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— Je vais t’expliquer : la belle Isoline doit avoir pour devise « Surtout pas d’histoires ! Je mène ma vie comme je l’entends »… et je n’ai pas l’impression que sa fille compte énormément pour elle. En revanche, il me plairait de rencontrer l’Écossaise, cette Miss Phelps qui fait la pluie et le beau temps chez sa patronne et particulièrement en ce qui concerne l’enfant…

Aldo s’arrêta pour allumer une cigarette.

— Continue ! engagea Adalbert.

— J’y viens ! Imagine que la dénommée Phelps appartienne à une bande de malfrats et qu’elle ait tranquillement enlevé Clarissa pour faire chanter la grand-mère. Si elle veut revoir sa petite-fille vivante, elle doit être à Paris, à Saint- Augustin, pour la messe de six heures où elle entrera dans le confessionnal, etc. Elle y trouvera la mort tandis que son meurtrier prendra la fuite en emportant la rançon qu’il a exigée…

— … et qui pourrait être le second « Frère rubis » qui doit donner en ce moment des cauchemars à Moritz Kledermann ?

— Dieu soit loué ! Il a vu la lumière ! exhala Aldo, soulagé.

— Oh, il n’y a pas de quoi pavoiser, grommela Adalbert. La situation n’en est pas plus réjouissante pour autant. Tant que l’on ne saura pas ce qu’est devenue Plan-Crépin, l’horizon demeurera bouché. Mais pourrait s’éclaircir ? En admettant que l’ennemi sache que tu possèdes le deuxième caillou, je pense que tu ne verrais aucun inconvénient à t’en séparer pour récupérer Marie-Angéline ?

— Quelle question ! fit Aldo en haussant les épaules. C’est ce que j’ai dit à Langlois. Je ne te cache pas que j’aimerais savoir d’où sortent ces trois rubis, dénommés eux aussi les « Trois Frères » mais par pure curiosité d’expert. Leur propriétaire c’est mon beau-père, mais Plan-Crépin étant ma priorité, je ne lui ferai cadeau de l’objet de ses désirs que quand nous l’aurons retrouvée…

Adalbert gara sa voiture rue Cambon et se tourna sur son siège pour mieux considérer son ami.

— D’autant que tu n’as rien à perdre dans cette aventure… puisque la collection Kledermann te reviendra… un jour ?

Le dernier mot trembla légèrement ! Les yeux bleus d’Aldo prenaient une curieuse teinte verte annonçant la tempête et Adalbert se hâta d’ajouter :

— Allons ! Ne prends pas la mouche ! Je sais parfaitement que, pour notre marquise et son fidèle bedeau, tu donnerais jusqu’à ta chemise…

— Démarre ! On rentre !

— Je croyais que tu avais finalement décidé de boire un verre au Harry’s Bar, puisque nous sommes rue Cambon ?

— J’ai changé d’avis ! Je le trouverai meilleur à la maison… après t’avoir administré la correction que tu mérites !

Résigné, Adalbert abdiqua :

— Toujours les grands mots !

Leur retour rapide suscita quelque surprise :

— Déjà ? s’étonna Lisa. C’était quoi au juste, cet important rendez-vous ?

— Du vent ! grogna Adalbert. On voulait seulement me sauver des charmes d’une sirène ! Sous le prétexte de m’emmener boire un verre dans un endroit sympathique et je n’y ai même pas eu droit. La voiture à peine arrêtée, il a décidé qu’on rentrait !

— Et vous vous êtes laissé faire ? s’indigna Lisa. Votre bonté vous perdra ! À votre place, j’aurais quitté la voiture en emportant les clés et je serais allé m’offrir un vieux whisky en laissant Son Altesse patienter… ou revenir en taxi ?

— On n’a pas fait que ça ! Il m’a mis au courant de votre conversation avant que je n’arrive… et j’avoue qu’en renversant les rôles j’aurais sans doute agi de la même façon. Cette femme est ravissante mais ou elle est idiote ou elle s’y prend à merveille et c’est une réussite. Et vous, qu’en pensez-vous ?

— Je pencherais pour la stupidité, soupira Tante Amélie. Il me paraît difficile d’atteindre une telle perfection sans avoir des dispositions naturelles. C’est une très jolie poupée manipulée par les mains habiles de quelqu’un à qui elle est entièrement dévouée…

— Au point de se servir d’une gamine de huit ans, sa propre enfant, avec les dangers qui peuvent en découler ? Je n’admettrai jamais cela ! affirma Lisa avec, dans la voix, un léger tremblement qui émut Aldo.

Il prit la main de sa femme, en baisa la paume puis la garda entre les siennes :

— Tu ne peux pas penser autrement, mon cœur ! Parce que tu aimes profondément tes enfants, tout en toi se révulse rien qu’à l’idée qu’il puisse exister des mères indignes.

— … et pourtant, continua Mme de Sommières, vous n’avez pas hésité à laisser les vôtres à Venise pour venir à mon aide ! Vous n’allez d’ailleurs pas vous attarder ici où vous seriez vite malheureuse.

— Je ne veux pas vous abandonner ! Tant que Marie-Angéline…

— Plus un mot à ce sujet ! Elle peut rester absente longtemps… en admettant qu’elle revienne un jour et vous vous devez à eux !

— Mais vous-même êtes peut-être en danger ?

— Mesdames ! Mesdames ! intervint Adalbert. Vous êtes toutes les deux bourrées des bons sentiments que nous vous connaissons ! Il n’en demeure pas moins que, tant que l’on n’en saura pas davantage, la vie de chacun de nous peut être menacée sans que l’on sache par qui ou par quoi. Aldo et moi allons reprendre le sentier de la guerre pour connaître à coup sûr ce qu’il est advenu de Plan-Crépin, sinon on ne pourra plus jamais dormir ni l’un ni l’autre…

— Et moi pas davantage ! coupa Langlois que personne n’avait entendu entrer, qui avait traversé les salons à grands pas et que Cyprien suivait de son mieux comme un teckel essoufflé.

Le policier s’inclina brièvement devant les deux femmes en s’excusant de son intrusion :

— Je suppose, Messieurs, que vous êtes dans les mêmes dispositions ?

— Cette question ! répliqua Adalbert. Auriez-vous par hasard besoin de nous ?

— Oh, je l’avoue sans hésiter. L’inspecteur Sauvageol que j’avais envoyé dans la région de Pontarlier sur les terres de Mme de Granlieu ne se manifeste plus !

— Il était seul là-bas ?

— Non, évidemment. L’inspecteur chef Durtal que vous connaissez aussi m’a averti. Lui est toujours à Pontarlier mais ne peut – officiellement ! – pousser ses investigations en Suisse, et comme à notre dernière rencontre vous ne m’aviez pas caché votre intention de vous mêler de ce qui nous occupe, je viens vous voir… Où en êtes-vous ?

On le lui dit. En ajoutant la visite de la jeune Mme de Granlieu et l’impression mitigée que l’on en avait tiré : stupidité ou grand art ?

— Je vais tenter de me faire une opinion personnelle car je me rends chez elle en sortant d’ici. J’ai une mauvaise nouvelle à lui annoncer : on a retrouvé ce matin dans un buisson du bois de Boulogne, proche de la porte Dauphine, le cadavre de son majordome Dominique Marescat, proprement égorgé….

— Lui aussi ? Mais pourquoi… si je peux me permettre une question imbécile puisque vous n’en savez probablement rien !

— Pas si imbécile que ça ! Cet homme avait donné rendez-vous à Sauvageol au moyen d’un bout de papier glissé dans une poche le soir même de la mort de Mme de Granlieu. Ils devaient se retrouver à dix heures au « Victor Hugo », le café tabac du même nom, et naturellement il n’est pas venu.

— Tué comment  ? demanda Adalbert.

— Un coup de rasoir, précédé sans doute d’une bouffée de chloroforme !

— Le même meurtrier alors qu’au lever du jour il prenait la fuite dans une voiture suisse ? J’aimerais aller avec vous interroger la belle Isoline rien que pour voir la tête qu’elle fera, proposa Adalbert.