— Bien sûr.
Langdon baissa les yeux sur le papier à en-tête du Smithsonian et ne put retenir un sourire.
Le clan Solomon ne produit pas beaucoup de oisifs !
L’arbre généalogique de Peter comprenait une multitude de magnats des affaires, d’hommes politiques influents et de scientifiques illustres, dont certains appartenaient même à la Société royale de Londres. Le dernier membre de la famille de Peter, sa sœur cadette Katherine, avait apparemment hérité du gène scientifique, car elle était l’une des principales représentantes d’une nouvelle discipline à la pointe du progrès, la noétique.
C’est du chinois pour moi, songea Langdon en repensant au jour où, lors d’une fête chez Peter l’année précédente, Katherine Solomon avait vainement tenté de lui expliquer les principes de la noétique. Après l’avoir écoutée attentivement, il avait commenté :
— Cela ressemble davantage à de la magie qu’à de la science.
— Entre les deux, la frontière est mince, avait répondu Katherine avec un clin d’œil.
Ses réminiscences furent interrompues par l’assistant de Peter, de retour au téléphone.
— Je suis désolé, M. Solomon est en pleine téléconférence, il essaie de se libérer. C’est un peu la panique, ce matin.
— Aucun problème. Je peux rappeler plus tard.
— En fait, il m’a demandé de vous expliquer pourquoi il cherchait à vous joindre, si ça ne vous dérange pas.
— Bien sûr que non.
L’assistant inspira profondément.
— Vous n’ignorez pas que le conseil du Smithsonian organise chaque année à Washington un gala privé pour remercier nos plus généreux donateurs. Une grande partie de l’élite culturelle du pays y est conviée.
Langdon savait que son compte en banque manquait singulièrement de zéros pour faire de lui un membre de « l’élite culturelle », mais peut-être Solomon avait-il décidé de l’inviter malgré tout.
— Comme le veut la coutume, reprit l’assistant, le dîner sera précédé par un discours d’ouverture. Nous avons eu la chance cette année de pouvoir réserver le National Statuary Hall.
Le Hall des statues du Capitole ! La meilleure salle de tout Washington, pensa Langdon en se rappelant une conférence politique à laquelle il avait assisté dans le superbe espace semi-circulaire. Difficile d’oublier cinq cents chaises pliantes disposées en parfait éventail, entourées de trente-huit statues grandeur nature, dans le lieu même où se réunissait jadis la Chambre des Représentants des États-Unis.
— Le problème, c’est que notre oratrice est tombée malade. Elle vient de nous informer qu’elle ne sera pas en état d’assurer sa présentation. (Silence gêné.) Nous sommes très embarrassés. M. Solomon espérait que vous accepteriez de la remplacer au pied levé.
Langdon n’en crut pas ses oreilles.
— Moi ? Je suis sûr que Peter pourrait trouver un bien meilleur candidat.
— Vous êtes son premier choix, professeur, et vous êtes beaucoup trop modeste. Les invités du Smithsonian seront ravis de vous écouter. M. Solomon a pensé que vous pourriez réutiliser la présentation que vous avez donnée sur Bookspan TV, il y a quelques années. Cela vous éviterait d’avoir à préparer une intervention. Il a dit que votre discours explorait le symbolisme dans l’architecture de notre capitale : ce sera parfait pour le lieu que nous avons choisi.
Langdon hésita.
— Si mes souvenirs sont exacts, ma présentation concernait plus l’histoire maçonnique du bâtiment que...
— Absolument ! Comme vous le savez, M. Solomon est franc-maçon, de même que plusieurs de ses invités. Je suis persuadé qu’ils adoreraient vous écouter sur le sujet.
C’est vrai que ce serait facile, songea Langdon, qui conservait les notes de tous ses discours.
— J’imagine que c’est envisageable, oui. À quelle date ?
L’assistant s’éclaircit la gorge, mal à l’aise.
— Eh bien... voyez-vous, c’est ce soir, monsieur.
— Ce soir ?
— Comme je vous le disais, c’est la panique ici. Nous nous trouvons dans une situation particulièrement fâcheuse. (Son débit s’accéléra :) M. Solomon est prêt à envoyer un jet privé à Boston. Le vol ne dure qu’une heure, vous pourriez être de retour chez vous pour minuit. Connaissez-vous le terminal privé de l’aéroport Logan ?
— Oui, répondit Langdon à contrecœur.
Pas étonnant que Peter obtienne toujours ce qu’il veut.
— Parfait ! Vous serait-il possible de vous y présenter à... disons, 17 heures ?
— Vous ne me laissez pas vraiment le choix, plaisanta Langdon.
— J’essaie juste de satisfaire M. Solomon, professeur.
Tout le monde avait envie de se mettre en quatre pour Peter... Langdon prit son temps pour réfléchir, sans trouver la moindre échappatoire.
— D’accord, j’accepte.
— Magnifique ! se réjouit l’assistant, soulagé, avant de lui communiquer le numéro de l’avion et d’autres informations utiles.
Après avoir raccroché, Langdon se demanda si Peter Solomon avait déjà essuyé un refus dans sa vie.
Il reprit la préparation de son café et ajouta quelques grains dans le moulin.
Une petite dose supplémentaire de caféine – la journée promettait d’être longue.
4.
Le Capitole se dresse majestueusement à l’extrémité est du National Mail, sur un plateau surélevé que l’urbaniste Pierre Charles L’Enfant décrivait autrefois comme « un piédestal en attente d’un monument ». Les fondations massives du Capitole mesurent près de 230 mètres de longueur et plus de 100 mètres de profondeur. Comprenant environ 65 000 mètres carrés de surface habitable, le bâtiment contient la bagatelle de 541 chambres. Son architecture néoclassique a été précisément étudiée pour rappeler la grandeur de la Rome antique, dont les idéaux ont inspiré les pères de la nation lorsqu’ils établirent les lois et la culture de leur jeune république.
Le nouveau poste de sécurité pour les visiteurs était situé dans les profondeurs d’un centre d’accueil souterrain qui venait d’être inauguré. Sous le plafond en verre qui offrait une vue magnifique sur le dôme du Capitole, l’agent Alfonso Nuñez, récemment embauché, étudia de la tête aux pieds l’homme qui marchait vers lui. Celui-ci avait traîné dans le hall pendant quelques instants, le temps de terminer une conversation téléphonique, avant d’entrer dans le centre. Le bras droit en écharpe, il boitait légèrement. Sûrement un ex-militaire, à en croire son crâne rasé et son long manteau élimé de l’US Navy. Les vétérans des forces armées américaines représentaient une bonne partie des visiteurs à Washington.
— Bonsoir, monsieur, le salua Nuñez, appliquant le protocole de sécurité qui consistait à nouer la conversation avec les hommes seuls.
— Bonsoir, répondit le visiteur en balayant du regard l’esplanade presque déserte. Soirée tranquille, on dirait.
— C’est soir de match... Tout le monde est en train de regarder les Redskins.
Nuñez aurait bien aimé suivre la rencontre, lui aussi, mais c’était son premier mois de travail, ce qui signifiait qu’il perdait d’office à la courte paille.
— Veuillez placer vos objets métalliques dans le panier, s’il vous plaît.
Pendant que l’homme tâtonnait pour vider les poches de son pardessus avec sa main valide, Nuñez l’examina scrupuleusement. L’instinct humain se montrait naturellement moins méfiant avec les blessés et les handicapés, mais Nuñez avait été entraîné à ne pas baisser la garde.
Pièces de monnaie, clés, deux téléphones portables – les objets habituels.
— Entorse ? demanda Nuñez en regardant la main du visiteur, qui était enveloppée dans plusieurs épaisseurs de bandage élastique.