Cela dit, elle se laissa tomber sur un canapé, secouée d’un fou rire à la limite du convulsif auquel la marquise mit un terme d’un sec :
— Il suffit, Plan-Crépin ! Je n’aime pas du tout cette histoire, et qu’Aldo soit une fois de plus la cible d’un policier grincheux n’a rien d’amusant !
Il suffisait, en effet, d’observer le visage soucieux de Langlois pour s’en convaincre. Après avoir écouté un instant en silence, il déclara :
— Il y a un moyen bien simple de l’en persuader. Dans une demi-heure je serai à mon bureau de la PJ dont vous avez sûrement les coordonnées. Dites-lui qu’il me demande… (Puis, Aldo ayant prêté le récepteur au Belge :) C’est entendu. Je vous certifie que ce sont des gens honnêtes à ne pas confondre avec des truands ! Sinon, je n’hésiterai pas à en appeler à Sa Majesté le roi Albert !
Il raccrocha presque aussitôt, regarda les deux femmes et réussit à leur sourire :
— Ne vous tourmentez pas trop ! Je connais ce genre de fonctionnaires : ils aboient plus qu’ils ne mordent ! Évidemment nos joyeux lurons ne rentreront pas cette nuit, ni peut-être demain, mais ils seront hors de danger !
— Vis-à-vis de la Police peut-être, dit Mme de Sommières, mais si par hasard ils arrivaient à mettre la main sur le voleur…
— Ou la voleuse ? fit Plan-Crépin. Cette manie d’accuser toujours un homme lorsqu’il y a délit ? Nous nous débrouillions parfaitement avec…
— Mais je n’en doute pas un seul instant, ma chère amie, concéda Langlois mi-sérieux mi-amusé. Souffrez à présent que je me retire ! Il faut que je rentre au Quai sans traîner ! ajouta-t-il avec un mouvement du menton en direction du téléphone. Je vous souhaite une bonne nuit !
— Ça, c’est une autre histoire ! marmotta Marie-Angéline.
Cependant, à Bruxelles, l’hôtel Timmermans avait retrouvé son calme. Agathe et son « fiancé » étaient allés dîner dans un restaurant réputé pour sa cuisine et son atmosphère aussi sereine que luxueuse. Moritz Kledermann, frustré et d’autant plus furieux de la tournure prise par les événements, boudait visiblement ses « associés » et leur avait annoncé qu’il voulait passer la soirée avec un « vieil ami ».
— Curieux, chuchota Aldo tandis que son beau-père échangeait les politesses de la porte avec leur hôtesse. Le nombre de vieux copains que l’on se découvre, fût-ce au cœur de la Mongolie extérieure, quand on veut se débarrasser de quelqu’un ? Même le plus casanier des ours réussit cette espèce de miracle…
— Moi, j’aime mieux ça ! Comme toi, je le trouve plutôt bizarre depuis que tu lui as montré ce fichu rubis…
— On examinera la question plus tard ! C’est notre tour de prendre congé…
Mme Timmermans revenait vers eux. Ils se levèrent mais elle les arrêta :
— Restez, je vous en prie ! Il faut que je vous parle.
Elle ne souriait plus et Aldo s’en inquiéta :
— À votre service, Louise ! Je comprends que ce vol audacieux vous tourmente…
— Absolument pas. Si ma chance ne m’avait pas permis de vous garder ce soir, j’avais l’intention de vous rejoindre aussi discrètement que possible au Métropole ! Mais, reprenez place, s’il vous plaît. Voulez-vous dîner avec moi ?
— Ce serait avec plaisir, répondit Aldo, mais après le choc que vous venez de recevoir…
— Il ne m’a pas surprise. Quant à vous, le fait que j’insiste pour que vous soyez présents en même temps que M. Kledermann ne vous a pas étonnés ?
— Un peu, si ! fit Adalbert.
— Cela tient à l’amitié sincère que j’éprouve pour vous, mon ami… et le prince Morosini aura l’obligeance de m’excuser de m’être servie de sa réputation comme de sa personne pour arbitrer en quelque sorte ce qui n’était jamais qu’une tractation commerciale ?
— Vous êtes tout excusée ! Sans votre aimable invitation, j’aurais fait des pieds et des mains pour assister à la rencontre. Je vous remercie donc du fond du cœur ! Mais si vous souhaitez que je me retire pour vous laisser seuls tous les deux ?
— Oh, non. Au contraire, à présent que s’est produit ce que je redoutais plus ou moins.
— Vous redoutiez ce vol ?
— Oui et non ! Qu’il ait eu lieu prouve seulement que le mal a déjà produit son effet ! Que pensez-vous du baron von Hagenthal ?
Aldo sourit :
— Vieux nom, vieille aristocratie autrichienne, parfaite éducation s’ajoutant à une allure indéniable et à un charme que je ne saurais définir évidemment, mais sans doute efficace ! Et toi, Adalbert, qu’est-ce que tu en penses ?
— Que tu as certainement raison, pourtant, en ce qui me concerne, il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que le poing me démange. L’animal a pleine conscience de ses atouts – mais envers qui n’appartient pas à la noblesse, je trouve sa politesse un peu juste ! Cela posé, Louise, c’est votre avis qui m’intéresse et le charme en question n’a pas l’air d’agir sur vous ?
— C’est peu de le dire ! Depuis qu’elle l’a rencontré à Spa, Agathe est subjuguée…
— C’était avant ou après son divorce ? Car je suppose que le baron Waldhaus que j’ai eu l’honneur de connaître a disparu de son paysage comme du vôtre ?
— Pas vraiment !
— Comment cela ?
— Je veux dire que, si en effet Agathe est officiellement séparée de lui, il ne s’y résout pas. Vous connaissez sa jalousie, prince ?
— Difficile à oublier ! sourit Aldo ! Je suppose, quoi qu’il en soit, que M. von Hagenthal est capable de protéger sa fiancée ? Le plus sage d’ailleurs serait que le mariage ait lieu rapidement. Waldhaus finira bien par se calmer et une fois remariée…
— Il est tout à fait capable de vouloir en faire une veuve ! Mais ce n’est pas pour vous raconter cela que je vous ai priés de rester. À vous avouer la vérité je serais même assez satisfaite si Waldhaus réussissait à effacer Hagenthal du nombre des vivants.
— J’avoue avoir quelque peine à vous suivre, dit Adalbert.
— Vous allez comprendre : Waldhaus est colérique, violent, ce que vous voudrez, mais il aime Agathe sincèrement.
— Drôle d’amour ! Je me souviens du traitement qu’il lui a appliqué à Biarritz.
— Il n’a cessé de s’en repentir ! Le jour du divorce, il lui a demandé pardon à genoux mais elle n’a fait qu’en rire. Elle était déjà la maîtresse de Karl-August et ne jurait plus que par lui.
— Un moment ! coupa Adalbert. Quand elle s’est séparée de son mari, n’était-elle pas la tendre amie d’un banquier belge qui, afin de pouvoir la rencontrer de temps en temps, avait acheté l’une des belles propriétés de la Hohe Warte à Vienne !
— Oui, mais elle achevait sa convalescence à Spa quand elle a rencontré l’Autrichien et elle n’a plus vu que par lui ! Je sais que cela peut paraître bizarre, mais ma fille est comme cela. Hagenthal vous a d’ailleurs rendu un signalé service en effectuant son entrée en scène…
— À moi ?
— Le beau titre de princesse la séduisait fort. Que vous soyez marié, père de famille lui importait peu ! Encore une fois, Hagenthal est apparu et tout a été changé. Je ne sais de quel philtre d’amour il a usé bien que je lui reconnaisse une séduction certaine, elle est à lui corps et âme ! ajouta-t-elle avec dans la voix un sanglot qu’elle étouffa sous une toux sèche.
— Comment pouvez-vous le savoir ? demanda Adalbert avec une douceur à laquelle Louise répondit par un sourire triste :
— Les femmes – les mères en particulier ! – le savent et, moi, je connais ma fille. C’est pourquoi je vais laisser la Police poursuivre son enquête en évitant le plus possible de m’en mêler !