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— Pas vraiment, mais j’avoue qu’en ce moment il m’agace ! D’abord il a changé et tu le sais…

— Ça peut s’expliquer : après avoir frôlé la mort de si près et à la suite de semaines plus que pénibles, qu’il éprouve le besoin de vivre intensément n’a rien d’extraordinaire…

— Je ne te contredirais pas s’il n’avait entrepris de régenter ma vie et celle des miens ! Il est saisi, à nouveau, par sa passion collectionneuse tel M. Le Trouadec par la débauche1 .

— Au lieu de chercher des circonlocutions savantes, tu ferais mieux de dire que, selon toi, il a pété un plomb. Or j’ai surtout l’impression que c’est toi, mon bon, qui a joué à l’apprenti sorcier en galopant le rejoindre à Zürich après ta visite à Grandson. Réfléchis deux minutes : il vivait tranquille…

— Tranquille en s’offrant un avion, une bagatelle !

— Caprice de milliardaire qui en a peut-être assez de rester assis sur son derrière devant son solennel bureau zurichois ! Quoi qu’il en soit, je reprends mon propos : l’un des éléments principaux de ses joyaux était les « Trois Frères » et voilà que tu lui tombes dessus sans préavis en semant dans son esprit un doute – insupportable pour un collectionneur et tu ne devrais pas t’en étonner – sur l’authenticité de ses pierres…

— Qu’aurais-tu fait à ma place ? Il fallait impérativement que je compare le rubis que je venais de recevoir.

— … or il est aussi authentique que les autres ! Une belle énigme pour l’expert que tu es, non ? Alors ne viens pas te plaindre que la mariée est trop belle et allons plutôt « casser la croûte » ! J’ai l’estomac dans les talons !

La croûte en question se présenta sous les auspices de Langoustines au basilic, de Bar poêlé à la crème de caviar et de Tournedos à la moelle arrosés d’un Meursault impeccable pour remonter le moral. En revanche on bouda les desserts en pensant à ce qui les attendait sûrement chez leur hôtesse et on les remplaça pas deux ou trois cafés accompagnés d’un bas armagnac sublime. Après quoi, ils montèrent se changer. Ils avaient en effet décidé de passer la nuit à l’hôtel pour faire, entre eux, le point de la situation telle qu’elle se présenterait…

— Je ne sais pas pourquoi, mais je n’augure rien de bon de cette… réunion ! fit Aldo dans le taxi qui les emmenait.

— Très mauvais cet état d’esprit ! On ne doit jamais partir vaincus d’avance. D’autant que ça peut être assez amusant.

Le « palais » de la reine du chocolat s’élevait majestueusement à Uccle, la banlieue chic de Bruxelles. C’était, bâti au milieu d’un magnifique jardin admirablement entretenu et pourvu d’une vaste serre, une sorte de château. L’architecture mariait la Renaissance au Modern Style avec une audace qui faisait honneur au maître d’œuvre : il avait réalisé un décor harmonieux. Le tout animé par une domesticité en livrée vert foncé qui n’aurait pas déparé une résidence royale.

— Dire que tu aurais pu régner là-dessus ! commenta Aldo, sa bonne humeur revenue comme par enchantement. C’est à peine moins vaste que Laeken2 et tu aurais pu y loger le Département des antiquités égyptiennes au complet sans la moindre difficulté.

Pour seule réponse, Adalbert se borna à hausser les épaules. Après avoir gravi, derrière le maître d’hôtel, l’imposant degré menant aux terrasses, on les conduisit dans un salon bleu, où tout, absolument tout était meublé en Louis XVI parfaitement d’origine. Comme il faisait un peu frais pour la saison, un beau feu brûlait dans la cheminée de marbre afin de renforcer l’action du chauffage central et, naturellement, ici et là étaient placés une abondance d’iris bleus dans de hauts vases de Chine, créant ainsi une ambiance des plus agréables.

Quatre personnes occupaient ce salon quand on annonça les deux hommes : Louise Timmermans et sa fille Agathe, exactement semblables au souvenir qu’en gardaient les arrivants, Moritz Kledermann et un autre homme qui, selon Aldo, devait être le futur mari de la sémillante Agathe sur le point de divorcer du baron viennois Waldhaus à leur dernière rencontre. Mais déjà la maîtresse de maison les accueillait, prenant même la peine de se lever pour venir jusqu’à eux, un sourire aux lèvres :

— Quel plaisir de vous recevoir ici, Messieurs ! Quand nous nous sommes quittés à Biarritz – un peu vite, il faut bien l’admettre ! – j’ai longtemps espéré votre visite ! La vôtre surtout, Adalbert ! La distance depuis Paris n’est pas si longue !

— Celle depuis Venise l’est davantage, répondit Aldo en s’inclinant sur une main où brillait seul un magnifique saphir birman entouré de diamants du même bleu que la robe de crêpe romain simple mais admirablement coupée.

Deux autres aux oreilles soulignant la masse argentée des cheveux. Rien aux poignets à l’exception d’une montre discrète d’émail bleu sertie des mêmes pierres.

— Et mon beau-père a dû vous dire que je ne dispose de guère de loisirs pour la vie mondaine. Bonjour, Moritz, ajouta-t-il, et il n’eut qu’à peine le temps d’hésiter devant le deuxième homme qui s’était levé et que Mme Timmermans se hâtait de présenter :

— Le baron Karl-August von Hagenthal…

— Mon fiancé ! lança Agathe, comme s’il s’agissait d’une déclaration de guerre.

Ce qui obligea Aldo à se tourner vers elle après avoir plus ou moins serré la main qu’on lui tendait, remettant à plus tard la surprise qu’il éprouvait.

— Plus de baron Waldhaus ? Vous avez réussi à vous en délivrer ?

— Pas sans mal, mais j’y suis parvenue. Quant à vous, vous avez disparu sans même un adieu…

— Pensiez-vous vraiment que je vous en devais un ? Et aujourd’hui je ne peux qu’être heureux de vous retrouver tellement semblable au souvenir que je gardais de vous…

— Ne pourrions-nous partager ensemble ce souvenir ? proposa le fiancé s’adressant à la jeune femme, ce qui permit à Aldo de l’examiner.

C’était un homme d’une cinquantaine d’années, peut-être un peu plus à cause de ses cheveux gris presque blancs rejetés en arrière. Grand et bien bâti, il avait un visage glabre aux traits irréguliers mais non dépourvus de séduction, surtout lorsqu’il regardait sa future épouse et lui souriait.

Aldo haussa les épaules avec un sourire :

— Ma foi, je laisse à votre fiancée le plaisir de vous le raconter. Elle m’a joué à Biarritz un assez mauvais tour, mais comme sa mère m’en a tiré, disons qu’il y a match nul !

Pendant ce temps, Adalbert s’efforçait de mettre la situation au point avec son hôtesse :

— Vous avez été victime d’un malaise, ma chère ! Le directeur du Casino des Fleurs et le médecin pourraient en témoigner et, en vous ramenant avec l’aide d’une demoiselle de l’Armée du Salut venue quêter au restaurant, nous avons fait part de l’incident à Ramon, votre maître d’hôtel. Le médecin avait conseillé de vous laisser dormir tant que vous le voudriez…

— Vous auriez pu venir prendre de mes nouvelles le lendemain ? Vous ne deviez pas être très inquiet ?

— Pas du tout même, puisque l’on m’avait rassuré. Je pensais que ma lettre accompagnant mes fleurs aurait suffi à vous l’expliquer ?

— Sans doute, sans doute… mais pas le silence qui a suivi ?

— Le silence ? Mais j’espérais un mot de vous ? Ne voyant rien venir, je suis parti pour l’Égypte…

— J’y suis allée !

— Où ?

— À Assouan dont vous m’aviez parlé et je ne vous ai pas trouvé. Comme en outre je n’ai pu obtenir un appartement à l’Old Cataract…

— Retenir plusieurs mois d’avance ! Je vous l’avais dit. De toute façon, je n’y étais pas mais à l’autre bout du pays, à Alexandrie où j’ai complété ma documentation pour le livre que j’écris…