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— C’est selon !

— Pouvons-nous espérer une explication ? s’impatienta Plan-Crépin qui trouvait le temps long.

— Du calme ! intima la marquise. On n’interrompt pas un Professeur qui a l’obligeance de se donner la peine d’éclairer notre lanterne. Par conséquent, on se tait !

— Merci ! Je vais faire en sorte d’être aussi clair que possible ! Pour en revenir à ce qui nous occupe, je dirai que les Hagenthal ont choisi l’empire Habsbourg jusqu’à une date relativement récente où les deux dernières branches se sont séparées : le vieux baron Hugo, écœuré par les sévices infligés à Venise durant l’occupation autrichienne par son grand-père, a demandé la nationalité suisse et légèrement modifié son nom. De von Hagenthal, il est devenu de Hagenthal tout simplement, mais voué au souvenir du Téméraire, il a acheté sa demeure de Grandson et, en dehors du rubis qu’il tenait de sa femme, qu’il a voulu offrir au prince Morosini en une sorte de prix du sang, il a légué le reste de sa fortune à son filleul et cousin Hugo de Hagenthal… qui a choisi de devenir suisse, lui aussi !

— Le père n’a pas protesté ? demanda Adalbert.

— Non, mais la haine entre eux est devenue inexpiable !

— Pourquoi ?

— Hugo soupçonne son père d’avoir tué sa mère, mais de cela nous n’avons aucune preuve. En outre, tous les deux seraient amoureux de la même jeune fille, Marie de Regille, et, bien sûr, tous deux voudraient l’épouser ! Évidemment elle préfère Hugo bien que le père ne soit pas sans séduction, mais le fils a pour lui sa jeunesse, son caractère chevaleresque et cette espèce d’auréole que crée une ressemblance illustre…

— … Il ressemble au Téméraire ! lança Aldo dont le regard s’attachait sur Marie-Angéline, soudain figée…

— Comment le savez-vous ?

— Une idée comme ça !

— Alors disons que vous avez le don de double vue ! En effet, il lui ressemble, quoique, selon l’éclairage, il tirerait plutôt du côté du Grand Bâtard.

— Et vous nous apprenez, reprit Aldo soudain sévère, que son père veut lui aussi prendre pour épouse Marie de Regille ? Il ne manque pas d’audace. Savez-vous où il se trouve en ce moment ? Il est à Bruxelles, et, pour être plus précis, à Uccle où habite sa « fiancée », Agathe Timmermans, ex-baronne Waldhaus et unique héritière de la reine du chocolat belge ! Intéressant, non ?

1 Voir, du même auteur, La Chimère d’or des Borgia.

2 L’ange visiteur devait être un ancêtre de Joël Robuchon… à qui j’ai emprunté la recette dans Le Plus Simple et le Meilleur de Joël Robuchon, Livre de Poche.

TROISIÈME PARTIE

LE TRICENTENAIRE

9

Un mot magique…

Tandis qu’Hubert de Combeau-Roquelaure et Adalbert raccompagnaient l’invité à son hôtel, le Prince de Galles, Aldo avait choisi de rester afin de tenir compagnie à Tante Amélie. La mine soudain fermée de Plan-Crépin lui laissait supposer qu’elle pourrait avoir besoin d’aide.

En effet, à peine la grille de la maison se fut-elle refermée que la jeune femme, après avoir annoncé qu’elle allait chercher un mouchoir, s’enfuyait – le terme n’était pas trop fort ! – vers sa chambre, dont la porte pour une fois ne claqua pas derrière elle.

— Je n’aime pas cela ! commenta Aldo. Une bonne colère ferait davantage mon affaire !

— La mienne aussi. Je ne crois pas me tromper en disant qu’elle souffre… et je me retrouve désemparée. Que dire ?… Que faire ?… À quoi m’accrocher pour lui apporter de l’apaisement ? C’est facile d’habitude avec son caractère emporté : elle réagit au quart de tour ! Mais là… cette sortie morne, silencieuse et comme accablée !… J’espère qu’elle n’irait pas jusqu’à…

— Non ! Ne pensez pas à ça ! Elle est trop fière pour en arriver à cette extrémité… et trop pieuse aussi !

— Oh, je sais, mais comment être certaine avec ce genre de nature que l’on n’imaginerait jamais aussi passionnée…

— Mais évidemment que si, elle l’est ! Et pour tellement de raisons ! Je ne connais pas d’esprit plus universel que le sien !

— Je sais ! Pourtant je ne peux m’empêcher d’avoir peur et…

— Buvez de votre panacée habituelle ! Rien de tel que le champagne ! D’ailleurs…

Empoignant d’une main un rafraîchissoir contenant une bouteille encore intacte et deux flûtes de l’autre :

— J’y vais ! Quitte à la faire boire de force, je lui arracherai ses idées noires de la tête ! Et puis in vino veritas !

— Oui, mais si tu la soûles et qu’elle ne puisse aller à la messe…

— Faudrait savoir ce que vous voulez, Tante Amélie ! Au diable…

— Arrête ! cria-t-elle. Songe à ce que tu allais dire !

Elle s’était précipitée sur lui pour lui appuyer la main sur la bouche et, du coup, il se mit à rire :

— Je vous promets un acte de contrition  !

Il partit en courant, escalada les marches quatre à quatre et ne freina que devant la porte de Plan-Crépin. Fermée, bien sûr :

— C’est moi, Angelina ! Il faut que je vous parle !

— Pas moi, Aldo ! Laissez-moi tranquille, je vous en prie !

— Oh, que non ! J’ai les mains occupées, mais vous n’imaginez pas ce que je peux faire avec mes pieds ! Alors ouvrez ou vous aurez droit à une démonstration !

Afin de mieux la convaincre, il leva une jambe… et faillit s’étaler parce que le battant s’ouvrait au moment où il s’apprêtait à frapper. Il glissa sur le tapis, fit une embardée, mais réussit finalement à retrouver son équilibre. Or, on n’y voyait guère, l’électricité étant éteinte et les rideaux tirés.

— Allumez ! Sacrebleu !

À son soulagement, il se retrouva assis sur le lit sans avoir rien cassé et le regretta presque puisque, selon les esprits éclairés, briser du verre blanc porte bonheur ! Restait à savoir si ça marchait aussi avec le cristal !

— Dieu que j’ai eu peur ! exhala-t-il. Tenez ! Débarrassez-moi de ça, ajouta-t-il en offrant le seau à Plan-Crépin qui, debout devant lui, les bras croisés sur le grand châle de laine noire dont elle était drapée, ressemblait à Melpomène, la muse de la tragédie.

— Que voulez-vous que j’en fasse ?

— À votre avis ça sert à quoi, ce matériel ?

Elle enleva le récipient qu’elle posa sur une table, puis recroisa les bras avec un sourire amer :

— Vous n’auriez pas jugé urgent, par exemple, de venir prendre une cuite avec moi ?

— Quel langage !

— Entre vous et Adalbert, j’ai de bons professeurs ! Cela dit, que voulez-vous ?

— Simplement causer… comme si vous étiez ma petite sœur !

— Ne jouez pas ce jeu avec moi, Aldo. J’ai passé l’âge des enfantillages !

— Ne dites pas de sottises ! Il ne meurt jamais, l’enfant que nous portons en nous. Ce qui manque, c’est le giron maternel quand on a du chagrin.

Tout en parlant il avait débouché la bouteille, rempli les verres, lui en tendit un :

— Trinquons !… Rien que pour me faire plaisir !

Puis plus doucement :

— Vous ne voulez pas m’en dire un peu plus ? Juste un tout petit peu ?

— Quoi, par exemple ?

— Votre sortie de prison, quand vous êtes tombée de la lucarne ! Vous ne me ferez pas croire que vous n’avez rien vu, rien entendu, rien remarqué ?… À part évidemment le coup qui a frappé Sauvageol !…