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Ce fut d’abord le silence… L’un de ces silences d’une qualité si particulière qui accompagne les grandes catastrophes dont la suite se traduit souvent par une sorte de « Sauve qui peut ! ». L’ex-baronne Waldhaus en donna le signal, se précipitant dans les bras d’Aldo en gémissant :

— Pourquoi faut-il que nos revoirs soient ainsi marqués d’un drame alors que chacun d’eux ne devrait être qu’ordre et beauté…

Sentant le vent du boulet et peu désireux de renouveler la tragi-comédie de Biarritz, il transféra la désolée dans les bras de son nouveau fiancé :

— … luxe calme et volupté ! Seulement chère amie, vous vous trompez d’adresse… C’est Monsieur qui va avoir l’honneur et la joie de vous épouser. Moi, je suis marié et père de famille !

Mise au point qui n’éteignit pas la mauvaise humeur du personnage :

— Vous êtes sûr ? grinça-t-elle.

Aldo lui rit au nez :

— Oh, absolument ! Vous voulez voir leurs photographies ?

Et il lui tourna le dos pour constater qu’ils étaient seuls dans le salon, Kledermann et Adalbert s’étant précipités à la suite de Mme Timmermans partie en courant constater les faits mais qui revenait :

— Je viens d’appeler la Police, dit-elle. On ne doit toucher à rien dans ma chambre jusqu’à ce qu’elle arrive ! Il est à craindre, Messieurs, que vous ne soyez obligés de l’attendre !

Il fallut bien en passer par là mais l’atmosphère n’était plus la même. Agathe pleurait toujours dans le fauteuil où l’avait déposée son fiancé qui d’ailleurs ne s’occupait plus d’elle et rejoignait les autres, lesquels s’entretenaient à voix feutrée avec leur hôtesse… Se penchant vers Adalbert, Aldo chuchota :

— Tu as déjà eu affaire à la Police belge ?

— Pas que je sache… non ! Sauf, sur la route. Et toi ?

— Moi non plus… mais tu sais comment cela se passe généralement entre ces gens-là et moi ? À quatre-vingt-dix pour cent ils me prennent en grippe au premier regard !

— Oh ! N’exagère pas ! Tu fais une fixation.

C’était malheureusement vrai. À l’exception de Langlois et du Super-Intendant Gordon Warren, de Scotland Yard, tous les policiers qu’Aldo avait rencontrés le traitaient d’emblée en gibier de potence. Cela avait été le cas au début pour le Français et l’Anglais. Un seul avait échappé : Phil Anderson, patron de la Police Métropolitaine de New York. Encore était-ce grâce à un mot d’introduction de Warren. Mais en Espagne, en Turquie, en Égypte, à New Port (USA) et même et surtout à Versailles où il avait eu de sérieux démêlés avec l’affreux Lemercier, tous s’obstinaient à voir en lui un dangereux repris de justice, ce dernier voulant l’envoyer en Cour d’assises pour s’être introduit nuitamment dans une maison vide ! Sans Langlois, il l’eût peut-être expédié à la guillotine ! Mais enfin les sujets du roi Albert Ier étant généralement des gens posés, réfléchis et d’abord agréable, il n’y avait aucune raison…

Il n’y en avait pas, en effet, mais dès l’entrée du Commissaire Zuiter, Flamand à l’œil méfiant, il comprit que sa malédiction tenait bon. L’œil gris comme les cheveux, rares, que leur propriétaire devait passer chaque matin un temps fou à aligner les uns à côté des autres pour faire illusion, Zuiter scruta son passeport avec le soin d’un entomologiste tombant sur une rareté :

— Mo-ro-si-ni ! épela-t-il avec une sorte de dégoût. Prince ?… Mais de quoi ?

— De Venise ! Son titre remonte presque à la fondation de la ville !

— Ah ? Mais ça doit correspondre à une terre, ici nous avons des princes, mais ils sont seigneurs de Ligne, de Mérode, de…

Louise Timmermans vola à son secours :

— C’est l’un de mes amis, Commissaire Zuiter… et un expert mondialement reconnu en joyaux historiques…

— Et c’est un joyau historique dont on vient de vous dépouiller ? Comme c’est étrange ! Je sens que nous allons avoir une longue et fructueuse conversation Son Altesse et…

— Pas d’Altesse ! rectifia Aldo. Seulement Excellence !

S’il pensait l’amadouer, c’était raté.

— Excellence ? Tiens donc ! Il faudra que je me renseigne. En attendant, vous allez me suivre…

Ce fut au tour de Kledermann d’entrer en lice :

— Si tous les agents de la Sécurité de Sa Majesté sont comme vous, je me demande comment le roi choisit sa Police ? Moi, je suis Moritz Kledermann, banquier à Zürich, Morosini est mon gendre ! Quant à celui-ci : M. Vidal-Pellicorne, c’est un archéologue français notoirement connu, membre de l’Institut, etc. Et nous sommes venus à en ce pays à la requête de Mme Timmermans aux fins d’expertise et d’achat de ce fameux rubis et…

— … si vous voulez en savoir davantage, enchaîna Adalbert, appelez donc le patron de la PJ, le Commissaire Principal Langlois ! Il nous connaît depuis des années… Il vous renseignera !

Tandis que cette scène quasi burlesque se déroulait à Bruxelles, à Paris ledit Langlois arrivait chez Mme de Sommières afin de s’entretenir un moment avec Mlle du Plan-Crépin « seule » et s’en excusa aussitôt :

— Non que j’aie l’intention de la soumettre à la torture, mais vous représentez, Madame, un soutien derrière lequel il est sans doute très réconfortant de s’abriter. Cela étant, je vous promets de vous la rendre en bon état !

— C’est trop naturel ! Eh bien, cher ami, vous connaissez le chemin de la petite bibliothèque qui semble promue définitivement au rang de confessionnal  ? Je vous envoie Plan-Crépin mais avec quoi ? Champagne, chocolat ou encore…

— Une tasse de votre excellent café sera parfaite !

En agitant sa clochette pour appeler Cyprien, la marquise retint un soupir de soulagement car elle connaissait les usages de la Police. Si Langlois avait été en service, il n’aurait rien accepté.

Elle fit donc prévenir Plan-Crépin qui était remontée dans sa chambre en précisant que le Commissaire Principal l’attendait dans la bibliothèque, détail qui annonçait clairement la couleur. Il voulait l’interroger et Marie-Angéline prit plusieurs inspirations profondes avant de descendre.

Lorsqu’elle entra, il achevait sa tasse de café en se levant, ce qui la fit sourire :

— Prenez votre temps, Commissaire ! Le mien vous appartient autant que vous en aurez besoin !

— Voilà qui fait plaisir à entendre ? J’ai seulement quelques questions à vous poser.

— Posez ! accepta-t-elle avec désinvolture en s’installant dans l’un des fauteuils.

Il se rassit et son sourire s’effaça :

— Croyez qu’il m’en coûte de revenir sur votre séjour à Pontarlier… ou dans les environs, ce qui vous est sans doute pénible, mais j’ai besoin de rassembler jusqu’au plus infime détail les derniers moments de l’inspecteur Sauvageol…

À la crispation soudaine de son visage, Marie-Angéline comprit qu’il souffrait de cette fin tragique plus que de n’importe laquelle, un peu comme si le jeune policier avait été son fils et qu’il s’acharnerait à découvrir la vérité.

Elle prit une mine de circonstance :

— Si je peux vous aider ?

— Je l’espère… et à vrai dire je n’espère même qu’en vous, car ses dernières paroles vous concernaient. Il a demandé que l’on cherche Morosini dont il savait la présence là-bas, et quand celui-ci est parvenu jusqu’à lui, ce fut pour recueillir son dernier message : il a dit que vous étiez vivante et qu’il vous avait vue.

— Rien d’autre ?

— Rien d’autre ! Les infirmiers m’ont raconté qu’il semblait avoir retenu son dernier souffle jusqu’à ce que votre cousin puisse l’entendre. Ensuite ce fut fini… Or, vous même avez admis l’avoir vu tomber. Où était-ce exactement ?