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Certes, Plan-Crépin paraissait s’accommoder assez bien de son nouvel état, mais si la marquise réagissait mal, Dieu sait ce qu’il pouvait en résulter.

Parvenus rue Jouffroy, ils s’aperçurent qu’ils n’avaient plus sommeil – ce ne serait pas la première nuit blanche à leur actif ! – et optèrent pour le petit déjeuner confortable que Théobald, l’indispensable valet à tout faire de l’archéologue, leur servait.

Sa troisième tasse de café avalée pour faire glisser deux brioches beurrées et quatre croissants à la confiture d’abricots, Aldo alluma une cigarette et considéra son ami qui, lui, mangeait mécaniquement, l’esprit ailleurs :

— Essaie de te détendre ! À y réfléchir, le cas ne me paraît pas désespéré ! J’admets que ça fait drôle de voir Plan-Crépin transformée en zombie mais le gnon qu’elle a pris sur la tête doit y être pour quelque chose ? On a déjà entendu parler d’amnésies partielles qui s’effaçaient avec le temps ! Si l’admirable Dieulafoy n’y peut rien, il saura qui convoquer  ?

— Il n’y a aucune raison pour qu’il n’y puisse rien ! Je te rappelle que tu as été toi aussi dans le cirage et que tu t’en es sorti de façon magistrale. Évidemment tu avais une forte fièvre, ce qui n’est pas son cas, et j’admets volontiers qu’il faille attendre, mais une question me turlupine…

— Langlois ?… Moi non plus, je ne l’oublie pas, et pour être franc je retourne la question dans mon crâne depuis Pontarlier : on raconte ou on raconte pas ?

— Dès l’instant où elle a refait surface, c’est difficile de le lui dissimuler. D’ailleurs, pourquoi le ferions-nous ? Elle est le seul témoin d’un assassinat particulièrement odieux et il ne lâchera pas pied tant qu’il n’aura pas mis le ou les coupables sous les verrous !

— C’est d’ailleurs son devoir ! Écoute, laissons passer la journée. Ce soir, on ira dîner rue Alfred- de-Vigny, Dieulafoy sera venu et on verra où on en est. De toute façon on est censés dormir, non ?

— Oui. Tu as raison. On appellera Langlois demain matin.

Pendant ce temps, de l’autre côté du parc Monceau, Mme de Sommières procédait à la réinstallation de son « fidèle bedeau » dans un calme impressionnant qui réduisait au silence ses vieux serviteurs. Elle y mettait beaucoup de sollicitude : elle lui fit emprunter le petit ascenseur menant à l’étage installé pour son usage exclusif – Marie-Angéline ayant l’habitude de grimper les escaliers quatre à quatre. Elle lui prit le bras et la guida vers la chambre. Elle lui souriait d’un air encourageant, lui tapotant la main de temps en temps. Arrivées à destination, elle la fit asseoir sur le lit…

— Madame la marquise ne veut pas qu’on l’aide ? demanda Louise, sa femme de chambre. Mademoiselle Marie-Angéline est trop lourde pour que Madame la marquise puisse la coucher seule. En outre, ajouta-t-elle en regardant autour d’elle, je ne comprends pas…

— Chut ! Plus tard, Louise, plus tard ! Dans ces cas-là il faut faire preuve de modération ! Il lui faut du calme, énormément de calme ! Laissez-nous pour l’instant…

— Dois-je dire à Cyprien d’appeler M. le Professeur Dieu…

— Ne soyez pas si pressée, Louise ! Chaque chose en son temps ! Il faut d’abord la réhabituer à la maison ! J’appellerai, soyez sans crainte !… Et n’écoutez pas aux portes !

— Oh ! Madame la marquise !…

La porte refermée, Mme de Sommières approcha un fauteuil crapaud en face de la revenante toujours assise sur le lit, planta ses yeux verts dans les siens et lâcha ex abrupto :

— Pas avec moi, Plan-Crépin ! Vous ne vous en tirez pas mal de votre petite comédie, mais nous avons assez joué ! Maintenant, on cause !

— Mais je ne vois pas…

— Oh, que si ! Vous voyez parfaitement ! Par exemple que cette chambre n’est pas la vôtre, et que vous avez eu un léger… oh très léger mouvement de recul avant d’y pénétrer. De plus, nous n’avons guère parlé, mais à deux reprises vous avez laissé échapper ce cher pluriel de majesté que nous apprécions toutes les deux ! Alors, si vous racontiez ?

La rescapée ouvrit la bouche, la ferma sans avoir émis un son. La marquise se carra plus commodément dans son fauteuil, croisa les bras sur sa poitrine et sourit d’un air engageant :

— Allons ! Un peu de courage, que diable ! Souvenez-vous des Croisades !

Soudain, Marie-Angéline éclata en sanglots.

Pensant qu’elle en avait vraiment besoin, Mme de Sommières la laissa pleurer, se bornant à lui glisser un mouchoir entre les doigts…

1 Voir, du même auteur, La Collection Kledermann.

2 Tartine de pain grillé nappée d’une épaisse couche de champignons à la crème !

5

Un dessin à la plume…

Le soir venu, en arrivant rue Alfred-de-Vigny « pour dîner » comme on les y avait conviés, les deux « plus que frères » n’en menaient pas large. S’ils avaient essayé de dormir dans la journée, ce repos n’avait été que par intermittences. Juste un peu délassant après une nuit sur la route. Ils avaient surtout espéré un coup de téléphone les mettant au courant des événements afin de savoir si Dieulafoy était passé et quel avait été son diagnostic. Sans se concerter, ils en étaient venus à la conclusion qu’après la visite du médecin celui-ci avait dû embarquer Plan-Crépin direction la clinique afin de la mettre en observation pour, ensuite, appliquer le traitement idoine. Et que Tante Amélie avait jugé préférable de les laisser se reposer.

Quand on la connaissait, c’était la logique même, voyons !

Cela ne les empêcha pas d’émettre, à l’unisson, la même question quand Cyprien les accueillit dans le vestibule avec son habituelle dignité souriante :

— On dirait que le moral a remonté d’un cran, Cyprien ? chuchota Aldo immédiatement repris par Adalbert :

— Pourquoi parles-tu tout bas ? Si c’était dramatique, Cyprien serait en larmes. N’est-ce pas, Cyprien ?

— De plusieurs crans, Monsieur Adalbert, de plusieurs crans ! Madame la marquise attend ces messieurs dans le jardin d’hiver !

— C’est plutôt réconfortant, ce retour aux habitudes. Et est-ce qu’il y aura du champagne ?

— Allez, viens ! On verra bien ! fit Aldo en l’empoignant par le bras.

Et l’on vit… Un spectacle tellement coutumier qu’il les laissa sans voix : Mme de Sommières, installée dans son grand fauteuil de rotin blanc au dossier en éventail, buvait une coupe de champagne, tandis que Marie-Angéline, tirée à quatre épingles et avec un pansement tout neuf, faisait une réussite à sa table préférée. Et ce fut elle qui les accueillit :

— Entrez donc, Messieurs ! On vous attendait !

Figés au seuil de la porte sous une branche de fuchsia géante, ils la regardèrent, les yeux ronds. Adalbert émit enfin :

— Vous nous avez reconnus ? Si vous venez d’être traitée par le Professeur…

— Je vous ai toujours reconnus ! Même à l’Annonciade ! Seulement… j’avais besoin de réfléchir…

— Ah vraiment ? lança Aldo dont le nez n’était jamais loin d’un pot de moutarde. Vingt-quatre heures à vous payer notre tête, cela ne vous a pas paru un brin longuet ? Vous avez dû vous amuser tandis qu’on se rongeait les sangs. Et vous, Tante Amélie, vous avez « marché » pendant combien de temps ?

— Pas cinq minutes ! Je la connais comme si je l’avais faite ! J’ai d’abord joué le jeu, naturellement, mais après votre départ, je lui ai tendu un ou deux pièges et elle a foncé droit dedans. Allons, ne fais pas cette tête, Aldo ! Et vous, Adalbert, aidez-moi au lieu de la regarder comme si elle descendait du ciel !