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Et comme Plan-Crépin n’avait pas l’air de réagir, elle insista, la mine engageante :

— En tout cas, cela ne peut être que bénéfique !

— Nous avons raison ! J’y file et je vais mettre un gros cierge !

Quand elle eut entendu la porte de la maison se refermer sur elle, Mme de Sommières soupira d’aise, sonna Cyprien pour qu’il apporte le champagne quotidien, en but une coupe et s’apprêtait à reprendre ses mots croisés, quand elle entendit sonner. Surprise, elle regarda sa montre, constata qu’il était sept heures moins un quart. Un peu tard pour les visites d’après-midi et un peu tôt pour le dîner. D’ailleurs on n’attendait personne… Qui cela pouvait-il être ?

Instinctivement, elle reposa son verre, se redressa dans son grand fauteuil en cherchant parmi ses sautoirs de perles et de pierres fines le petit face-à-main serti d’émeraudes qui ajoutait encore à son air imposant, cependant que les parquets grinçaient sous un pas résolu derrière lequel trottinait celui de Cyprien. Et soudain, le jardin d’hiver parut rétrécir :

— Amélie ! clama la voix de basse-taille du Professeur de Combeau-Roquelaure, je viens vous demander l’hospitalité pour cette nuit ! Je voulais descendre au Royal Monceau mais ils sont envahis par je ne sais quel Congrès d’Américains survoltés qui arborent – le diable sait pourquoi ? – des écharpes en peau de léopard et de ces pots de fleurs égyptiens en feutre rouge surmontés d’un gland noir qu’ils font tourner en tous les sens en criant comme des putois !

— Depuis que nous avons enterré la hache de guerre, vous savez que vous êtes toujours le bienvenu ? fit-elle, tandis qu’il inclinait sur sa main sa longue et maigre silhouette immuablement drapée dans des mètres carrés de tweed gris sommée d’une étroite tête à cheveux blancs qui le faisait ressembler à une tortue. « Aussi pourquoi le Royal Monceau au lieu de venir directement ici ?

— Par discrétion ! Je suis à Paris pour une réunion plénière au Collège de France, et comme je voulais en profiter pour venir vous saluer… et me faire inviter à casser une petite croûte, j’avais choisi cet hôtel parce que le plus proche et donc le plus commode. Et voilà où j’en suis !

— Alors bénissons les hommes-léopards du Monceau ! Je suis ravie de vous voir et on va monter vos bagages. Mais, au fait, vous êtes seul ? Qu’avez-vous fait de ce cher Wishbone ?

— Je l’ai laissé au Texas où j’étais encore il y a peu, mais comme il a de sérieux ennuis avec un de ses puits de pétrole qui a pris feu, je l’aurais gêné plus qu’autre chose…

— … et le doux pays de Loire vous manquait, susurra-t-elle.

— … et que le doux pays de Loire me manquait… Oh, que me faites-vous dire là ?

— Ce que j’imagine être la simple vérité ! Ne connaissant pas le Texas, j’imagine que c’est très beau ?

— Très… mais aussi très plat, très chaud et légèrement monotone : toutes ces vaches, ces chevaux ! Ce serait même ce qu’il y a de mieux ! Quant aux champs pétrolifères, c’est d’un monotone, vous en avez vu un, vous les avez tous vus, et même si la demeure de notre ami est fastueuse et les jardins qui l’entourent ravissants ! Bref, je suis rentré mais Wishbone me rejoindra quand il aura tout éteint et – évidemment ! – j’y retournerai cet hiver. Pendant que j’y pense, il m’a prié de vous saluer, vous et Mlle du Plan-Crépin. Que je ne vois pas. Est-elle absente ?

— Non. À l’église où elle est allée offrir un cierge et un supplément de prières au saint patron des voyageurs !

— Vous avez des ennuis ?

— Plutôt, oui ! Mais montez donc prendre possession de votre chambre ! Nous dînons à huit heures et demie et on vous racontera nos soucis en partageant le pain et le sel…

Restée seule, Mme de Sommières se resservit et dégusta son champagne à petits coups. Cette arrivée inattendue lui causait une véritable joie et elle en venait même à se demander si ce n’était pas la réponse d’En Haut à la visite de Plan-Crépin à l’église paroissiale. Dieu sait pourtant si elle avait détesté ce cousin hors normes depuis qu’aux funérailles de sa femme, elle l’avait quasiment accusé devant le Tout-Paris scientifico-intellectuel de l’avoir fait mourir de chagrin !

Depuis ce temps, vieux de vingt ans, il lui avait rendu son inimitié en la traitant de « vieux chameau » quand il parlait d’elle. Ce qui lui arrivait rarement, puisqu’il habitait une belle vieille maison à Chinon où, au surplus de ses travaux, il déployait une activité aussi occulte que bizarre à la tête d’une société secrète mais rigoureusement sans danger tournée vers le druidisme. Lesdits travaux l’y prédisposaient puisqu’au Collège de France il s’était spécialisé dans le Haut Moyen Âge, remontant même jusqu’aux Celtes. Évidemment, c’était plutôt éloigné de l’époque Louis XI-le Téméraire, mais il avait de telles connaissances à côté de cette période, qu’il pouvait se révéler utile.

C’est au cours de leurs recherches à Chinon que, l’an passé1 , Aldo et Adalbert l’avaient rencontré et reconnu puisque, s’il était cousin du premier, il avait été jadis professeur du second lorsqu’il préparait son baccalauréat au lycée Janson-de-Sailly… Les retrouvailles avaient été aussi enthousiastes que touchantes…

Quand elle revint du salut de Saint-Augustin, Marie-Angéline accueillit l’arrivée du Professeur avec plus que de la satisfaction : une espèce d’allégresse qui surprit la marquise :

— C’est nouveau, cette sympathie ? Il n’y a pas si longtemps, vous le traitiez de « vieux fou » !

— Oh, ça, c’était avant qu’il ne se mette à notre service comme il l’a fait à Lugano ! J’ai appris à l’apprécier. Mr Wishbone est avec lui ?

— Mr Wishbone a le feu chez lui et, au Texas, ce n’est pas une mince affaire ! Quant à Hubert, il est venu pour assister à je ne sais quelle manifestation au Collège de France et s’occuper un peu de ses propres affaires…

— Ils ne se sont pas brouillés au moins ?

— Pas que je sache ! Quand il en aura fini avec son pétrole incandescent, le cher homme viendra sans doute faire une cure de champignons dans la fraîcheur de la forêt de Chinon… et je vous rappelle qu’Hubert s’est spécialisé dans le Haut Moyen Âge ! Non dans la Pré-Renaissance…

— C’est un puits de science, cet homme-là ! Souvenons-nous du cours magistral qu’il nous a délivré sur des « empereurs gaulois » dont nous ignorions l’existence, sans oublier ses notions sur les Borgia. Alors, sur un personnage aussi haut en couleur que le Téméraire, je jurerais qu’il en sait plus que nous tous réunis… et je ne suis pas loin de penser que son apparition pourrait être la réponse de saint Christophe à mes prières !

Elle aussi ! Et, en effet, quand Marie-Angéline, dès l’omelette aux truffes et aux cardons avalée, mit le sujet sur le tapis, elle obtint en réponse :

— Le Téméraire ? Difficile d’y couper à celui-là, quand on s’intéresse à la réunification de la France par ce fabuleux politique que fut Louis XI, l’un des plus grands de nos rois… si ce n’est même le plus grand !

— Louis XI, le plus grand ?… Cette taupe perfide passée maîtresse en chausse-trappes, cette araignée…

— Il faudrait dépoussiérer vos connaissances en zoologie, ma petite. C’est toujours la même chose avec les femmes quand il s’agit de cette époque : elles ne s’intéressent qu’au gros bourdon doré sur tranches qu’était le duc de Bourgogne qui, courant après une couronne royale, a mis la moitié de l’Europe à feu et à sang avant de s’en aller trépasser dans une mare gelée devant Nancy ! Il faut avouer qu’il était spectaculaire, celui-là ! Les Mille et Une Nuits à lui tout seul !