— On ne peut pas, objecta un jeune homme. La franc-maçonnerie, c’est une société super-secrète.
— Super-secrète ? Vraiment ? s’étonna Langdon en pensant à la chevalière que son ami Peter Solomon arborait fièrement à la main droite. Dans ce cas, comment expliquez-vous les anneaux, badges et épingles à cravate que portent les maçons ? Comment expliquez-vous que les horaires des réunions soient publiés dans le journal ?
Il sourit aux visages perplexes de l’assistance.
— Chers amis, la franc-maçonnerie n’est pas une société secrète ; c’est une société avec des secrets.
— C’est pareil, marmonna quelqu’un.
— Vraiment ? Considéreriez-vous Coca-Cola comme une société secrète ?
— Bien sûr que non.
— Que se passerait-il si vous alliez taper à la porte de leur siège social en demandant la recette du Coca-Cola ?
— Ils ne nous la donneraient pas.
— Exactement. Avant de connaître le secret le plus précieux de Coca-Cola, il vous faudrait travailler pour l’entreprise pendant des années, prouver votre loyauté et gravir les échelons jusqu’à atteindre un degré suffisamment élevé pour avoir accès à cette fameuse recette. Et seulement après avoir juré le secret.
— Si je comprends bien, la franc-maçonnerie, c’est comme une entreprise ?
— Uniquement dans le sens où elle obéit à une stricte hiérarchie et attache une grande importance à la confidentialité.
— Mon oncle est maçon, intervint une jeune femme. Ma tante déteste ça parce qu’il refuse d’en parler avec elle. Elle dit que c’est une sorte de religion bizarre.
— Une erreur courante.
— Ce n’est pas une religion ?
— Combien d’entre vous suivent le cours de religion comparée du professeur Witherspoon ? (Plusieurs mains se levèrent.) Bien. Et quelles sont les trois conditions sine qua non pour qu’une idéologie soit considérée comme une religion ?
— Promettre, croire, convertir, avança une étudiante.
— Exact. Les religions promettent le salut, elles croient en une théologie précise, et convertissent les non-croyants. (Il fit une courte pause.) Résultat ? Religion : 3, franc-maçonnerie : 0. Les maçons ne vous garantissent pas le salut, n’adhèrent à aucune théologie et se moquent éperdument de vous convertir. Sachez qu’il est même interdit de parler de religion dans les loges maçonniques.
— Alors, quoi... la maçonnerie est athée ?
— Bien au contraire. Pour devenir franc-maçon, il est indispensable de croire en un pouvoir suprême. La différence avec la religion organisée est que les maçons n’imposent ni nom, ni définition spécifique pour ce pouvoir suprême. Plutôt que des entités théologiques précises telles que Dieu, Allah, Bouddha ou Jésus, ils se réfèrent à des notions plus abstraites comme le Principe Supérieur ou le Grand Architecte de l’Univers. Cela permet de réunir des membres de religions différentes.
— C’est un peu délirant, non ?
— Délire, ou ouverture d’esprit rafraîchissante ? A une époque où l’on s’entretue au nom de divergences religieuses, on pourrait considérer que la tradition maçonnique de tolérance présente un modèle louable. (Langdon se mit à arpenter l’estrade.) J’ajouterai que la maçonnerie accepte les hommes de toutes origines, credo et couleurs de peau, sans aucune discrimination.
— Aucune discrimination ?! s’exclama une étudiante du comité des femmes de Harvard en se levant. Combien de femmes ont-elles été acceptées dans leurs rangs, professeur Langdon ?
— C’est juste, admit Langdon. La franc-maçonnerie trouvant ses racines dans les guildes d’ouvriers maçons du Moyen Âge en Europe, c’était une organisation strictement masculine. Une branche féminine fut fondée il y a plusieurs siècles – dès 1703, d’après certains. L’Ordre de l’Étoile orientale compte plus d’un million de membres.
— Admettons. Toujours est-il que la franc-maçonnerie est une puissante organisation dont les femmes sont exclues.
Langdon n’était pas certain qu’elle fût encore si puissante que cela, mais il n’allait pas se laisser entraîner dans ce débat. D’aucuns percevaient les maçons modernes comme un groupe de vieillards inoffensifs qui aimaient se déguiser ; d’autres, comme une cabale clandestine réunissant les éminences grises qui dirigeaient le monde. La vérité se trouvait sans doute quelque part entre les deux.
— Professeur Langdon ! l’interpella un garçon aux cheveux frisés, au dernier rang. Si la franc-maçonnerie n’est ni une société secrète, ni une entreprise, ni une religion, qu’est-ce que c’est ?
— Si vous posiez la question à un maçon, il vous répondrait probablement que c’est un système moral qui s’incarne dans les allégories et s’illustre de symboles.
— Ça sonne comme un euphémisme pour « secte tordue ».
— Tordue, dites-vous ?
— Carrément ! s’exclama l’étudiant. On m’a raconté ce qu’ils font dans leurs planques secrètes ! Des cérémonies louches avec des bougies, des cercueils et des nœuds de pendu, des crânes remplis de vin. Moi, j’appelle ça tordu !
Langdon observa le reste de la classe.
— Vous êtes tous d’accord avec lui ?
Les élèves répondirent « oui » à l’unisson. Langdon soupira, feignant la tristesse.
— Dommage. Si ça, c’est trop tordu pour vous, je ne réussirai jamais à vous recruter dans la mienne, de secte.
Le silence se fit. L’étudiante du comité des femmes paraissait mal à l’aise.
— Vous appartenez à une secte, vous ?
Langdon hocha la tête et murmura sur le ton de la conspiration :
— Ne le répétez à personne, mais quand arrive le jour païen dédié au dieu soleil Râ, je me prosterne au pied d’un instrument de torture ancien, où j’avale la chair et le sang ritualisés.
Les élèves hésitaient entre perplexité et dégoût, Langdon haussa les épaules.
— Et si vous souhaitez vous joindre à moi, vous n’avez qu’à venir à la chapelle d’Harvard dimanche prochain, vous agenouiller devant la Croix et recevoir l’eucharistie.
Le silence des élèves se prolongea.
— Ouvrez votre esprit, chers amis, dit-il avec un clin d’œil. Nous craignons toujours ce que nous ne comprenons pas.
*
Le son d’une cloche résonna dans les couloirs du Capitole.
19 heures.
Robert Langdon filait au pas de course. Une chose est sûre : je vais faire une entrée remarquée, pensa-t-il. En remontant le couloir qui connectait les deux ailes du bâtiment, il repéra enfin la salle des statues.
Avant d’atteindre la porte, il se composa une allure plus détendue et prit de grandes inspirations. Il boutonna sa veste, puis, soulevant imperceptiblement le menton, pivota face à la porte à l’instant où retentissait le dernier son de cloche.
Que le spectacle commence !
Le professeur Robert Langdon entra à grands pas dans le Hall des statues, le sourire aux lèvres – un sourire qui s’évapora presque instantanément.
Quelque chose ne tournait pas rond.
7.
Katherine Solomon se hâta de traverser le parking. La pluie froide lui fit regretter de n’avoir enfilé qu’un jean et un pull en cachemire. Le vrombissement des énormes purificateurs d’air s’intensifiait à mesure qu’elle approchait de l’accès principal, mais elle les entendait à peine : ses oreilles bourdonnaient encore après cette conversation téléphonique.
Cette chose que votre frère croit enfouie à Washington. .. Je sais comment la trouver.
Cela semblait presque impossible. Trop de questions restaient sans réponse entre Katherine et son interlocuteur ; ils s’étaient donné rendez-vous plus tard dans la soirée.