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— En attendant, pria Tante Amélie, je vous saurais gré d’avoir l’obligeance de me rendre l’exclusivité de ma chambre. Sauf Plan-Crépin bien sûr !

Elle fut obéie dans l’instant. Le Professeur regagna ses quartiers, tandis qu’Aldo s’emparait du téléphone pour demander à Langlois une « audience en urgence », apprit qu’il pouvait se présenter à onze heures, puis appela Adalbert pour venir le chercher.

— Je pensais justement qu’on ne serait pas mal inspirés d’aller lui toucher un mot de tout ça ! répondit celui-ci. Tu vois…. J’aurais vraiment de la peine s’il arrivait quoi que ce soit à Louise Timmermans ! Son amitié à elle était sincère et la mienne plutôt intéressée, et j’ai des remords.

À l’heure convenue, ils pénétraient dans le vaste bureau du grand patron du 36, quai des Orfèvres. Celui-ci était au téléphone. Il leur fit signe de s’asseoir, acheva brièvement sa conversation, raccrocha pour redécrocher aussitôt :

— Sauf absolue nécessité, qu’on ne me dérange sous aucun prétexte !

Au ton employé, les deux visiteurs se regardèrent : Langlois était, une fois de plus, d’une humeur de dogue ! Mais dans les circonstances présentes, on ne pouvait guère s’attendre à voir refleurir son sourire tant qu’il ne tiendrait pas son assassin.

— Qu’est-ce qui vous amène encore ? maugréa-t-il.

Ils sentirent qu’il aurait préféré les envoyer au diable. Adalbert prit la parole :

— On voudrait vous entretenir de l’affaire de l’avenue Vélasquez. Mme de Granlieu serait morte de peur ?

— Exact ! L’autopsie n’a rien révélé d’autre qu’un cœur fragile ! C’est un accident !

— Et vous y croyez, vous, à cet accident ? demanda Aldo. Il a forcément dû être provoqué par quelque chose… ou par quelqu’un ?

— Son visage reflétait une réelle épouvante mais aucune main ne l’a touchée.

— Ah ! Et qu’en dit l’homme qu’elle s’apprêtait, paraît-il, à épouser ?

Langlois fronça les sourcils :

— Où voulez-vous en venir ?

— À ceci : je ne sais pas quel est votre point de vue là-dessus, mais nous autres, simples particuliers, trouvons étrange qu’une femme sur le point de convoler profite de l’absence de son bien-aimé pour trépasser d’un banal cauchemar… ce que j’ai peine à croire ! Et même si une personne bien attentionnée est venue lui apprendre que le fiancé en question devait convoler aussi avec une autre ? Cela n’a jamais suscité l’épouvante !

— Qu’est-ce que vous me chantez là ?

— Pas encore un Requiem mais ça pourrait venir, jeta Aldo sèchement. Cette malheureuse allait épouser le baron von Hagenthal qui, au moment crucial, était sans doute auprès de sa seconde promise, Agathe Timmermans.

— Cela ne signifie pas que ce soit le même. À ma connaissance ils sont trois – ou plutôt ils étaient trois puisque l’un d’eux est mort dans vos bras, Morosini, mais il en existe peut-être d’autres ?

— Sûrement pas ! On le saurait ! Ils sont deux, le père et le fils : le baron Karl-August von Hagenthal et le baron Hugo de Hagenthal.

— Pourquoi cette différence, s’ils sont père et fils ?

— Parce que Hugo, héritier du vieux baron qui avait… helvétisé son nom en raison de l’horreur que lui inspirait le massacre d’un Morosini quand Venise était aux Autrichiens, en a fait autant. Lui et son père se haïraient à propos d’une jeune fille dont ils seraient amoureux tous les deux.

— Quelle nationalité ?

— Française et même comtoise.

Langlois se renversa dans son fauteuil en tenant son stylo par les deux bouts :

— Un vrai conte de fées ! De qui le tenez-vous ?

— D’un professeur au Collège de France qui habite d’ailleurs dans le coin. Il en sait plus long sur le Téméraire et ses trésors que tous les historiens d’Europe réunis.

— Collège de France ? Votre cousin, le druide ?

— Non. Un collègue à lui spécialisé sur le XVe siècle, et surtout les relations entre la France et les États de Bourgogne. De plus, et ce n’est pas le moins intéressant, il est natif de la région de Pontarlier où il a sa propriété de famille qu’il partage avec sa sœur. Mais ce n’est pas lui qui nous amène…

— C’est bien dommage, car moi il m’intéresse beaucoup, votre bonhomme. Mais on y reviendra ! Que vouliez-vous en débarquant ici sur les chapeaux de roues ?

— Vous demander de faire surveiller étroitement Mme Timmermans par la Police belge.

— Vous la soupçonnez de quoi, la malheureuse ?

— De rien ! Justement, embraya Adalbert. En revanche, on redoute ce qui risque de lui arriver.

— Et c’est ?

— De subir le sort de Madame… je devrais dire Mesdames de Granlieu dans un laps de temps plus ou moins rapproché !

— Comment voyez-vous les choses, Morosini ?

— Laissez parler Adalbert ! C’est un bien meilleur conférencier que moi et, en outre, il a de l’amitié pour Mme Timmermans. Moi aussi évidemment : elle m’a sauvé la vie en empêchant son gendre de m’embrocher tout vif ! Mais écoutez plutôt Adalbert !

Ce fut vite fait. Pour celui-ci le doute n’était pas possible. C’était Karl-August l’assassin de Saint-Augustin, lui encore qui avait organisé l’enlèvement de Plan-Crépin afin de s’approprier l’un des trois gros rubis. Alors qu’il avait déjà posé des jalons pour s’assurer le deuxième : celui de Mme Timmermans.

— Il l’a déjà, si je vous ai compris, puisque l’ex-baronne Waldhaus l’a volé pour lui ?

— Juste ! Aussi Isoline de Granlieu ne lui sert plus à rien, alors qu’épouser Agathe Timmermans lui vaudrait une sacrée fortune à la mort de sa mère.

— Votre raisonnement se tient assez, mais pourquoi supprimer la reine du chocolat belge puisqu’il doit posséder à présent deux des trois rubis ? Elle n’a pas le troisième.

— Celui-là, c’est moi qui l’ai, coupa Aldo, et mon beau-père me tanne pour que je lui vende !

— Et si Hagenthal tue sa belle-mère cela ne vous incitera pas à le lui céder. Donc c’est vous qui…

— … c’est moi qui serai en danger mais cela ne sauvera pas Louise Timmermans. Vous oubliez que notre meurtrier – qui, entre parenthèses, doit être aussi celui de Sauvageol ! – est amoureux de la même jeune fille que son fils.

— Autrement dit, conclut Adalbert, il devrait se passer pas mal de choses en Franche-Comté, et c’est ce dont nous allons nous occuper, Morosini et moi. Voici la raison pour laquelle nous aimerions que vous vous chargiez de faire protéger Louise. Nous, nous n’avons aucune chance d’impressionner la Police royale. En particulier la personne de son chef qui, d’autorité, a pris Morosini dans le nez ! Alors…

— Entendu ! Je ferai ce que je pourrai ! Vous n’avez toujours pas retrouvé votre beau-père, Aldo ?

L’emploi de son seul prénom fit plaisir à l’intéressé. Cela signifiait que les relations avaient retrouvé leur harmonie un moment écornée.

— Aucune et cela ne laisse pas de m’inquiéter ! Ce qu’il a subi l’automne dernier devrait l’inciter à plus de prudence, mais depuis qu’il a acheté ce fichu avion, on dirait qu’il passe son temps à sillonner le ciel sans juger utile d’en avertir qui que ce soit !

— Ne vous tourmentez pas trop ! Un avion, c’est un peu comme un train : s’il a un accident, tout le monde le sait immédiatement ! Quant à Mme Timmermans, je vais voir ce que je peux faire…

On l’en remercia chaleureusement !

Or, quand ils regagnèrent la rue Alfred-de-Vigny, ce fut pour y découvrir ledit Kledermann causant tranquillement avec Tante Amélie.