Выбрать главу

— Vous ne tenez pas à ce magnifique rubis ? s’étonna Morosini. Je sais que vous n’avez pas le droit de le porter. Ce qui est curieux d’ailleurs : léguer une pierre de cette valeur à une jolie femme en lui défendant de s’en parer, cela n’a aucun sens…

— Et c’est vous, un collectionneur, qui dites cela ? Votre femme se pare-t-elle de vos trésors ?

Aldo se mit à rire de bon cœur :

— Oh, que non ! Uniquement de ses propres joyaux. Elle nous considère, son père et moi, comme de doux dingues, même si elle s’intéresse passionnément à l’Histoire !

— Moi aussi, mais si je me refuse à aider la Police, c’est pour la meilleure des raisons. Quand j’ai demandé à Agathe d’aller chercher la pierre dans ma chambre, elle a, en revenant avec l’écrin, joué son rôle avec un art consommé… étant donné qu’il était dans le décolleté de sa robe…

— C’est elle qui l’a volé ? s’exclamèrent les deux hommes d’une même voix.

— Mais, évidemment voyons ! Et pour le donner à son amant qui était, je dois vous le confier, opposé à la vente. Il savait que, M. Kledermann étant dans les parages, le rubis partirait pour Zürich… et que ce serait beaucoup plus hasardeux de se le procurer. Elle a agi… dans l’urgence, voilà ! Ne vous ai-je pas dit qu’elle était folle de lui ? Quant à vous, Messieurs, je vous remercie, d’avoir eu la patience de m’écouter et surtout de taire ce triste secret ! Voyez-vous, Adalbert, je me suis aperçue au fil des jours que votre amitié m’était plus précieuse que je ne le pensais… qu’elle me manquait, et, quand M. Kledermann m’a écrit pour me proposer d’acheter ce rubis à prix d’or, j’ai accepté afin de pouvoir réclamer votre présence à travers celle du prince Morosini ! Puisque je vous savais inséparables…

— Et vous avez eu pleinement raison ! approuva-t-il en essayant de repousser la conscience d’un vague remords. N’hésitez pas à m’appeler quand vous avez besoin d’une aide… ou d’un conseil  !

— Je suis, moi aussi, à votre service ! assura spontanément Aldo.

Il devinait une douleur sous l’aspect élégant et généralement désinvolte de cette femme refusant de livrer sa fille à la Police…

À cet instant, des grattements se firent entendre à l’une des portes du salon et un cocker caramel accourut de toute la vitesse de ses pattes, s’arrêta, renifla et fila droit sur Adalbert qui caressa la tête soyeuse :

— Tiens, mais voilà Cléopâtre ? On dirait que tu te souviens de moi ?

— Elle n’oublie pas mes vrais amis. En revanche, elle se tient prudemment à distance de Hagenthal. Peut-être parce qu’il ne s’y intéresse pas ? Il n’aime pas les animaux…

— Pas non plus les chevaux ? interrogea Aldo, traversé soudain par une idée.

— Oh, certainement pas ! Il y a quelques années, invité à une chasse à courre je ne sais plus où, sa monture s’est débarrassée de lui sans même lui laisser le temps de se mettre en selle ! Alors, vraiment vous ne voulez pas partager mon dîner ?

— Non sans regrets, croyez-le, nous avons promis à ce charmant inspecteur que nous serions au Métropole et il vaut mieux s’en tenir là.

Dans le taxi qui les ramenait à leur hôtel, Adalbert, émit soudain :

— Pourquoi as-tu demandé si Hagenthal aimait les chevaux ? Ça a une importance ?

— Peut-être ! Souviens-toi, quand nous sommes allés à Grandson, le vieux Georg nous a dit que son nouveau maître n’aimait que la maison et ses chevaux ?

— Et alors ? Il nous a dit aussi qu’il était le fils du cousin qui avait pu se considérer comme l’héritier jusqu’à l’ouverture du testament. Ce n’est pas parce qu’ils s’appellent tous les deux Hagenthal qu’ils ont fatalement les mêmes goûts ? Je me demande même s’ils se ressemblent physiquement. Ce que nous ignorons ! Et si tu m’écoutais au lieu de bayer aux corneilles ?

— Mais je t’écoute ! Tellement, même, que l’envie me prend d’aller faire un tour en Suisse pour voir ce qu’il en est !

1 Pièce de théâtre de Jules Romains alors en vogue.

2 Le palais royal de Bruxelles.

3 Puissants banquiers d’Augsbourg, l’équivalent allemand des Médicis à cette époque.

8

Le dîner chez la marquise

Siégeant en majesté sur son fauteuil de rotin blanc au jardin d’hiver, Mme de Sommières écoutait avec résignation la philippique à laquelle se livrait Eulalie, son cordon-bleu maison. Le sujet en était l’incertitude où l’on vivait rue Alfred-de-Vigny : le chapeau sur la tête, elle était en tenue de sortie, sans oublier les gants de filoselle noire, et un vaste panier reposait par terre à ses pieds :

— Les primeurs font leur apparition sur le marché et, comme toutes les primeurs, elles sont fragiles. Je sais combien Madame la marquise et Mademoiselle Marie-Angéline les aiment, mais comment puis-je acheter la quantité dont j’aurai besoin si je ne sais pas combien de bouches j’aurai à nourrir entre le marché d’aujourd’hui et celui de vendredi ? Nos Messieurs doivent rentrer de Belgique dans la journée, mais est-ce ce matin ou ce soir ? D’autre part – et en principe ! – M. Kledermann devrait les accompagner – mais on n’en est pas sûrs. Alors ?

— Je vous comprends, Eulalie, soupira Mme de Sommières, qui maniait toujours sa cuisinière avec la plus grande considération eu égard à son immense talent, mais que puis-je dire qui vous satisfasse ? Nous ne savons pas encore quand reviennent nos Messieurs. Quant à M. Kledermann, il serait en train de devenir tout à fait imprévisible ! Le mieux serait d’oublier les primeurs jusqu’à leur retour. Votre répertoire ne doit pas manquer de chefs-d’œuvre ne nécessitant pas les primeurs ?

— Et si vous en manquez lorsqu’ils arriveront, relaya Plan-Crépin, il vous restera la ressource d’expédier Lucien et la voiture chez Hédiard avec une liste détaillée. Chez eux, on trouve à longueur d’année les primeurs du monde entier !

— Mademoiselle Marie-Angéline parle d’or, mais elle pourrait avoir raison ! De toute façon, pour midi, rien de particulier ? Comme nous avons en ce moment les marées de syzygie…

Les deux femmes la regardèrent avec stupeur :

— D’où sortez-vous ce mot-là ? fit la marquise. Vous connaissez, Plan-Crépin ?

— Ma foi non, admit celle-ci à contrecœur.

— C’est un pêcheur qui me l’a appris quand nous séjournions à Dinard, expliqua Eulalie, un rien fiérote, ce qui chassa sa mauvaise humeur. « Je crois que c’est une affaire de correspondance entre la pleine lune et les marées qui sont alors très fortes. J’espère trouver un beau turbot que je vous accommoderai au beurre blanc…

— Je pensais que le beurre blanc était uniquement associé au brochet ou à l’alose de Loire ?

— C’est pas mal non plus avec le turbot… et on n’a pas à se battre avec les arêtes comme Madame la marquise le sait bien !

— À merveille ! Faites-nous ça !

Enchantée de son petit effet, Eulalie ramassa son panier et partit d’un pas allègre. Une demi-heure plus tard les « Frères de la Côte » débarquaient en taxi…

Un fracas de casseroles, joint aux échos d’une humeur en train de tourner à l’aigre s’échappèrent des cuisines. En outre, le temps qui menaçait devenait franchement mauvais.

— Est-ce que ton beau-père vous suit ? demanda Tante Amélie.

— Non. Il prolonge son séjour en Belgique. Peut-être demain ou après ?

— En ce cas, emmène-nous déjeuner au Ritz et Plan-Crépin va prévenir Eulalie…