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Accroupi, arme au poing, il osa un autre regard par la baie vitrée. Il soupira longuement et, après trente bonnes secondes, se redressa.

— Peut-être un animal, après tout. Les orignaux et les castors ne sont pas rares dans le coin.

Il retrouva son calme. Ce type qui, plus jeune, avait dû se mettre un bon paquet d’individus dangereux et influents à dos, qui avait affronté les ténèbres et su garder la tête hors de l’eau, terminait sa vie en pleine psychose.

— Je suppose qu’aux archives, vous n’avez rien trouvé ? demanda-t-il. J’y suis moi-même allé, il y a un an environ. Il est évident que les identités correspondant à ces visages de gamines dont nous disposons, vous et moi, se trouvent dans les communautés religieuses. Mais, vous avez dû le constater, celles-ci sont malheureusement inaccessibles. C’est tout ce qu’il me manque. Des noms… Les noms de ces petites patientes, pour remonter à l’hôpital psychiatrique des enfants et des lapins, à ces gamines, obtenir des témoignages, des preuves vivantes que…

— J’ai ces noms.

— Comment cela ?

— De plus en plus de communautés religieuses sont en train de fermer, faute d’argent. Leurs archives sont systématiquement redirigées vers celles du centre de Montréal. Vous n’étiez pas au courant ?

Il secoua la tête.

— Depuis que je me cache, c’est plus difficile pour moi de me tenir au courant.

— La petite fille de la balançoire s’appelle Alice Tonquin.

— Alice… soupira-t-il, comme si le prénom était resté bloqué des années au fond de sa gorge.

— La Sûreté a perdu sa trace administrative, mais son dernier établissement connu était celui des sœurs grises. Je possède l’identité de la sœur qui s’est occupée d’elle. Sœur Marie-du-Calvaire. C’est là où je devais me rendre avant que vous… m’enleviez.

— Comment avez-vous fait ?

— Nous avons exploité le film à fond.

Il sourit imperceptiblement.

— Je crois qu’il est temps que je vous révèle le reste de nos recherches, à Wlad et à moi. Et que nous avancions grâce à vos informations. Allons à l’ordinateur…

Lorsqu’il revint vers la table, son regard tomba sur le téléphone portable de Lucie. Il le prit dans les mains.

— Votre téléphone…

— Quoi, mon téléphone ?

— Vous m’avez dit qu’il ne fonctionnait plus. Depuis quand ?

— Euh… J’ai voulu l’utiliser lors de mon arrivée au Canada et…

Lucie ne termina pas sa phrase, comme si elle venait de comprendre. Rotenberg retourna l’appareil et ouvrit le capot arrière, les mains tremblantes. Il arracha ce qui ressemblait à un petit circuit électronique de son emplacement.

— Sûrement un traceur.

Ses yeux bleus s’emplirent de panique. Lucie se prit la tête dans les mains.

— Mon voisin, dans l’avion… J’ai dormi pendant tout le trajet.

— Droguée, probablement. Ils doivent vous surveiller depuis longtemps. Et ils se sont servis de vous pour venir à moi. Ils… Ils sont ici…

Lucie songea aux micros, dans son appartement et celui de Sharko. Facile pour les tueurs de la filer. Immédiatement, Rotenberg sortit son téléphone portable, l’alluma et composa le 911.

— Philip Rotenberg. Envoyez du monde toute de suite à Matawinie, proche du lac où débouche la rivière Matawin. Je vous donne les coordonnées GPS exactes, notez rapidement s’il vous plaît !

— Motif de l’appel ?

— On cherche à me tuer.

Il fournit les coordonnées qu’il connaissait par cœur et raccrocha, les suppliant de se dépêcher. Puis, le corps voûté, il se dirigea vers son poêle. Lucie l’imita. Le feu éclairait dangereusement l’intérieur de la maison, et il y avait des vitres partout. Au moment où il approcha du poêle, la baie vitrée explosa.

Philip Rotenberg fut projeté vers l’arrière, son corps s’écrasa lourdement sur le plancher. Une fleur rouge apparut et grandit sur sa chemise blanche. Sa poitrine se soulevait encore. Depuis l’extérieur, des flammes surgirent soudain. De grands rideaux mobiles, accrochés au bois. Devant, derrière. Une danse rouge et violente enveloppa subitement les murs extérieurs du chalet.

Le feu, qui avait coûté la vie à Lacombe il y a si longtemps, cherchait de nouvelles victimes…

Lucie se rua sur Rotenberg, dont la gorge sifflait. Elle appuya des deux paumes sur le trou. Ses doigts s’empourprèrent instantanément.

— Ne lâchez pas, Philip !

L’homme serra fortement les poignets de Lucie. Ses pupilles appelaient la mort. Une épaisse fumée noire se glissait sous la porte.

— À mon cou… La clé… Arrachez…

Lucie hésita une demi-seconde, puis s’exécuta. Elle tira sur la petite chaîne au bout de laquelle pendait le morceau de métal. Rotenberg s’était mis à pisser le sang par la bouche.

— Cette clé, qu’est-ce qu’elle ouvre ?

L’avocat marmonna quelque chose d’incompréhensible.

Une larme, puis plus rien.

Lucie fourra la clé dans sa poche et se redressa légèrement, paniquée. Elle récupéra le flingue, observa rapidement autour d’elle. Il ne restait qu’un endroit où le feu n’avait pas encore attaqué : la baie vitrée explosée.

Lucie tenta de réfléchir, le plus vite possible. Le sniper aurait pu l’éliminer en même temps que Rotenberg et pourtant, il ne l’avait pas fait. Il voulait la faire sortir comme un lapin de son terrier.

Lucie n’eut plus aucun doute : le tueur la voulait vivante.

Si elle posait le pied dehors, elle était fichue.

Elle commença à tousser. La température montait, le bois s’était mis à craquer. Il fallait résister.

Derrière elle, à l’extérieur, les flammes s’étiraient hautes et gourmandes. Elles ne tarderaient pas à tout envahir. Cachée derrière le poêle, Lucie se traîna jusqu’à la table basse, ôta son sweat, le roula en boule et l’humidifia avec l’eau. Elle le plaça devant son nez.

Attendre, attendre… L’autre allait forcément se poser des questions, douter, se demander si elle n’avait pas pris la fuite. Il allait craquer.

Une vitre vola en éclats, derrière. Lucie crut mourir de peur avant l’heure.

L’invasion du feu commençait, les flammes s’étiraient à l’intérieur, violentes, le bois se distendait. L’esprit de la flic s’embrouillait, ses yeux piquaient, la chaleur s’intensifiait. Elle enfonça ses ongles dans ses cuisses. Tenir.

Une minute… Deux minutes…

Une silhouette apparut alors dans un panache de fumée, au bord de la baie vitrée. L’ombre entra prudemment, revolver tendu devant elle. Une tête grise balaya la pièce. Lucie se redressa dans un cri et vida son chargeur en tirant à l’aveugle.

La masse s’effondra.

Lucie retint sa respiration et fonça à travers la pièce enfumée. Au moment de chevaucher le corps, elle reconnut succinctement le visage de son voisin dans l’avion. Aux pieds, il portait des rangers.

Elle se jeta à l’extérieur, courut une dizaine de mètres et tomba par terre.

Elle toussa longuement et put enfin respirer une grande goulée d’air.

Quand elle se retourna, l’habitation n’était plus qu’une gigantesque boule de feu.

Lucie était devenue une anonyme sans sac, sans papiers, sans identité.

Et elle avait abattu un homme dans un pays qui n’était pas le sien.

50

Le halo bleuté des gyrophares de police se mêlait à celui des deux camions de pompiers garés en face du chalet. Les hommes du feu étaient arrivés à une vitesse hallucinante, et les puissantes lances étaient parvenues à maîtriser l’incendie avant qu’il se propage dans la forêt. Mais de l’habitation de Philip Rotenberg, ne restaient plus qu’un tas de cendres et de la fumée.