.

Simkins coupa la communication.

Sato cracha un bout d’ongle et se tourna vers le pilote.

— On décolle !

121.

Comme tout père ayant perdu un enfant, Peter Solomon avait souvent pensé à ce que serait devenu son fils en grandissant, à quoi il aurait ressemblé, quel homme il aurait pu être.

À présent, il le savait.

La créature tatouée avait commencé sa vie sous la forme d’un petit garçon chéri, bébé Zach pelotonné dans son berceau, faisant ses premiers pas dans le bureau de Peter, articulant ses premiers mots. Comment un enfant innocent, entouré d’amour, pouvait-il se métamorphoser en démon ? C’était l’un des paradoxes de l’âme humaine. Très vite, Peter avait dû accepter que, même si son sang coulait dans les veines de son fils, le cœur qui le faisait circuler était exclusivement celui de Zachary. Unique et singulier, comme issu d’une loterie mystérieuse de l’univers.

Mon fils...

Qui avait tué sa mère, son ami Robert Langdon, et peut-être aussi sa sœur.

Il fouilla les yeux de son fils, mais n’y trouva que de la glace. Du même gris que les siens, c’était les yeux d’un étranger, empli de haine et de désir de vengeance.

— Seras-tu assez fort ? demanda Mal’akh en désignant le couteau dans la main de son père. Auras-tu le courage de terminer ce que tu as commencé il y a des années ?

— Mon fils..., articula Solomon malgré lui, comme si sa chair était mue d’une volonté propre. Je t’aime...

— Par deux fois, tu as essayé de me tuer. Tu m’as abandonné en prison. Et tu m’as tiré dessus, au Pont de Zach. Maintenant, il faut conclure.

Solomon avait l’impression de flotter hors de son propre corps. Il ne se reconnaissait plus. Il lui manquait une main, il avait le crâne rasé, était vêtu d’une grande tunique noire, assis dans un fauteuil roulant, et avait à la main un antique couteau sacrificiel.

— Termine ton œuvre ! cria Mal’akh, les tatouages se déformant sur sa poitrine. Me tuer est la seule façon de sauver Katherine... la seule façon de sauver tes frères !

Solomon tourna la tête vers l’ordinateur.

ENVOI DU MESSAGE : 92 %

Le sort de Katherine occupait toutes ses pensées... celui de ses frères aussi.

— C’est le moment, murmura le géant. Tu sais que c’est la seule solution. Délivre-moi de mon enveloppe mortelle.

— Je t’en prie... Ne me demande pas ça...

— Fais-le ! Tu as imposé à ton fils un choix impossible ! Tu te souviens de ce soir-là ? La sagesse ou la richesse ? C’est ce jour-là que tu m’as chassé pour toujours. Mais je suis revenu, père. Ce soir, c’est à ton tour de faire un choix. Zachary ou Katherine ? Alors ? lequel des deux ? Tueras-tu le fils pour sauver la sœur ? Tueras-tu ton fils pour sauver tes frères ? Pour sauver ton pays ? Ou vas-tu attendre qu’il soit trop tard ? Attendre que Katherine soit morte, que la vidéo soit rendue publique, et vivre jusqu’à la fin de tes jours dans le remords, parce que tu n’auras rien fait pour empêcher cette tragédie ? Le temps est venu. Tu le sais.

Le cœur de Peter cessa de battre.

Tu n’es pas Zachary... Zachary est mort il y a longtemps. Qui que tu sois, d’où que tu viennes, tu n’es pas de ma chair ! se dit Peter Solomon sans y croire.

Il devait choisir. Choisir !

Le temps était venu.

*

Trouve le grand escalier ! Vite !

Robert Langdon courait dans les couloirs sombres, s’enfonçant plus profond dans le bâtiment. Turner Simkins suivait juste derrière lui. Comme Langdon l’espérait, ils débouchèrent dans l’atrium.

Ceint de huit colonnes doriques en granité vert, l’atrium avait des allures de tombeau antique, avec ses statues de marbre, ses lustres en forme de vasques, ses croix teutoniques, ses phœnix à deux têtes et ses appliques décorées de têtes d’Hermès.

Langdon s’élança vers l’escalier au fond de la pièce.

— Ça mène directement à la loge, chuchota-t-il en montant les marches avec Simkins.

Sur le palier du premier étage, ils tombèrent nez à nez avec le buste d’Albert Pike orné de sa fameuse phrase : « Ce que nous avons fait pour nous-mêmes meurt avec nous. Ce que nous avons fait pour les autres et le monde est et demeure immortel. »

*

Mal’akh sentit un changement palpable dans l’atmosphère de la grande salle, comme si toute la frustration de Peter Solomon, longtemps contenue, se concentrait sur Mal’akh tel un rayon laser.

Oui, l’heure est venue...

Peter Solomon s’était levé, le couteau dans sa main.

— Sauve Katherine ! l’encouragea Mal’akh, en entraînant son père vers l’autel. (Il s’allongea sur le suaire blanc qu’il y avait étendu.) Fais ce que tu dois faire.

Comme un automate, Peter Solomon s’approcha encore.

Mal’akh était à présent étendu de tout son long sur la pierre, il fixait des yeux la lune, au-dessus de lui, qui brillait derrière l’oculus.

L’important, ce n’est pas la mort... mais le chemin !

Le moment était idéal. L’instant parfait.

Décoré du Mot perdu depuis la nuit des temps, j’offre ma vie à la main gauche de mon père !

Mal’akh prit une profonde inspiration.

Recevez-moi en votre sein, démons, car voici mon corps dont je vous fais don !

Debout devant Mal’akh, Solomon tremblait. Dans ses yeux brillaient le désespoir, l’indécision, le tourment. Il regarda une dernière fois l’ordinateur qui tournait.

— Vas-y, murmura Mal’akh. Délivre-moi de ma chair. Dieu le veut, et toi aussi.

Mal’akh étendit ses bras le long de ses flancs et gonfla sa poitrine, offrant son grand phœnix au couteau.

Aide-moi à arracher ce corps qui enveloppe mon âme !

Les yeux du père, emplis de larmes, semblaient contempler quelque chose au-delà de Mal’akh.

— J’ai tué ta mère ! J’ai tué Robert Langdon ! Je m’apprête à tuer ta sœur ! À détruire ta chère confrérie ! Fais ce que tu as à faire !

Le visage de Peter Solomon était déformé par le regret, un chagrin absolu. Il rejeta sa tête en arrière et poussa un hurlement de rage, en levant son couteau.

*

Robert Langdon et l’agent Simkins arrivèrent hors d’haleine devant la loge, au moment où retentissait un hurlement. C’était Peter ! Langdon en était certain.

C’était un cri déchirant. Un cri de douleur.

J’arrive trop tard !

Ignorant Simkins, Langdon ouvrit les portes. La scène qu’il découvrit confirma ses craintes. Au milieu de la salle faiblement éclairée, la silhouette d’un homme au crâne rasé se tenait devant l’autel. Il portait une longue tunique noire et dans sa main brillait un couteau.

Avant que Langdon n’ait pu faire un geste, l’homme abattit le couteau vers le corps qui était étendu sur l’autel.

*

Mal’akh ferma les yeux.

Une merveille. Une perfection...

La lame du couteau mythique avait scintillé sous le clair de lune, en s’élevant au-dessus de lui. Des volutes d’encens glissaient dans l’air, s’enroulaient en spirale, préparant l’ascension de son âme. Le cri de désespoir de son sacrificateur tintait encore dans la grande salle alors que la lame décrivait son arc flamboyant.

Je suis souillé du sang des holocaustes humains et des larmes de mes parents.

Mal’akh se prépara à l’impact magistral.

Sa transformation finale...

Contre toute attente, il ne ressentit aucune douleur.

Une vibration mystérieuse traversa sa chair, assourdissante, irrépressible. L’immense pièce se mit à trembler, et une lumière aveuglante perça les ténèbres au-dessus de lui. Les cieux se déchiraient dans un rugissement.

C’était fait.

Exactement comme il l’avait prévu.