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— Vous vous vantez ! Vous n’oseriez pas !

— Vous pariez ?

D’un mouvement rapide, il s’était saisi de ses deux mains qu’il réunit dans l’une des siennes et porta la cuillère à sa bouche. Elle voulut refuser :

— Laissez-moi tranquille ! protesta-t-elle en détournant la tête.

— J’ai dit : on goûte ! Après je vous lâche !

Vaincue – il avait une incroyable force nerveuse dans les doigts –, elle se résigna à lui obéir, avala puis ferma les yeux :

— Hmmmmm !

— C’est bon ?

— Pire ! Je ne sais pas ce qu’Eulalie a mis là-dedans mais c’est proprement divin !

— Et encore le feuilletage n’y est pas ! Alors, faites-moi plaisir, ouvrez le bec et une petite cuillerée pour la route, puis on va se laver les mains comme une grande fille et – avec la permission d’Eulalie – on va rejoindre les autres et on passe à table !

— C’est prêt tout de suite, Monsieur Aldo ! s’empressa le cordon-bleu. Je n’ai plus qu’à ajouter…

— Ne le révélez pas ! Un secret de cuisine c’est comme un secret d’État, ça ne se galvaude pas !

Dix minutes ne s’étaient pas écoulées que, assise sagement autour de la table parée de fleurs, la « famille » se consacrait entièrement à la dégustation du chef-d’œuvre qu’accompagnait – comme le reste du repas – un champagne millésimé.

Durant le temps que se déroula la cérémonie, on eût entendu voler une mouche, mais il n’est si grand plaisir qui ne s’achève et il fallut bien revenir à la réalité. Quand on en fut au café dont Mme de Sommières avait décidé qu’on le prendrait à table pour ne pas rompre l’atmosphère, Marie-Angéline consulta sa montre, toussota, puis :

— Tout cela était vraiment délicieux, mais je vais vous demander la permission de me retirer. J’ai vraiment besoin d’une bonne nuit. Je me lève tôt comme chacun sait !

Adalbert, qui avait reçu l’autorisation d’allumer un cigare, sursauta, se brûla et retint de justesse un juron :

— Sacré nom de… Cela signifie que vous retournerez à la messe de six heures à Saint- Augustin ?…

— Comme d’habitude, voyons ! Je viens de vous dire que je les reprends et c’est l’une de mes plus chères !

— Après ce qui vous est arrivé ? Vous n’êtes pas un peu folle ? Je vous rappelle que l’on vous a pratiquement enlevée de Pontarlier au nez de vos ravisseurs et que maintenant ils savent parfaitement où vous trouver !

— N’exagérons rien ! On ne va pas assassiner un pénitent tous les matins à Saint-Augustin ?

— On le suppose, intervint Aldo, mais vous pourriez peut-être changer d’heure et attendre qu’il fasse plein jour !

— Ils ont raison, Plan-Crépin, appuya la marquise. La messe de neuf heures pourrait vous convenir aussi bien ?

— Mais nous savons que ce n’est pas la même chose ! protesta-t-elle, prête à pleurer. La messe de neuf heures m’obligerait à prendre mon petit déjeuner à dix… et en outre qu’est-ce que je pourrais y faire ?

— Prier, il me semble ? hasarda Adalbert.

— J’entends bien ! Mais je n’y connais personne et…

— … et l’agence de renseignements Plan-Crépin va cesser d’exister. C’est cela que vous pensez ?

— Naturellement ! Et maintenant plus que jamais je voudrais savoir, d’abord, ce qui s’est dit pendant mon absence ainsi que ce qui se passe avenue Vélasquez chez l’un peu trop aimable comtesse de Granlieu ! Évidemment que je vais à la messe pour prier et communier, mais vous pourriez me faire la grâce, Messieurs, de reconnaître qu’elle vous a déjà rendu certains menus services, l’agence Plan-Crépin ?

— Le nier serait de l’ingratitude ! admit Adalbert, toutefois, pendant un temps raisonnable du moins, vous pourriez déléguer vos pouvoirs à la cuisinière de la princesse Damiani ?

— Ça c’est une idée, approuva Aldo. Cette brave Eugénie Guenon m’a l’air de se débrouiller très honorablement depuis son observatoire de l’avenue de Messine. On ne vous intime pas de déposer votre sceptre mais de le laisser de côté un moment !

— Ne me demandez pas cela Aldo ! Il faut que j’y aille… et en personne !

— Si tous les services secrets disparaissaient quand ils perdent leur patron, il n’y aurait plus d’espions à la surface du sol, soupira Aldo. Bon ! Tant que je serai ici, je vous accompagnerai…

On put croire qu’elle allait exploser :

— Ça ne va pas, non ? Vous voulez venir avec moi à la messe des domestiques ? Mais regardez-vous, bon sang ! Personne n’osera s’approcher de moi à moins de dix mètres !

— Tu peux le prendre pour un compliment Aldo, fit Tante Amélie. Et elle n’a pas vraiment tort ! C’est valable aussi pour vous, Adalbert. En outre, il te faudrait songer à rentrer chez toi ?

— Ce n’est pas urgent ! Lisa est à Zürich avec les enfants, la maison fonctionne comme une horloge et, de plus, je ne perds pas mon temps puisqu’il y a en jeu des bijoux rarissimes qui, pris de je ne sais quelle folie passagère, ont tendance à se multiplier. C’est mon métier ! Et tant pis si je vous encombre, Tante Amélie, mais je reste ! Et on en revient au même point : la messe de six heures et Marie-Angéline…

— Pas d’illusion, fit l’intéressée. On ne me fera pas démordre de ma messe de six heures. J’ai trop souffert pendant mon absence d’en être privée !

— Voilà qui vous apprendra à vous précipiter derrière n’importe qui, commenta Adalbert. En tout cas, et à y réfléchir, c’est l’affaire de quelques jours ! Nous sommes le 15 mars et le jour s’est levé à six heures cinq ! Cela signifie qu’il fait encore presque nuit, mais le 22…

— Si je pars à six heures, le temps d’arriver je manque la majeure partie de l’office ! Je ne pourrais pas sortir au jour avant le 1er avril.

— Bon. Allez dormir et faites comme d’habitude… à condition de ne pas vous approcher du confessionnal à moins de dix mètres ! recommanda Adalbert.

— Quelles sont vos intentions ?

— Avec tout le respect que je vous dois, mon petit, c’est mon affaire. Dites bonsoir, allez vous coucher et faites de beaux rêves ! Puis vous irez retrouver votre service de renseignements d’un cœur serein !

Lorsqu’elle eut quitté la pièce, il alla s’assurer qu’elle n’écoutait pas derrière la porte puis revint.

— Alors ? demanda Aldo.

— C’est élémentairement simple, je vais faire venir Romuald1 .

— Avec sa moto ? Brillante idée !

— Mais non ! Fais-lui confiance  ! Il saura très bien comment passer inaperçu et avec une voiture. En outre il sera armé. Comme il faut un minimum de temps pour organiser notre équipée, demain matin, c’est moi qui prendrai la garde et je te garantis qu’elle ne me reconnaîtra pas.

On s’en tint là, estimant qu’on avait suffisamment discuté pour la journée… Adalbert rentra chez lui et Aldo monta se coucher sans grand espoir de trouver le sommeil. Il examina un instant l’idée de monter faire la lecture à Tante Amélie pour remplacer Plan-Crépin mais ne la retint pas… au cas où celle-ci aurait éprouvé le besoin de la rejoindre. Si l’entêtée devait se confier à quelqu’un, ce ne pourrait être à personne qu’à elle !

Une partie de la nuit se passa en activités variées. Il tourna en rond en grillant deux ou trois cigarettes, puis ouvrit une fenêtre pour renouveler l’air qui, depuis le début de la matinée, tournait à la douceur, respira profondément les senteurs mouillées du parc Monceau qui annonçaient le printemps. Le tout sans réussir à calmer ses nerfs. Il eut alors envie de prendre un bain, mais se souvint que les tuyauteries des robinets faisaient un boucan terrible et que le plombier n’était attendu que le lendemain. Il se replia sur la douche, mais si elle était plus discrète c’était encore trop bruyant pour le milieu de la nuit et il dut se contenter de s’asperger de sa chère lavande anglaise. Enfin, s’en référant aux recettes de Lisa – qu’il appellerait au téléphone dans quelques heures ! –, il enfila sa robe de chambre, ouvrit sa porte en prenant soin de ne pas la faire crier et descendit dans l’intention d’explorer la cuisine afin de chauffer du lait ou de croquer une pomme sans la peler – important ! –, panacées universelles destinées à vaincre l’insomnie… à moins que ses recherches ne se terminent par quelque chose de plus roboratif, thérapeutique à laquelle, en pareil cas, Adalbert n’hésitait pas à recourir.