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— N’étant jamais allée en Franche-Comté, je ne connais pas le pays… Lorsque je me suis hissée sur le toit de l’espèce de grange où l’on me retenait, c’était au crépuscule, mais j’ai pu me rendre compte que nous étions sur une crête en région montagneuse. C’est alors que, de l’autre côté du chemin, j’ai aperçu l’inspecteur. Il tenait à la main un pistolet qui venait de servir. Il a dû me voir à ce moment-là : il a fait un signe dans ma direction… et je regrette de vous dire que c’est peut-être cela qui l’a perdu… Quelqu’un a tiré je ne sais d’où et il s’est rejeté en arrière, au même moment j’ai fait un faux mouvement, perdu l’équilibre, reçu un coup sur la tête et glissé sur la pente du toit..

— Vous avez dû heurter la tabatière par où vous sortiez. En tout cas quelqu’un a arrêté votre chute sinon vous ne seriez plus là… ou tout au moins sans fractures… Ensuite vous ne vous souvenez vraiment de rien ?

Elle répondit d’un vague haussement d’épaules, mais, pour un policier aussi affûté que Langlois, c’était vraiment difficile à croire. Il reprit :

— Voyons, entre votre glissade et votre apparition chez les Dames de l’Annonciade, vous n’avez aucun souvenir ?

Évitant de regarder le visage tendu vers elle mais comprenant que son histoire de « trous » la plongeant dans l’inconscience pour en ressortir au bout d’un temps X était difficile à avaler, elle baissa un peu sa garde :

— De rien de précis. Ma tête me faisait mal et je n’arrivais pas à distinguer les formes sombres qui apparaissaient, quand j’essayais d’ouvrir les yeux. Combien de temps s’est écoulé entre la mort de l’inspecteur et ma récupération par les garçons ?

— Les garçons ?

— Aldo et Adalbert. Notre marquise les appelle parfois ainsi. Alors combien de temps ?

— D’après le médecin légiste et les montres des « garçons », plus de vingt-quatre heures. C’est une longue perte de conscience pour quelqu’un qui n’était pas dans le coma. Comment êtes-vous redevenue lucide ?

— Quand on m’a apportée au couvent. Les chants religieux…

— Vous vous être crue arrivée au Paradis ? ironisa-t-il avec un étroit sourire qui n’atteignait pas ses yeux et elle sentit qu’il ne la croyait pas, mais elle poursuivit sur le même ton :

— Je pense que j’ai eu l’impression d’avoir reculé de plusieurs siècles et de me retrouver au Moyen Âge… Ces robes, ces voiles blancs ou noir… C’était tellement étrange !…

— Mais quand Morosini et Vidal-Pellicorne sont venus pour vous emmener, vous ne les avez pas reconnus ?

Elle détourna les yeux, gênée :

— Si… mais j’ai fait comme s’il n’en était rien. Vous comprenez ? J’avais vraiment besoin de réfléchir, de faire le point. En plus j’éprouvais une intense fatigue et j’ai préféré… d’abord dormir puisque j’étais à l’abri !

— Et vous avez « dormi » jusqu’à quand ?

— Jusqu’ici. J’aurais voulu poursuivre encore puisque dans le sommeil on oublie ses tracas. Mais les garçons sont repartis et notre marquise m’a conduite elle-même à ma chambre… qui en réalité n’était pas la mienne. Elle ne croyait pas davantage à mon amnésie et m’a tendu un ou deux pièges. J’y suis tombée tout droit ! Ce n’est jamais bon de se croire trop forte ! Elle l’est plus que moi !

— Bien. Laissons cela pour le moment ! Je voudrais revenir à votre enlèvement. Avez-vous réussi à voir les visages de vos ravisseurs ?

— Non. J’ai encaissé un premier coup quand la voiture m’a pour ainsi dire happée. Ensuite j’ai eu un bandeau sur les yeux. Je suis parvenue à le déplacer un peu, mais ça n’a pas servi à grand-chose : on m’a vite remis le bandeau, renforcé de lunettes noires.

— Autrement dit : le seul visage que vous ayez pu entrevoir est celui de la femme qui s’est occupée de vous jusqu’à ce que vous vous envoliez par la tabatière ?

— En effet…

— Décrivez-la-moi !… Ou, tiens, donnez-moi un nouvel exemple de votre talent en la dessinant. Vous avez dû l’observer suffisamment pour que cet exercice ne vous pose pas de problème ?

— C’est que…

— … et pendant que vous y serez, donnez-moi un aperçu – même vague – de cette espèce de grange qui servait aussi de fruitier ! Si cette bâtisse se situe en face de l’endroit où Sauvageol a été abattu, nous aurons avancé d’un pas de géant et vous aurez droit à ma gratitude.

Elle ferma les yeux comme si elle cherchait à se concentrer. En fait pour qu’il ne puisse lire son inquiétude. Naturellement, elle pouvait réaliser cette esquisse, mais ne serait-ce pas le meilleur moyen de conduire les hommes de Langlois – pourquoi pas Langlois soi-même ? – sur une piste qu’elle ne souhaitait pas leur voir prendre ? Évidemment, il était possible de modifier les traits, mais son honnêteté foncière s’opposait à ce moyen trop facile et qui, d’ailleurs, pouvait se retourner contre elle et briser à jamais la confiance et l’amitié d’un homme dont elle était loin de sous-estimer la valeur.

Tandis qu’elle réfléchissait, elle voyait son regard se durcir comme s’il lisait en elle. Attention ! Danger !… Aussi se hâta-t-elle de lui sourire :

— Oui, je vais pouvoir le faire…

— Ressemblant ?

L’animal avait suivi pas à pas le cheminement de sa pensée ! Elle s’accorda alors la détente d’un bref éclat de rire :

— Si vous me croyez capable de vous diriger sur une fausse piste, rassurez-vous ! Je ne vous ferais jamais ça ! Quant à cette femme, je n’ai aucune raison de la protéger : le peu que j’aie pu goûter de sa cuisine est infect ! Allez donc rejoindre notre marquise ! Celle-là vous adore !

Enfin, sur ce visage fatigué, l’ombre d’un sourire :

— Pas vous ?

— C’est selon ! Je n’en ai pas pour longtemps…

Lorsqu’elle revint une vingtaine de minutes plus tard, il avait en effet rejoint Mme de Sommières qui l’avait nanti d’une seconde tasse de café, quand elle l’avait vu se frotter les yeux comme quelqu’un qui n’a pas dormi !

— Tenez ! dit-elle. Ce doit être approximativement cela ! Elle portait une robe grise, un tablier bleu et un grand châle noir…

Les dessins étaient extraordinairement vivants. Comme elle l’avait fait l’année précédente pour Pauline Belmont, elle avait représenté le visage et la silhouette du personnage. Elle demanda :

— Vous avez l’intention de repartir à Pontarlier ?

— Dans l’immédiat, je fais reproduire votre œuvre et je l’envoie à l’inspecteur Durtal que va rejoindre Lecoq, un garçon assez efficace que l’Armée a consenti à me rendre, mais dès qu’il y aura du nouveau…

— … et si vous essayiez de vous détendre, de dormir, pour commencer ? coupa la marquise en posant sur son bras une main maternelle. Cette nuit par exemple ? Elle est à peine entamée et vous ne tiendrez pas longtemps dans cet état !

— Peut-être !… Où sont les « Frères de la Côte » ?

— À Bruxelles avec Kledermann qui veut à tout prix acheter le rubis que possède Mme Timmermans…

La sonnerie du téléphone l’interrompit et l’agaça :

— Dieu que je déteste cet instrument ! Répondez, Plan-Crépin !

Celle-ci s’exécuta : « Oui, c’est moi ! » Puis écouta un moment et enfin tendit le combiné à Langlois :

— Tenez ! C’est Aldo ! Le rubis de Mme Timmermans vient d’être volé chez elle. Autant dire au nez et à la barbe de ses invités… Et, comme de juste, la tête – et le titre ! – de notre Excellence incommodent la Police locale… Elle est capable de le mettre sous les verrous avec ce pauvre Adalbert !