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— Oh, ça va passer ! soupira-t-il, mais je suis comme Aldo, je pensais pouvoir bénéficier d’un minimum de confiance ! Ainsi pendant toute cette nuit de voiture où nous en étions réduits aux conjectures, vous nous écoutiez… tranquillement ? On n’a pas proféré trop de sottises ?

— Non… Cent fois j’ai failli me découvrir, mais je vous supplie de me croire quand je vous dis que j’avais vraiment besoin de réfléchir. J’avais juré… Je m’étais juré, veux-je dire…

— Quoi ? hurla Aldo dont les yeux avaient viré au vert, tandis qu’une larme montait à ceux de Marie-Angéline.

Ce que voyant, Mme de Sommières alla prendre les deux hommes par le bras :

— On se calme ! intima-t-elle fermement. Si je vous dis que je ne lui donne pas tort, m’accordez-vous votre crédit ?

— À vous, oui ! affirmèrent-ils d’une seule voix.

— Alors vous ne verrez aucun inconvénient à ce que je lui rende la parole ? Finalement, c’est son histoire à elle ! Moi, je ne ferais que de l’à-peu-près. Allez-y, Plan-Crépin ! Buvez un coup pour vous donner du courage et hop ! Après tout, ce n’est qu’un mauvais moment à passer, conclut-elle le nez dans son verre.

— Si elle n’a rien à se reprocher, je ne vois pas en quoi il pourrait être mauvais ? grommela Aldo en allumant une cigarette que Mme de Sommières lui ôta aussitôt.

— Au cas où tu aurais décidé de jouer les juges, tu devrais savoir qu’on ne fume pas dans un tribunal ! asséna-t-elle, sévère. En outre, ton « élégante désinvolture » est indécente ! C’est de vie et de mort qu’il s’agit !

Bien que ce ne fût vraiment pas le moment, Adalbert se mit à rire :

— Regardez-moi, Marie-Angéline ! Je suis beaucoup plus stimulant que Son Altesse quand elle décide de faire la gueule !

Elle lui adressa l’ombre d’un sourire et raconta d’abord ce qui s’était passé au confessionnal  : les chuchotements qu’en dépit de son oreille fine elle ne comprenait pas, puis la légère et écœurante odeur de chloroforme qu’elle avait combattue d’instinct en mettant son mouchoir sous ses narines juste au moment où, après une brève plainte de la victime accompagnant un craquement de bois, elle avait pu voir l’assassin quitter l’église à grands pas puis, une fois dehors, s’enfuir à toutes jambes.

— Je n’ai pas pu m’empêcher de le suivre. Le père Bouju, le mendiant habituel, m’a indiqué la direction qu’il avait prise et, malgré la vitesse de sa course, j’ai pu le distinguer dans l’obscurité en dépit de sa soutane noire grâce aux réverbères. Il a tourné dans la rue de la Bienfaisance et presque aussitôt une voiture s’est approchée pour le prendre au vol, presque sans décélérer. J’ai voulu chercher mon calepin dans mon sac pour noter le numéro et, aussi brusquement qu’elle avait stoppé, elle a reculé et je me suis sentie emportée. Non sans protester, vous vous en doutez, mais je ne sais quoi m’a envoyée au pays des rêves.

— Vous êtes restée combien de temps dans les « vapes » ?

— Est-ce que je sais ? Quand j’ai repris conscience, j’étais couchée sur la banquette arrière d’une voiture, les mains liées derrière le dos, et je ne distinguais rien, bien qu’il fît jour, parce que l’on m’avait bandé les yeux. J’entendis alors celui qui conduisait reprocher à l’autre de vouloir se débarrasser de moi, en m’étranglant et en m’expédiant quelque part dans la nature. Son comparse s’est mis à rire en disant que c’eût été la dernière des gaffes à commettre parce que, en explorant mon sac, il avait découvert qui j’étais et surtout où j’habitais, ce qui lui avait ouvert des horizons : « Elle est de la famille de la v… Mme la marquise de Sommières et tu peux être sûr que celle-ci paiera un prix non négligeable pour la récupérer… »

— Un instant ! Plan-Crépin, coupa Tante Amélie. Je pense que votre mémoire d’éléphant vous joue un tour. J’ai idée qu’en parlant de moi votre truand ne se soit pas montré aussi respectueux ? Il n’aurait pas dit plutôt : la vieille bique au lieu de ce pompeux Madame la marquise qui est loin de cadrer avec le paysage ?

La malheureuse était devenue si rouge qu’Aldo la prit en pitié :

— Fichez-lui paix, Tante Amélie ! Cet exercice ne doit pas être facile…

— Tu oublies sa mémoire phénoménale et, moi, j’aime connaître les détails des choses. Le récit y gagne en couleurs, non ?

— Si ! renifla Plan-Crépin. Il a bien dit « vieille bique »… et aussi que ma restitution leur vaudrait sûrement un « paquet de fric », après quoi il ne serait plus utile de me garder en vie, un cadavre étant rarement bavard !

— Ce sont des apprentis, vos ravisseurs ! estima Adalbert. Allez demander à Langlois ce que l’on peut tirer d’un ex-vivant !

Un ange passa, drapé dans un costume sombre, mais ne s’attarda pas. Cela suffisait pour rappeler qu’on devait envisager sous peu une conversation à cœur ouvert avec le patron de la PJ. Tout le monde en eut conscience et Mme de Sommières s’excusa d’avoir interrompu la narratrice.

— Déballez votre sac, Plan-Crépin ! On fera le tri après !

Approuvant d’un signe de tête, elle s’exécuta. En fait, ce qu’elle avait à dire pouvait se résumer. On avait roulé pendant des heures, en s’arrêtant une fois pour l’essence. Comme ses ravisseurs envisageaient de la caser dans le coffre pendant l’opération, elle les prévint qu’elle ferait un vacarme épouvantable si on ne se décidait pas à lui donner à boire et à la nourrir.

— Ayant raté la messe, je n’avais même pas communié et je mourais de faim et de soif… Je fus aussitôt nantie d’un sandwich et d’un gobelet de café. En gens prévoyants, ils en avaient dans une Thermos. En échange de quoi, je jurai de me tenir tranquille… Et le voyage continua. Je n’avais aucun moyen de me repérer, sinon que le froid s’intensifiait et donc qu’on devait se diriger vers le nord ou vers l’est. Dieu sait que la température était déjà assez pénible ! Finalement on aboutit à ce que je supposais être un garage à cause de l’odeur d’essence. Le plus fort des deux malfrats me chargea sur son dos comme un sac de pommes de terre. Ce mode de transport me donna mal au cœur, mais heureusement dura peu. On me laissa tomber à terre dans un endroit moins froid, où régnait une agréable odeur de fruits. On m’enleva mon bandeau, j’étais dans un fruitier pourvu de planches à claire-voie garnies de pommes, de poires, de grappes de raisin, sans compter des bocaux de conserve. Ce qui au moins me donnait l’assurance de ne pas mourir d’inanition. Une grosse femme entra qui semblait fort mécontente, mais comme elle s’exprimait dans un dialecte inconnu, je ne compris pratiquement rien à son discours.

— Vous, Plan-Crépin, qui parlez je ne sais combien de langues ? s’étonna la marquise.

— Sept !… Mais qui n’incluent pas les patois locaux et c’était le cas. Sans cesser de protester, cette inconnue apporta un matelas avec un oreiller et des couvertures. Puis elle m’emmena faire un tour à des toilettes des plus rustiques, une sorte de cagibi dans les profondeurs obscures de la salle. Rudimentaires, elles aussi, mais équipées d’un petit lavabo en ferraille pourvu d’un robinet d’eau froide que, sur l’instant, je trouvai divine. Ensuite on remplaça la corde qui m’avait liée jusque-là par une chaîne terminée par des menottes que l’on eut la bonté de ne pas me mettre dans le dos. La chaîne fut introduite dans un anneau scellé dans le mur à côté du matelas où on m’installa. En guise de bonsoir, j’eus droit à une soupe chaude et à un quignon de pain. Après quoi on emporta la bougie et je me retrouvai plongée dans le noir, mais j’étais tellement fatiguée que j’ai dormi comme une souche.