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— Reste à savoir laquelle ! soupira Morosini, vaincu.

— On arrivera bien à la trouver, fit Adalbert, optimiste. Ce ne sera pas la première ! Et à présent si on allait se coucher ? Il est tard !

— Et surtout on a trop bu ! Quand pensez-vous vous rendre à Bruxelles, Moritz ?

— Mais… dès demain. Il faut battre le fer quand il est chaud !

Au moment où ils se disposaient à partir, Aldo engloba d’un geste circulaire le salon et la table si somptueusement servie :

— Pourquoi tout ce faste ? En dépit de vos somptueuses résidences, je vous ai connu des goûts plus modestes ? Sans oublier l’avion…

— Peut-être, avec l’âge, me suis-je pris de l’envie de vivre intensément. D’où mon regain de passion pour ma collection…

Il prit le temps d’allumer un nouveau cigare :

— Peut-être ai-je envie de voir grandir mes petits-enfants ? Peut-être enfin parce que j’ai reçu des menaces de mort !

— Encore ? Après ce que vous avez subi ?

— Justement à cause de cela ! Les projecteurs de l’actualité se sont braqués sur moi et ont, naturellement, éveillé des convoitises. Alors je me préserve ! Or, on n’est jamais mieux caché qu’en pleine lumière et, par exemple, mon pilote vient de la Police.

— Vous n’avez pas tort, approuva Adalbert. Et… vous avez une idée de la provenance de ces menaces ?

— Aucune ! Elles peuvent émaner de n’importe qui ! Et à ce propos, Aldo, n’ayez aucune crainte pour Lisa et les enfants. Eux aussi sont surveillés. Sans en avoir d’ailleurs le moindre soupçon. Je ne veux pas leur pourrir la vie… et à vous non plus ! Dormez tranquille ! En revenant de Bruxelles, je passerai rue Alfred-de-Vigny pour vous dire où nous en sommes !

Ils roulèrent d’abord en silence le long des rues du Paris nocturne mais pas encore endormi. C’était la sortie des théâtres qui se vidaient, relayés par les boîtes de nuit et leurs soupers au champagne. Il avait plu dans la soirée et l’asphalte, débarrassé aux trois quarts de la circulation, luisait sous les feux des réverbères… Dans la voiture, chacun d’eux resta dans ses pensées jusqu’à ce qu’Adalbert émette un soupir puis :

— Qu’est-ce que tu penses de tout ça ? Tu crois qu’on aurait mieux fait de l’accompagner demain ?

— Sincèrement, je n’en sais rien ! Que nous n’en ayons envie ni l’un ni l’autre, nous ne le nierons pas, mais on saura à quoi s’en tenir quand Kledermann rentrera. Ce qui m’inquiète d’avantage, ce sont les menaces qu’il a reçues. Qu’il ait les moyens d’y faire face, c’est possible mais pas certain… sauf en Suisse. Je crois qu’ici il devrait au moins en avertir Langlois ?

— J’y songeais, figure-toi ! Tout se tient certainement dans cette affaire qui a l’air de partir tous azimuts. À propos, si Dame Timmermans campe sur ses positions, qu’est-ce qu’on fait ?

— Tu as vraiment besoin de poser la question ? On y va et advienne que pourra !

— Que peut-elle vouloir, à ton avis ?

— Rien de plus que prendre sur moi une revanche verbale : je ne lui ai causé d’autre tort que de la laisser tomber. Quant à la douce Agathe, c’est plutôt toi qui pourrais lui demander des comptes… Oh, et puis baste ! On verra bien !

Ainsi qu’ils s’y attendaient en rentrant à la maison, personne n’avait encore regagné son lit. Mme de Sommières et Marie-Angéline semblaient même singulièrement réveillées :

— Alors ? attaqua la première. Il vient demain ?

— Non. Demain, il va à Bruxelles, se hâta de répondre Aldo dont l’invitation était complètement sortie de l’esprit. Mais à son retour, sans faute… il a même précisé qu’il viendrait « avec bonheur » ! N’importe comment, il passera ici en rentrant parce qu’il aura sûrement du nouveau à nous apprendre.

— Bon ! fit Plan-Crépin en rangeant les cartes avec lesquelles elle avait fait des réussites toute la soirée. Il n’y a plus qu’à aller au lit… si toutefois nous en sommes d’accord ? ajouta-t-elle pour la marquise.

— Un instant encore ! pria Aldo, hypocrite à souhait. Angelina, si vous n’êtes pas trop fatiguée, j’aimerais beaucoup que vous nous prêtiez ce petit portrait à la plume que vous m’avez montré l’autre soir !

Immédiatement sur la défensive, elle lui jeta un regard noir :

— Pourquoi ?

— Il se pourrait que je puisse vous renseigner sur la personne à laquelle il ressemble.

— C’est que… je ne me souviens pas où je l’ai mis !

— Quel portrait ? s’intéressa Tante Amélie, soupçonneuse.

— Oh, il n’a guère d’importance ! Nous savons comme je suis : je dessine tout et l’importe quoi dès l’instant où un visage, un objet attire mon attention et…

— Si vous l’avez égaré, vous pouvez certainement le reproduire ! Vous possédez une telle mémoire !

Il n’y avait pas moyen d’en sortir. Plan-Crépin le comprit en regardant tour à tour ces trois regards braqués sur elle. Elle se dirigea lentement vers l’escalier mais Aldo la rejoignit :

— Essayez de ne pas lambiner ! chuchota-t-il. Cela au cas où vous auriez dans l’idée d’en dessiner un… différent ?

— Je n’essaierai même pas avec vous et votre mémoire d’éléphant ! Au fond, si vous pouvez m’apprendre qui il est ?…

— Vous ne le savez vraiment pas ?

À sa question insidieuse elle répondit, plantant son regard droit dans ses yeux :

— Non. Sur mon honneur ! Il me rappelle quelqu’un mais je n’ai toujours pas réussi à trouver qui…

Un moment plus tard elle revenait avec le petit portrait qu’elle avait mis sous verre :

— Tenez ! fit-elle.

Il scruta un instant les traits de l’inconnu, sourit, puis tirant son portefeuille, il y prit une carte postale :

— Ce matin, je me suis rendu à la Bibliothèque nationale dès l’ouverture. Je voulais consulter certains ouvrages dont Les Mémoires d’Olivier de La Marche qui a suivi son maître jusqu’au bout. J’ai d’ailleurs obtenu que l’on m’en fasse une copie.

— Cela va vous coûter une fortune ! remarqua Plan-Crépin.

— Le prix n’a pas d’importance dès l’instant où l’ouvrage offre un intérêt suffisant pour le justifier. On devra attendre plusieurs jours, donc j’ai rapporté une photo de l’un des portraits qui s’y trouvent et…

— Et ? fit l’étrange fille en considérant attentivement le document qu’Aldo agitait doucement à la façon d’un éventail.

— Voyez vous-même !

Il le lui offrit tandis qu’Adalbert se précipitait pour regarder derrière son épaule.

Une lente mais profonde rougeur envahit le visage de Marie-Angéline qu’Aldo ne quittait pas des yeux, pourtant elle ne broncha pas.

— Qui est-ce ? demanda-t-elle seulement, ce qui eut le don de mettre Aldo hors de lui.

— Ne me dites pas que vous ne le reconnaissez pas ?

— Le devrais-je ?

— Admettre au moins l’extrême ressemblance avec votre dessin ?

— Certes, mais…

— Vous ne me ferez pas avaler que vous ne connaissez pas ce portrait, vous dont les connaissances encyclopédiques en remontreraient à tout le Collège de France…

— Moi qui ne les ai pas, émit Mme de Sommières qui avait pris le mince carton et dardait dessus son face-à-main d’or serti de minuscules émeraudes, mais qui ai beaucoup fréquenté les musées au cours de ma vie, je peux vous assurer que l’original est exposé à celui de Berlin, que c’est l’œuvre du grand peintre flamand Rogier van der Weyden – en français, Roger de la Pasture ! – à qui les Dames des Hospices de Beaune doivent le sublime Retable de l’Agneau mystique, leur plus précieux trésor, que ce portrait serait celui du Téméraire en personne ! La Toison d’or qu’il porte au cou l’atteste… Certains disent que c’est le Grand Bâtard Antoine mais il ressemble beaucoup à un autre portrait du Téméraire jeune par le même artiste.