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— Le brave homme ne fera rien sans au moins en référer au Sous-Préfet… En outre tu ne peux pas déclarer la guerre à Langlois ? Après tant d’années de… collaboration traduite finalement par une amitié, tu ne vas pas lui tourner le dos ?

— Tu en as de bonnes, toi ! J’étais prêt à le prendre dans mes bras en lui tapant dans le dos à cause de Sauvageol et c’est à peine si…

— Laisse tomber !… et allons à la Gendarmerie ! Il va sans doute déjeuner à la Sous-Préfecture mais il y passera sûrement ! Entre-temps on verra Verdeaux !

L’un des gendarmes qui balisaient le parcours hésita à laisser passer leur voiture :

— Où allez-vous comme ça ?

— Chez vous, attendre le capitaine. On a à travailler ensemble !

— C’est bon !

Sifflet à la bouche, il se mit même en travers de la route pour les laisser rejoindre le centre de la ville, où ils furent en un rien de temps. Verdeaux les rejoignit presque aussitôt. À leur grande surprise, lui qui arborait le plus souvent une mine sévère qu’il accentuait en retroussant sa moustache d’un air féroce fit montre d’une humeur bénigne à la limite du sourire :

— Voilà ! Désolé de vous avoir fait attendre ! Qu’est-ce que vous voulez ?

— Si vous en êtes d’accord, je voudrais offrir une récompense à qui nous ramènera Mlle du Plan-Crépin.

— Du Plan quoi ?

— Crépin ! Ce n’est pas une étrangère : saint Crépin est le patron des cordonniers !… et elle est ma cousine !

— Et vous pensez offrir combien  ?

— Dix mille si elle est… vivante et seulement mille dans le cas contraire  !

— Sacrebleu ! Vous êtes généreux !

— Elle les vaut et davantage encore ! On l’aime beaucoup…

— Je vous crois volontiers !… C’est vrai que vous êtes prince ?

— Oh, non ! Vous n’allez pas vous y mettre, vous aussi ? Je suis né ainsi, je n’y peux rien.

Verdeaux grimpa jusqu’au large sourire :

— Ça doit vous attirer des… disons, des sympathies ?

— Ou de rudes emmerdements ! coupa Adalbert.

— Pour l’instant, cela vous vaudrait plutôt les gros soupirs de la Sous-Préfète ! Elle est navrée de ne pas vous recevoir au déjeuner et elle échangerait toute la PJ, le Président de la République et même le Légat du Pape – c’est une dame très pieuse ! – contre vous tout seul ! Et vous, vous êtes quoi ? demanda-t-il en jaugeant de l’œil Adalbert : Vous êtes duc, marquis ?…

— Bêtement archéologue ! bougonna Adalbert, content malgré tout qu’on ne l’ait pas décoré d’un simple tortil de baron.

— Oh, oh ! fit Verdeaux d’un ton pénétré. Je vois ! Venez par là ! invita-t-il en les emmenant dans son bureau. On va régler l’affaire sans tergiverser. Vous avez une photo ?

Adalbert ressortit le précieux document que le capitaine scruta un moment :

— Qui est la dame âgée ?

Adalbert le renseigna :

— La marquise de Sommières, la grand-tante de Morosini… et un peu la mienne aussi. C’est chez elle que vit Mlle du Plan-Crépin…

— Elle habite en Afrique ?

— Non. À Paris. La photo a été prise pendant un voyage en Égypte et je trouve qu’elle est très réussie. Principalement le visage de celle que nous recherchons.

— Parfait ! Je convoque immédiatement le photographe de la ville. Il a du talent, lui aussi !

Côté autorité, le capitaine n’en manquait pas, mais il savait la tempérer envers ceux qui n’étaient pas directement sous ses ordres. L’homme de l’art accourut, promit de remettre l’ouvrage l’après-midi… après quoi les deux ex-faux journalistes furent priés de se laver les mains avant de passer à table, invités généreusement par Verdeaux.

— Vous verrez, leur promit celui-ci. La Poste, c’est une sacrée bonne maison, mais au point de vue cuisine, personne ici ne peut en remontrer à Mme Huguette Verdeaux !

Et il avait raison !

Ils furent dûment lestés de fines tranches d’un jambon fumé du Haut-Doubs, de croûtes aux morilles – séchées mais parfaites – à la crème accompagnant un quasi de veau tendre comme la rosée, puis de quelques feuilles de laitue craquantes entourant un fromage de Morbier moelleux. Enfin d’un vacherin aux myrtilles suivi d’un café, que le difficile Morosini jugea irréprochable. On en était à la seconde tasse, quand surgirent à la fois Langlois, Durtal, le sous-préfet… et les affichettes que le policier considéra avec stupeur, mais le chiffre de la récompense l’éclaira aussitôt :

— Inutile de demander qui a commandé cela ? Vous auriez pu m’en parler, au moins ?

— Vous ne sembliez pas disposé à entendre quoi que ce soit venant de moi ! riposta Aldo. Le capitaine Verdeaux étant d’accord, on s’y est attelé sans attendre la fin de votre visite à la Sous-Préfecture… (Puis cessant de retenir sa colère :) Dieu sait pourquoi vous paraissez me rendre responsable du sort tragique de Sauvageol ! J’en aurais fait autant pour lui, mais Plan-Crépin c’est « ma » famille…

— Tu pourrais dire « notre », grogna Adalbert.

— Il le sait comme il sait aussi que, l’un comme l’autre, nous donnerions cent fois plus pour la revoir… vivante avec son long nez, son humour ravageur, ses connaissances encyclopédiques et son cœur grand comme ça ! Tout simplement parce qu’on l’aime et que Tante Amélie pourrait en mourir de chagrin. Alors, que ça vous plaise ou non…

— On s’en fout à un point que vous n’imaginez pas ! contresigna Adalbert. On ne rentrera pas à Paris sans elle !

Et puis ce fut le silence. Comprenant qu’il se jouait entre les trois hommes une sorte de tragédie où personne n’avait le droit de s’immiscer, Verdeaux vida son bureau en poussant devant lui ceux qui n’avaient rien à y faire, puis referma la porte.

Soudain, Langlois, qui se tenait appuyé des deux poings sur la table, se redressa et fit face aux deux belligérants :

— Vous croyez que je ne l’apprécie pas, elle aussi ?… Bon ! Il me faut vous présenter mes excuses. Sincères ! La mort de Sauvageol, mon élève préféré depuis que Lecoq fait son service militaire, m’a mis hors de moi. J’aurais pu m’en prendre à la Terre entière ! C’est tombé sur vous, Morosini ! Je vous en demande pardon !

Et, sans plus hésiter, il tendit une main large ouverte qu’Aldo serra vigoureusement. Puis ce fut le tour d’Adalbert.

— Voilà qui est fait ! fit celui-ci avec satisfaction. Et si on se mettait au boulot ? Était-il réconfortant, le déjeuner de la Sous-Préfecture ? Ou alors le titre de Son Excellence vous a-t-il encore cassé les pieds ?

Le policier se mit à rire :

— Vous ne pouvez imaginer à quel point. La Sous-Préfète en pleurait presque de désappointement ! Une belle leçon d’humilité, ce déjeuner !

— Avant de repartir, acceptez une invitation chez Mme Verdeaux ! Il ne doit pas exister dans toute la Franche-Comté de chef qui lui vienne à la cheville. Mais revenons à ce qui nous occupe : ce que je redoute dans cette histoire de récompense, c’est que nous soyons submergés par un déluge de renseignements vrais ou faux ! Sans compter ce qui peut déborder de la frontière suisse. Elle n’est pas loin.

— D’abord il faut en priorité prévenir la douane ! affirma le capitaine Verdeaux qui venait de reparaître. Dans la ville, l’annonce va se propager à la vitesse d’un feu de brousse…

Ce fut ce qui se produisit. En un peu plus d’une heure, tandis que Langlois et Durtal regagnaient Paris escortant le corps de Gilbert Sauvageol, une onde d’excitation parcourait Pontarlier, où chacun s’efforçait de rassembler ses souvenirs, persuadé d’avoir vu ce visage – peu ordinaire, il faut l’avouer ! – à tel ou tel endroit.